L’article 103 prévoit une procédure en trois étapes. La première veut que l’initiative appartienne concurremment au Président de la République et aux députés. La seconde est relative à l’adoption qui est le fait de l’Assemblée nationale. La troisième vise l’approbation qui rend la révision définitive et qui s’opère par la voie du référendum. Le Président de la République peut toutefois décider de faire approuver la révision par l’Assemblée nationale et à la majorité des trois cinquièmes (3/5) des suffrages exprimés.
Le Président de la République a choisi de ne pas emprunter cette voie de l’article 103 qui constitue la procédure de droit commun et qui lui aurait permis de recueillir l’approbation du peuple souverain sans même saisir le Conseil constitutionnel. A rebours, il a préféré le mécanisme prévu à l’article 51 al. 1er. Par cette voie, introduite pour la première fois en 2001 dans l’ordonnancement juridique constitutionnel, le Président de la République peut soumettre tout projet de loi constitutionnelle au référendum après avoir recueilli l'avis du Président de l'Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel.
Par lettre en date du 14 janvier 2016, le Président de la République a saisi le Conseil constitutionnel aux fins d’examiner la conformité du projet de révision « à l’esprit général de la Constitution du 22 janvier 2001 et aux principes généraux du droit ».
Le Conseil, dans son avis, a conclu à la régularité de la procédure de révision. Il a également estimé que le contenu de la révision est conforme à l’esprit général de la Constitution et aux principes généraux du droit mais a estimé que la disposition sur l’application de la réduction au mandat en cours du Président de la République « n’est conforme ni à l’esprit de la Constitution, ni à la pratique constitutionnelle ».
Pour justifier pourquoi il entend se conformer à l’avis du Conseil constitutionnel, le Président de la République a invoqué l’article 92 de la Constitution aux termes duquel « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». La convocation de cette disposition est pourtant superfétatoire. Elle relève d’un subterfuge juridique utilisé pour accomplir un dessein
politique personnel. La référence à l’article 92 de la Constitution n’est pertinente que si on est dans le cadre d’une décision. Ce qui n’est juridiquement pas le cas.
En effet, le Conseil constitutionnel, à travers cet avis, ne met en œuvre que sa compétence consultative. Comme presque toutes les juridictions constitutionnelles, le Conseil constitutionnel dispose de deux catégories de compétence : une compétence juridictionnelle et une compétence consultative. Contrairement à d’autres juges constitutionnels qui disposent de cette compétence consultative en toute matière, celle du Conseil constitutionnel sénégalais n’est prévue que dans la mise en œuvre de l’article 51 de la Constitution. Dans ce cadre, le Conseil rend un avis. La lecture qu’il convient d’avoir de cet article est que la consultation est obligatoire mais l’avis que donne le Conseil ne lie pas le Président de la République. Le caractère conforme d’un avis ne se présume pas.
La doctrine française est, au demeurant, unanime sur le fait que dans le cadre de la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels de l’article 16 de la Constitution de 1958, le Conseil constitutionnel français émet un avis motivé mais non conforme sur la réunion des conditions d'application de cette disposition.
Non, M. le Président, le Conseil n’a pas rendu une décision mais un avis consultatif qui ne vous lie pas.
Le Conseil a beau chercher à donner à son avis les allures d’une décision (saisine, visas, considérants, dispositif), il a été obligé, dans le dispositif, de « faire tomber le masque » en disant « (…) par ces motifs, est d’avis ». Si c’était une décision, le Conseil aurait dit « (…) par ces motifs, décide ».
Le fait, pour le Président, de dire qu’il s’agit d’une décision présente une curiosité : le juge constitutionnel sénégalais contrairement à son homologue du Mali (décision de censure de 2001), du Bénin (décision de censure de 2006) ou du Tchad (décision de validation de 2004) a toujours affirmé qu’il n’a pas compétence pour se prononcer sur des lois constitutionnelles. Il accepte cette fois de se prononcer sur un projet de loi constitutionnelle.
Autre curiosité : l’incapacité du Conseil à fonder son argumentaire sur la substance des dispositions de la Constitution. L’esprit et la pratique ont été convoqués. Pourtant, pour apprécier sa compétence, le Conseil constitutionnel s’est toujours enfermé dans le carcan matériel tel que défini dans la Constitution et la Loi organique de 1992.
Pour le juge constitutionnel « la sécurité juridique et la stabilité des institutions constituent des objectifs à valeur constitutionnelle que toute révision doit prendre en considération pour être conforme à l’esprit de la Constitution. Elles ne seraient pas garanties si à l’occasion de changements de majorité...la durée des mandats politiques en cours régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait quelque (sic !) soit au demeurant l’objectif recherché, être réduite ou prolongée ».
Par cet argumentaire, le Conseil ne crée-t-il pas des dispositions intangibles alors que seule la forme républicaine de l’Etat a toujours constitué la limite matérielle au pouvoir de révision ? Le Conseil ignore-t-il que les lois expressément rétroactives, les lois pénales plus douces, les lois interprétatives…ont toujours constitué des exceptions au principe de non rétroactivité ? Le Conseil constitutionnel ne préempte-t-il pas la volonté du peuple, souverain suprême, qui aurait eu le dernier mot sur la réduction du mandat en cours ?
En tout état de cause, le Conseil constitutionnel, rendant son avis, vient de créer une nouvelle règle de droit consistant à dire qu’une loi ne peut pas prévoir sa propre rétroactivité. On ne lui connaissait pas un tel pouvoir. Si le juge est, dans son ontologie, un « faiseur de systèmes »1, le Conseil constitutionnel sénégalais n’en a pas fait ici la démonstration.
En marge de cet argumentaire technique développé ci-dessus, l’avis du Conseil constitutionnel participe d’une dépréciation de l’enseignement de la science juridique dont l’institution universitaire, à travers les Facultés de droit, se trouve investie. Symbolisant le lieu où la pensée juridique dans ses formes les plus complexes est exprimée, l’Université indirectement voire directement est comptable des façons dont le Droit est dit dans l’espace social. L’avis du Conseil constitutionnel quoique en rupture totale avec les enseignements universitaires est, tout de même, perçu par certains sénégalais comme une incapacité de la science juridique, et par conséquent des juristes universitaires, à formuler un propos clair, éloigné de toute spéculation lorsqu’ils sont saisis de questions éminemment sociétales.
Loin de promouvoir un corporatisme primaire dénué de tout sens éthique, les auteurs de ce manifeste soucieux de restaurer la dignité ainsi que la noblesse de la science juridique, se désolidarisent de cette présentation du Droit comme une discipline où la ruse, la rhétorique creuse, la spéculation… officient en maîtresses. Cette vision du Droit que le Conseil constitutionnel promeut dans l’imaginaire collectif naturellement ne peut rencontrer l’assentiment des universitaires rédacteurs de ces lignes. Plus que des législateurs (jurislateurs) ou des diseurs du droit (magistrats), c’est la conscience du Droit tout bonnement que la communauté universitaire entend incarner, et ce, sans prétention aucune.
In fine, pour paraphraser Ronald Dworkin2, les lignes qui parcourent ce manifeste sont une invite à tous les acteurs de la science juridique à prendre le Droit au sérieux.
ONT SIGNE :
1. Penda BA, Agrégée des Facultés de droit et de science
politique (Université Gaston Berger de Saint-Louis UGB).
2. Philippe BASSENE, Docteur en droit (Université Assane Seck de Ziguinchor UASZ)
3. Jean-Charles BIAGUI, Docteur en science
politique (Université Cheikh Anta Diop de Dakar UCAD)
4. Marie BOUARE, Docteur en droit (UGB)
5. Mouhamadou BOYE, Docteur en droit (UGB)
6. Fatou Kiné CAMARA, Docteure en droit (UCAD)
7. Jean-Louis CORREA, Agrégé des Facultés de droit (UASZ)
8. Ndéye Madjiguéne DIAGNE, Agrégée des Facultés de droit (UCAD)
9. Sidy Nar DIAGNE, Docteur en droit (UCAD)
10. Mamadou Aliou DIALLO, Docteur en droit (UCAD)
11. Mamadou Yaya DIALLO, Docteur en droit (UCAD)
12. Abdoulaye DIEYE, Docteur en droit (UCAD)
13. Adrien DIOH, Docteur en droit (UGB)
14. Maurice Soudieck DIONE, Docteur en science
politique (UGB)
15. Amadou Abdoulaye DIOP, Agrégé des Facultés de droit (UCAD)
16. Moussa DIOP, Docteur en droit (UCAD)
17. Abdoul Aziz DIOUF, Agrégé des Facultés de droit (UCAD)
18. Fatou DIOUF, Docteure en droit (UCAD)
19. Massamba GAYE, Agrégé des Facultés de droit (UCAD)
20. Souleymane GAYE, Docteur en droit (UCAD)
21. Ababacar GUEYE, Docteur en droit (UCAD)
22. Babacar GUEYE, Professeur titulaire, Agrégé des Facultés de droit (UCAD)
23. Mactar KAMARA, Agrégé des Facultés de droit (UCAD)
24. Khalifa Ababacar KANE, Docteur en droit (UASZ)
25. Boubacar KANTE, Docteur en science
politique (UCAD)
26. Ousmane KHOUMA, Docteur en droit (UCAD)
27. Mayatta NDIAYE MBAYE, Agrégé des Facultés de droit (UCAD)
28. Ngor NGOM, Docteur en droit (UCAD)
29. Paul NGOM, Agrégé des Facultés de droit (UCAD)
30. Cheikh Baye NIASSE, Docteur en droit (UCAD)
31. Makhoudia MBOUP, Docteur en droit (UCAD)
32. Abdou Wakhab NDIAYE, Agrégé des Facultés de droit (UCAD)
33. Ameth NDIAYE, Docteur en droit (UCAD)
34. El Hadji Samba NDIAYE, Docteur en droit (UCAD)
35. Papa Samba NDIAYE, Docteur en science
politique (UCAD)
36. Sidy Alpha NDIAYE, Docteur en droit (UCAD)
37. Aminata CISSE NIANG, Agrégée des Facultés de droit (UCAD)
38. Babacar NIANG, Docteur en droit (UCAD)
39. Mohamed Bachir NIANG, Agrégé des Facultés de droit (UCAD)
40. Ndiogou SARR, Docteur en droit (UCAD)
41. Sylla SOW, Docteur en droit (UCAD)
42. Pape Demba SY, Agrégé des Facultés de droit (UCAD)
43. Pape Mamour SY, Docteur en droit (UCAD)
44. Ibrahima SYLLA, Docteur en science
politique (UGB)
45. Dielya Yaya Wane, Docteure en droit (UASZ)
SOURCE:http://www.sudonline.sn/non-m-le-president-le-conseil-n-a-pas-rendu-une-decision-mais-un-avis-consultatif-qui-ne-vous-lie-pas_a_28654.html