L’OBS – Directeur du Centre national de ressources éducationnelles (Cnre), Sidy Sam, didacticien des Langues et doctorant en Langues nationales et Allemand revient, dans cet entretien, sur les missions, réalisations et projets de cette direction chargée de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales.
Quelle est la vocation du Centre national de ressources éducationnelles (Cnre) ?
Le Cnre est une direction rattachée au Cabinet du ministère de l’Education nationale. Son décret de création date de 2008. Aujourd’hui, avec l’avènement du Secrétariat d’Etat à l’Alphabétisation et la Promotion des Langues nationales, le Cnre dépend de ce Secrétariat qui a en charge la politique de l’Etat du Sénégal en matière d’Alphabétisation et de Promotion des langues nationales. Le ministère de l’Education nationale a pour mission de préparer et de mettre en œuvre la politique de l’Etat du Sénégal en matière d’Education, d’Alphabétisation et de Promotion des langues nationales. Et à travers le Secrétariat d’Etat, nous travaillons à la mise en œuvre de ces missions dans le sous-secteur de l’Alphabétisation et des Langues nationales. On peut parler aussi de sous-secteur de l’Education non formelle. Le Cnre a une mission de gestion et d’administration des crédits qui sont alloués au sous-secteur de l’Alphabétisation. Les crédits du Programme national d’alphabétisation, par exemple, sont gérés par le Cnre. Le Cnre a également d’autres missions techniques comme la capitalisation, le renforcement des capacités des acteurs, la promotion de l’environnement lettré et la recherche-action. La recherche, c’est ce qui nous vaut des conventions de partenariat avec des Institutions universitaires telles que l’Institut fondamental d’Afrique Noire (Ifan), l’Ecole nationale d’économie appliquée (Enea) et, dans une moindre mesure, avec la Fastef et des écoles doctorales.
Les champs d’action du Cnre se limitent donc juste à l’Alphabétisation et à la Promotion des langues nationales ?
Essentiellement, mais nous avons aussi une branche dédiée à la formation qualifiante, parce que, de plus en plus, la formation qualifiante s’articule autour de l’alphabétisation primaire. C’est-à-dire, doter les apprenants d’une éducation de base afin qu’ils sachent lire et écrire. Ces apprenants sont, pour la plupart, des personnes en âge adulte ou des jeunes qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école ou d’y rester longtemps. Il s’agira, pour le Cnre, de les doter de compétences en écriture et en lecture. Et c’est sur la base de ces compétences qu’ils vont acquérir une formation qualifiante dans différents métiers.
L’alphabétisation est souvent considérée comme quantité négligeable par les populations. Est-ce la raison de la mise sur pied de ce centre ?
Il y a une volonté politique qui s’est manifestée depuis des années déjà dans la constitution et la ratification de plusieurs chartes. Dans son message à la Nation en 2013, le président de la République a encore évoqué la promotion des Langues nationales. De cette volonté politique, va suivre l’accroissement des ressources et des moyens parce que, sans un monde alphabétisé, il sera difficile d’atteindre les objectifs du Pse et même de l’Acte 3 de la décentralisation.
Est-il facile pour une personne en âge adulte de retourner en classe ?
En général, ce sont des adultes motivés et il est impossible de leur faire faire des choses sans leur consentement. Et souvent, ce sont des personnes très enthousiastes, car cela se fait dans la langue qu’elles parlent. Et, a priori, cela ne pose aucun problème. Maintenant, dans notre mission de recherche-action, nous sommes en train de voir comment alphabétiser mieux et à moindre coût. Et là, il faut qu’on travaille sur les méthodes didactiques, les méthodologies et les référentielles de compétences. Cela permettra de définir le profil de l’apprenant à l’issue de sa formation. Il y a ce qu’on appelle une alphabétisation primaire et une alphabétisation fonctionnelle qui lui permet de s’épanouir dans son métier.
Y a-t-il un suivi dans ce processus d’alphabétisation ? Y a-t-il eu des exemples de réussite de personnes qui, à l’issue de la formation, ont réussi à s’insérer dans le milieu professionnel ?
Il y a un suivi-évaluation des néo-alphabètes. On essaie de voir s’ils ont conservé ces acquis. Et sur le plan professionnel, les bénéficiaires de projets articulés à l’alphabétisation et à l’apprentissage de métier sont aussi suivis et évalués. Au Cnre, nous avons aussi un projet de renforcement de capacités des jeunes qui vient renforcer les capacités techniques des jeunes artisans. Donc, il y a un premier volet constitué de l’alphabétisation et du renforcement de capacités techniques et managériales. Il y a aussi un 2e volet du projet qui comprend l’équipement en matériel pour leur permettre de s’épanouir dans leur métier. Le suivi de tout cela, c’est de les trouver sur leur lieu de travail et de voir comment ils s’épanouissent dans leur métier économiquement. Il y a le projet Prc/Jeunes qu’on effectue en étroite collaboration avec l’Ambassade des Etats-Unis qui finance le projet à hauteur de 75% et l’Etat du Sénégal complète les 25%restants. Dans quelques jours, nous allons procéder, avec les autorités, à la remise des équipements à des jeunes de 4 régions du Sénégal que sont : Kaolack, Kaffrine, Kolda, Koungheul et Dakar. Il y a au moins 400 jeunes qui vont bénéficier de ce programme.
«624 millions de FCfa pour l’ouverture de 460 classes d’alphabétisation et 14 000 Sénégalais alphabétisés»
A vous entendre parler, on dirait que le Cnre génère beaucoup de fonds. D’où viennent ses ressources ?
L’autre mission du Cnre, c’est de chercher des ressources additionnelles qui nous viennent des partenaires, comme l’Ambassade des Etats-Unis et de l’Unesco Breda, à travers le projet Pagef. Les ressources peuvent aussi provenir de la fonction «Service» du Cnre. Nous avons un cadre qui est mis à la disposition du ministère de l’Education nationale et d’autres usagers externes. Ce cadre-là accueille des ateliers, des conférences et des séminaires. Il nous permet de réunir des fonds d’appui à des activités d’alphabétisation et de dotations de matériel.
Quel est le budget global du Cnre ?
Le budget du programme d’alphabétisation est de l’ordre de 624 millions de FCfa pour l’ouverture de près de 460 classes d’alphabétisation. En 2013, nous avons pu alphabétiser près de 14 000 Sénégalais. La tranche d’âge de la population alphabétisée varie entre 15 ans et plus.
Hormis la formation et la dotation en équipements, quelles sont les autres réalisations du Cnre ?
Le Cnre travaille à la promotion des Langues nationales. Et dans ce cadre, nous avons mis en place le Centre de documentation et d’information (Cdi) qui est mis à la disposition du sous-secteur de l’Alphabétisation et des chercheurs qui pourront trouver sur place des productions dans les langues nationales. Le Cdi a aussi une plateforme Internet qui permet la consultation à distance de sa bibliothèque. Nous avons réalisé, en collaboration avec l’Ifan, un livre intitulé «Des langues, Une nation». Ce livre comporte 14 langues nationales traduites en Wolof et en Français.
Est-ce que l’alphabétisation dans les langues locales a une chance de percer dans un monde constamment en mutation ?
Nous avons récemment bouclé les Assises de l’Education et la recommandation de ces Assises est de se baser sur les langues nationales comme langue d’instruction pour avoir une éducation de qualité. Il est établi par les experts qu’on ne peut pas valablement éduquer les enfants sans avoir recours aux langues nationales. Cela n’exclut pas qu’il y a plusieurs formats d’apprentissage en langue nationale et en Français qui est notre langue officielle.
Alphabétiser une population à 50% analphabète n’est pas une tâche aisée. Les difficultés ne doivent pas manquer ?
Les ressources ne sont pas souvent en adéquation avec les besoins. C’est à nous de chercher les voies et moyens pour trouver des solutions. Avec l’avènement du Secrétariat d’Etat à l’Alphabétisation, il y aura une nouvelle orientation de la politique en matière d’Alphabétisation et cette politique est déjà définie dans la lettre de politique sectorielle pour l’Education. C’est aussi défini dans le Programme Sénégal émergent (Pse) et l’Acte 3 de la Décentralisation. A terme, il nous faudra réorienter notre politique en matière d’alphabétisation. Et ainsi, la responsabilité des programmes d’alphabétisation va revenir aux collectivités locales. A charge pour nous d’appuyer ces collectivités locales et de leur faire bénéficier d’un renforcement de capacité pour qu’elles puissent mettre en œuvre cette responsabilité-là en recensant les besoins en alphabétisation de leurs collectivités. Et ensuite, le ministère de l’Education va les accompagner et les appuyer. C’est une lourde tâche, mais si l’initiative vient des collectivités locales, le Cnre, les partenaires techniques et financiers et le privé pourront les appuyer. Notre souhait, c’est de mettre sur pied une coalition nationale dénommée «Tous pour l’Alphabétisation», parce que c’est la voie indispensable pour le développement et l’émergence du Sénégal.
Les projets du Cnre ?
Nous sommes en train d’élaborer, en collaboration avec e-book Africa, un manuel numérique qu’on mettra sur support tablette, ainsi les apprenants pourront, d’une manière autonome, apprendre à lire et à écrire avec des moyens technologiques très modernes. Le programme d’alphabétisation de 2013 s’appelait «Alphabétisation articulée aux Tic». Actuellement, nous sommes en train de travailler à l’élaboration d’un livre numérique qu’on mettra sur des tablettes et qui sera mis à la disposition des apprenants.
NDEYE FATOU SECK