L'ancien militant du PAI cultive la faculté d'indignation depuis la jeunesse. Et cette soif de justice n'est pas près de se tarir.
Voici un personnage qui pense sous le choc des évènements de l'actualité. Il ne se passe quasiment pas un mois, sans qu'il ne prenne sa plume pour réagir sur un sujet qui agite le débat public. S'il est difficile de mettre un visage sur son nom, tant ses apparitions publics sont rares, les lecteurs de journaux, ces Bibles de l'homme moderne comme raillait le philosophe Hegel, connaissent très bien sa signature.
Et, ils ont récemment pu déguster son hommage à Nelson Mandela publié dans les colonnes du quotidien Sud. Ce petit homme au visage sec, et à la démarche très alerte malgré ses 72 ans, n'est pas du genre à goûter paisiblement la retraite confortablement assis sur son canapé ou à jouer aux mots-fléchés pour faire passer le temps. Ses journées, il les occupe à dévorer chaque ligne des journaux et à surfer sur Internet. Dans l'espoir de trouver l'élément susceptible de stimuler sa réflexion. « Raison pour laquelle j'ai été un peu désoeuvré quand on m'a volé récemment mon ordinateur portable, raconte-t-il. J'aurai préféré mille fois plus que l'on me vole de l'argent ». L'indifférence est un mot qui ne fait pas partie de son vocabulaire. « On doit toujours tenter de servir son prochain, plaide-t-il. Chacun de nous devrait faire quelque chose au service de sa communauté ». C'est cette soif perpétuelle de justice sociale qui explique son engagement constant contre l'ancien chef de l'Etat Abdoulaye Wade. Que ce soient par le biais de contributions dans la presse, ou dans des essais (Le Sénégal sous Abdoulaye Wade : Banqueroute, corruption et liberticide, Harmattan, 2010; Le pouvoir de Wade, Harmattan, 2013), l'homme n'a cessé de dire tout le mal qu'il pensait de l'homme de l'Alternance. Et aujourd'hui encore, les années Wade restent une grosse pilule qui a du mal à passer : « Wade est, à l'heure où nous parlons, le pire président de l'histoire du Sénégal. On n'a toujours pas mesuré tout ce qu'il a fait comme mal. Abdou Diouf était, certes, un réactionnaire, mais il n'a pas volé d'argent ni créé des riches artificiels. Wade a causé tellement de dégâts... Il s'est pris pour un roi. On ne peut pas l'épargner ». L'homme de gauche, qu'il est, qui avoue être rétif à toute forme de pouvoir, n'est guère plus enthousiasmé par le nouveau régime. « Ce pouvoir avait promis la rupture, mais il y a des résurgences de certaines pratiques du précédent régime », constate-t-il. La nouvelle Agence de sécurité de proximité, qu'il a comparé à une « milice déguisée » dans une récente contribution (il en compte plus d'une centaine), est un des griefs qu'il reproche au pouvoir en place. Mais plus généralement, cet homme à l'indicible sensibilité qui a pleuré à deux reprises durant l'entretien, aimerait que les hommes politiques sénégalais soient plus désintéressés et s'inspirent plus d'un Nelson Mandela. « Le confort doit venir après la peine, juge-t-il. Niakk Jaarinu ».
Rébellion précoce contre l'injustice
Lui le natif de Linguère a connu le don de soi la souffrance tout au long de son parcours. D'abord à l'école, où ses velléités de mener de brillantes études se sont heurtées aux desiderata d'un maître violent et peu scrupuleux, qui a refusé de l'inscrire à l'examen de l'entrée en sixième. «Les maitres étaient des Dieux qui décidaient ce qu'ils voulaient, narre-t-il. A l'époque, on n'était pas tenu de présenter tous les élèves à l'examen de l'entrée en sixième. Les maîtres ne sélectionnaient que les élèves susceptibles de leur garantir un taux de réussite de 100%. C'est comme ça que je suis sorti du circuit scolaire, alors que j'avais obtenu un Certificat d'études primaires ». C'est avec ce maître-là, qui le battait à l'occasion, qu'il a entrepris sa première révolte contre l'injustice. « Je lui ai écrit pour protester contre son traitement à mon encontre, raconte-t-il. Et, c'est à la suite de cet événement que j'ai quitté l'école ». Sorti du circuit classique, lui l'enfant d'une famille modeste , né d'un père qui officiait comme garde républicain, s'inscrit aux cours du soir organisés par la Chambre de commerce de Saint-Louis. C'est là qu'il côtoie Tidiane Baïdy Ly, professeur au collège Blanchot, qui fera figure de mentor auprès de lui. Tâtant du basket, à l'occasion, Mandiaye et ses camarades intègrent petit à petit les rangs du Parti Africain de l'Indépendance (PAI). Il a 18 ans à l'époque, ce qui ne l'empêche pas d'être un militant engagé. Aujourd'hui, encore, il se souvient avec ferveur de l'élection de 1960 et des circonstances de la dissolution du parti : « Le PAI avait toutes les chances de remporter l'élection dans la ville de Saint Louis. Mais Senghor et Dia ne l'entendaient pas de cette oreille. Ils ont provoqué les gens, cassé les urnes, le jour du scrutin. Les gens ont riposté. C'était violent et il y a eu plusieurs arrestations. Le parti a finalement été dissout et ses membres sont entrés dans la clandestinité ». Le parti, profitant des bisbilles entre Modibo Keita et Léopold Senghor, prend quartier à Bamako, pendant que lui continue sa formation à Moscou dans le cadre de l'Institut de coopération internationale. Après trois années dans le froid russe, l'homme doit revenir à Bamako. Mais entre temps, les présidents sénégalais et malien se sont rabiboché, et dès qu'il atterrit sur le sol malien, lui et quelques uns de ses camarades sont tout de suite cueillis à leur descente de l'Express puis expédiés en prison à Reubeuss. Son séjour en prison durera quatre mois, sans que ses parents ne soient au courant. Néanmoins, celui qui s'est mis à l'écriture sur les conseils de Seydou Cissokho, ancien dirigeant du PAI, et de Boubacar Boris Diop, n'en veut pas à Senghor de tous ces désagréments. « Senghor nous a permis d'endurer certaines situations, explique-t-il. Il nous a permis de découvrir ceux qui étaient résistants et convaincus de leur engagement ». Paradoxalement, il en veut plus à Abdoulaye Wade qui était, pour la petite histoire, son avocat et qu'il qualifie de personnage « cynique », qui a « l'art de rouler les gens ». « Il n'a jamais été révolutionnaire », tranche-t-il.
En souvenir de cette époque, lors de laquelle on se battait pour conquérir ses droits, Mandiaye Gaye, qui est devenu par la suite comptable à Africautos et le chroniqueur que l'on sait, aimerait que les générations actuelles s'engagent un peu plus. « Maintenant la vie est plus facile, estime-t-il. A l'époque, les gens s'engageaient entièrement. Tu contribuais non seulement mentalement et physiquement, mais aussi matériellement. Aujourd'hui quand vous allez dans une réunion, vous vous assurez de savoir s'il y a un repas. Alors que nous ne mangions que des cacahuètes ou du café pour ne pas dormir. Pour le transport aussi, même chose, on devait se débrouiller ». L'autre grand regret c'est qu'il aurait, également, préféré que sa descendance l'aide un peu plus dans ses travaux. Sauf que l'engagement ne se transmet pas par les gènes : « J'ai un seul garçon (il a également deux filles) et j'aurai bien voulu qu'il soit plus concerné. Mais, lui c'est un Baye Fall. J'ai tout fait, mais il n'est pas intéressé »... Mais que l'ancien militant gauchiste se rassure. Le combat, il le mène bien tout seul.
Adama NDIAYE