Yoff, en cette fin d’après-midi, un vent frais engourdit les ruelles sablonneuses menant à la mairie. Sur place, la cour piquée par quelques arbres verdoyants accueille depuis le 5 avril l’exposition des œuvres de l’artiste tétraplégique Yoni Rassoul Diongue. Une partie des tableaux de cette jeune peintre, qui sont à découvrir jusqu’au 19 avril, ornent les murs blancs de l’édifice. Le thème choisi pour cette exposition, « Xaragne », cadre parfaitement avec le talent de cet artiste qui peint avec la bouche.
La peinture de Yoni Rassoul Diongue, qui se singularise par la mosaïque des couleurs et les thèmes abordés, est exceptionnelle. Comme l’est d’ailleurs la vie du peintre. Son expérience particulière y est forcément pour quelque chose, après seulement 19 ans d’existence…
Née dans une famille modeste en avril 1995, l’horreur commence assez tôt pour cette jeune tétraplégique qui vient à peine de frapper à la porte du monde de l’art. Son histoire se tient en quelques lignes ; quitte à arracher des larmes aux émotifs.
Studieuse jusqu’à dix ans, Yoni Rassoul Diongue ne présentait aucun signe d’anomalie encore moins de maladie. Mais, tout bascula un jour, le temps d’une soirée.
Histoire atypique
« J’ai eu une enfance normale. C’est à l’âge de 10 ans, alors que j’étais à l’école élémentaire, que je suis soudainement tombée malade. Mon père qui avait l’habitude de nous ramener des fruits et autres sucreries est revenu un soir avec du lait caillé, j’en ai bu un verre et j’ai eu une crise au milieu de la nuit… », raconte-t-elle, dans une voix à peine audible. Transportée à l’hôpital Nabil Choucair puis au Centre hospitalier universitaire de Fann, elle y restera dans le coma pendant 1 mois 15 jours. Yoni qui souffre du neuro-palu, perd l’usage de ses membres plus tard. Avec le temps, le potache qui nourrissait pourtant le rêve de marcher et de jouer comme les enfants de son âge, voit son espoir fondre comme du beurre sous le soleil. Elle devient définitivement paralysée sous le regard impuissant de ses parents. Commence alors une nouvelle vie pour la gamine.
Depuis cet épisode, le temps a passé… Yoni qui vient de fêter ses 19 ans a trouvé une consolation auprès de son créateur. Sans être trop fataliste, elle estime remettre tout sur le compte de la volonté divine même si au départ elle se sentait un peu gênée. Aujourd’hui, c’est avec émotion qu’elle évoque le souvenir d’une enfance vivace où l’espoir laisse place à la souffrance. « Je crois en Dieu et c’est grâce à la religion, avec l’aide de mon guide spirituel, Cheikh Alassane Sène, que j’ai su surmonter ces mauvais souvenirs pour ne plus voir que la volonté du Seigneur. Je n’ai jamais considéré mon handicap comme une frustration», souffle-t-elle.
Native de Ziguinchor, l’artiste a presque fait tout son cursus scolaire à Dakar. A l’école, rappelle son père, elle s’est toujours illustrée, en faisant partie des meilleurs de sa classe. Déjà, à cet âge, elle rêve de devenir avocate, ministre ou fonctionnaire. Une grande célébrité tout simplement. Ambition précoce pour un enfant du primaire ! Mais, c’était sans compter avec le destin.
Voix douce, sourire pétillant sur un visage de beauté qui contraste avec le reste du corps, Yoni Rassoul Diongue vit avec son handicap et récuse la fatalité. Modèle de courage et de foi, elle refuse de capituler devant la maladie. L’artiste tétraplégique préfère se battre quotidiennement pour donner du sens à sa vie. Et pour ce faire, elle n’a que la mobilité de son cou et de sa bouche. Hors de question pour la jeune fille de faire le tour des rues pour tendre la main comme le fait bon nombre de ses semblables. « Je ne suis pas un handicapé mais un "handicapable"», dédramatise-t-elle, arguant que l’état de son corps ne l’empêche pas de faire beaucoup de choses. L’artiste utilise les Technologies de l’information et de la communication (Tic) avec une habilité qui étonne.
« Pinceau de la paix »
D’un père plasticien, la peinture est entrée naturellement dans la vie de Yoni Rassoul Diongue. Pourtant au début, elle ne pensait pouvoir y réussir. « Un jour, alors que mon père était en train de peindre, je lui ai demandé d’essayer. Il n’y croyait pas. A force d’insister, il m’a laissé faire. J’ai échoué à la première tentative. Mais, au fur et à mesure, j’ai fini par réussir », se souvient-elle.
Chez l’artiste tétraplégique, la peinture est un mode d’expression privilégié. Une activité qui lui permet d’oublier son handicap et d’entrer en communication avec les autres. La paix et la femme sont des sujets qui la touchent particulièrement. D’où tout le sens de son slogan : « Pinceau de la paix ». Et s’il y a une paix qui hante ses rêves artistiques et fertilise son inspiration, c’est bien celle de la Casamance. C’est pourquoi, nombreux sont les tableaux qu’elle y consacre. L’objectif du peintre est de jouer pleinement son rôle dans la stabilisation de cette partie du Sénégal en proie à un conflit qui a duré plusieurs décennies. L’univers virtuel de Yoni, c’est aussi les animaux, la nature, son entourage…
Aînée d’une fratrie de 6 personnes, Yoni Rassoul Diongue dont les études s’arrêtent à la classe de cinquième secondaire, n’a pu continuer faute de moyens. C’est dans ce sens qu’elle demande l’appui des autorités. Son ambition ? Devenir un grand artiste et faire rayonner l’image de son pays partout dans le monde. Faire des expositions à l’étranger fait partie aujourd’hui de ses projets phares. Aussi, comme tout jeune, Yoni ambitionne d’avoir dans un futur proche sa propre maison et une voiture qui la permettra de se déplacer régulièrement ; histoire de mieux partager ses idées et ses sentiments à travers son « pinceau de la paix »…
Ibrahima BA
source: http://www.lesoleil.sn/index.php?option=com_content&view=article&id=38346:yoni-rassoul-diongue-peintre-tetraplegique-quand-le-pinceau-aide-a-recouvrer-la-mobilite-&catid=78:a-la-une&Itemid=255