L’OBS – Dans la grande forêt verte du Parti socialiste, le grand Baobab Tanor trône inamovible depuis plus d’une décennie. Chef incontestable de l’héritage socialiste, où l’ombre d’un congrès fantôme et sans débat plane encore à la Maison du Parti à Colobane. Une dame, Me Aïssata Tall Sall, a osé secouer le «cocotier» à l’occasion des primaires, partis pour un plébiscite en faveur de Tanor. Mais par cet acte de défiance, Aissata Tall Sall a ramené le courage dans la maison socialiste. L’Obs a enquêté sur les relations entre Ousmane Tanor Dieng et Aïssata Tall Sall.
C’est un voyage dans l’espace et dans le temps. Un coup d’œil dans le rétroviseur vers l’année 1996. Cette année-là, l’air des vacances chatouille les narines, les nababs et autres politiques soucieux de se débarrasser d’un trop plein de cholestérol se plaisent à suer à grosses gouttes sur la Corniche Ouest. Ousmane Tanor Dieng, tout puissant ministre chargé des Affaires présidentielles flanqué de façon ostentatoire de ses gardes du corps, se cherche une aura chez les promeneurs du Parcours sportif. Un magistrat dont la raideur est rarement de la rudesse, le mari de Me Aissata Tall Sall, fils de Clédor Sall, ancien maire de Dakar, s’échine aussi à s’époumoner dans les allées de la Corniche. A cette époque, une rumeur drue fait croire que les deux hommes se lient d’amitié. Et in fine, le mari magistrat présente sa «belle» avocate à Tanor Dieng. Puis, lors d’un débat télévisé, Me Aissata Tall Sall se fait l’avocate du régime Diouf et crève l’écran avec panache. Elle a 39 ans et une fraîcheur de jeune fleur. Elle n’a pourtant pas encore sa carte du parti. Des suiveurs de la grande boucle socialiste estiment que la vedette cycliste, Ousmane Tanor Dieng, tout puissant ministre d’Etat, ministre des Services et Affaires présidentielles, tombé sous le charme, la convoque au Palais et lui dresse un portrait rose bonbon auprès du Président Abdou Diouf. Cette année-là, dans le gouvernement post Législatives du régime socialiste, des têtes de cadors du parti tombent, d’autres émergent. Me Aissata Tall Sall est nommée ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement. La dame, échappée de la chaleur torride de Podor, marche alors vers son destin. Ministre, son discours a de l’impact sur l’opinion, politique, elle n’a pas de base. Mais selon des «monuments» de ce parti aujourd’hui à la retraite qui préfèrent se mettre au dessus de la mêlée. Comme c’est le cas de l’ancien maire de Dakar, Mamadou Diop, que l’on retrouve dans sa cossue résidence Mame Ndiaré à Yoff, vêtu d’un djellaba beige, la posture de sage en sus. «Je ne peux pas me contenter de faire des jugements sur des personnes. Surtout que Tanor a été mon étudiant à la Faculté de droit en 1972 et Aïssata Tall Sall est ma fille. Alors, parler de leurs relations, je ne le ferai jamais», évacue-t-il. Dont acte.
«Tanor a fabriqué Aïssata Tall Sall de toutes pièces»
Abdoulaye Wilane, tout frais élu chef de file de l’Union régionale Ps de Kaffrine, crayonné comme un Pro-Tanor convaincu, ne manque pas de lâcher la phrase qui tue. «C’est Tanor qui a fabriqué Aïssata Tall Sall de toutes pièces. C’est lui qui l’a nommée ministre de la Communication et Porte-parole du gouvernement. Ensuite, avec l’aide de Tanor et d’Abdou Diouf, elle a créé l’Alliance pour le Fouta, façon de l’aider à se faire un nom dans la zone nord», explique l’élu de Kaffrine. Puis, la Pular franchit les étapes en bousculant par ses idées les dinosaures socialistes qui composaient le groupe d’études et de réflexion du Parti socialiste (Ger) où ses exposés sont courus, ses débats prisés. Youssou Mbow, fidèle de Aissata Tall Sall, sonne la riposte et crie au blasphème. «Je n’entre pas dans des débats de bornes fontaines, menées par de petites gens. J’estime que ce qui me préoccupe, c’est dans cinq ans, ce que sera le Parti socialiste. Mais vouloir ramener le débat à une affaire de personnes, c’est réducteur. Et cela dénote du manque d’orientation des gens qui sont à la tête du parti», regrette le coordonnateur des enseignants socialistes. Un ange passe.
Au début des années 1990, quand Ousmane Tanor Dieng fait son entrée au Parti socialiste. Il va droit au but en s’alliant avec une femme comme Aminata Mbengue Ndiaye, qu’il prend sous son aile. Et cela a fait jaser. Puis en 1996, rebelote, il en fait de même avec Aissata Tall Sall. «C’est à partir de ce moment que les deux femmes du Parti socialiste se mènent une guerre en sourdine. Chacune voulant gagner les faveurs de leur mentor. Mais après la défaite survenue en 2000, Ousmane Tanor Dieng se rend compte qu’Aminata Mbengue Ndiaye, présidente nationale des femmes du Ps, montre plus de combativité que Aissata Tall Sall. L’avocate donnait plus de temps à son métier. C’était normal et c’est à ce moment que Tanor a commencé à se méfier de cette dame», constate un ancien responsable du Parti socialiste. Ce revers électoral de 2000 va laisser des séquelles gardées sur la peau comme des cicatrices de guerre. Car Aissata Tall Sall digère mal les défaites et celle de 2012 est la goutte d’eau de trop qui va faire déborder le vase de ses relations avec Ousmane Tanor Dieng.
Les raisons du clash entre Tanor et Aissata Tall Sall
On est en 2012. Alors que le candidat de la coalition Benno Ak Tanor se satisfait de sa défaite, jubilant aux côtés du vainqueur Macky Sall. Le Sénégal s’achemine vers un second tour avec une coalition Bennoo Bokk Yaakar qui compte bouter dehors le régime d’Abdoulaye Wade. Chez certains responsables socialistes atterrés par la défaite, la pilule est amère et difficile à avaler. Surtout que Aissata Tall Sall, qui se morfond dans son coin, lâche une phrase assassine qui douche les ardeurs de Tanor et ses «dames» de compagnie. «Le charisme du candidat compte dans une élection», largue-t-elle dans le jardin de Tanor. Une seule et simple phrase, qui a fait bourdonner les oreilles des partisans et fidèles de Ousmane Tanor Dieng. Eux sonnent la riposte à travers les médias. Tanor rumine sa colère en silence et attend la socialiste au tournant du partage du gâteau du Macky pour lui faire ravaler ses propos. Le Sénégal change de tête et il faut vite se remettre au travail. La formation du nouveau gouvernement est dans l’air du temps. L’on exige aux alliés de donner des noms pour la formation du nouveau gouvernement. L’on n’agite même pas le nom de Aissata Tall Sall. Tanor Dieng propose plutôt le nom de Aminata Mbengue Ndiaye pour décrocher le portefeuille ministériel des femmes socialistes. Exit Aissata ! Une «trahison» qui reste en travers de la gorge de l’édile de Podor. «C’est ce qui a même créé la rupture entre Tanor et Aissata Tall Sall», analyse un observateur de la scène politique. Le chef de file des socialistes, couteau aux dents, l’attend encore au tournant devant l’Assemblée nationale pour priver Aïssata Tall Sall du poste tant convoité de vice-Présidente de L’Assemblée nationale. Une attitude de Ousmane Tanor Dieng qui n’étonne pas cet ancien responsable socialiste. «Tanor est un homme qui étouffe les ambitions de ses collaborateurs. Il n’accepte pas que quelqu’un émerge et c’est ainsi que Aissata Tall Sall a subi ses foudres», affirme ce socialiste qui a quitté aujourd’hui la maison.
Elu en 1996, dans un congrès sans débat, Ousmane Tanor Dieng s’octroie une légitimité historique, en 2000, après la défaite socialiste après 40 ans de règne sans partage. Mais depuis, l’homme accumule les revers électoraux, les uns plus cinglants que les autres. En 2007, il ne recueille que 13,56 % des suffrages. Alors que le score légué par le Président Abdou Diouf en 2000 au second tour de l’élection présidentielle s’était arrêté à la barre de 41,9 % des suffrages. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2012, Ousmane Tanor Dieng se retrouve avec 11,3 % et suprême humiliation, son «ennemi» de toujours, Moustapha Niasse, hérite du prestigieux fauteuil de la présidence de l’Assemblée nationale. C’est pourquoi, chez beaucoup de socialistes, la bravade de Aissata Tall Sall sonne comme une des premières salves d’une révolte sourde qui entend déraciner le baobab Tanor. Insensible aux coups de boutoir. Maintenant quid de l’avenir de Aïssata Tall Sall ?
MOR TALLA GAYE
CONTROVERSES AUTOUR DU RETRAIT DE LA CANDIDATURE DE AISSATA TALL SALL
Ces calculs politiques qui ont perdu Khalifa Sall
Toute l’histoire autour du retrait très controversée de la candidature de Aïssata Tall Sall de la course pour le Secrétariat général du Ps est pensée et exécutée par Khalifa Sall. Le maire de Dakar s’est retrouvé prisonnier dans son propre jeu.
L’épais brouillard qui enveloppait le jeu autour de la succession de Ousmane Tanor Dieng à la tête du Parti socialiste (Ps) disparaît peu à peu. Cette situation laisse apparaître les petites combines et autres manœuvres souterraines pensées et entretenues durant la semaine du démarrage du vote. De la forteresse socialiste de Colobane où se gardent, le plus souvent, les plus grands secrets de la gestion interne du parti, commencent à sortir les premiers éléments qui mettent à nu les plans ourdis par des responsables de premier plan. Les deux personnalités les plus en vue dans ce jeu sont la candidate déclarée à la succession du Secrétaire général du Parti socialiste, Aïssata Tall Sall, et le maire de Dakar, Khalifa Sall, dont la candidature avait été attendue. Les questions suscitées par le «retrait» de la candidature de Aïssata Tall Sall trouvent des débuts de réponses. Dans cette affaire, il s’est agi d’une part, d’une «opération de sauvetage déguisée» à la mairesse de Podor et, d’autre part, d’une occasion de rachat politique pour le maire de Dakar.
L’acte posé par Khalifa Sall en publiant son communiqué qui met fin à la compétition au nom de la cohésion du parti, livre ses secrets. En réalité, le président du Comité national de pilotage et d’évaluation des renouvellements du Ps a pourtant été on ne peut plus clair, par moments. Les mots utilisés ne sont pas gratuits, même s’il a fait dans des insinuations. Même s’il ne le dit pas dans son texte, Khalifa Sall a bien discuté avec Aïssata Tall Sall. Des informations recoupées à différents niveaux, il ressort que les deux responsables socialistes se sont entretenus à plusieurs reprises. C’est «aux termes de ces échanges» qu’il est convenu de «sauver» la mairesse de Podor au moment où les premiers résultats issus des votes de quelques Commissions administratives (Ca) plébiscitaient Tanor Dieng. Les écarts sont insolents. Une tendance qui, si elle se confirme, n’allait même pas créditer Aïssata Tall Sall de plus de 5% des suffrages. Une correction «souhaitée» par ses adversaires.
Les dessous de l’opération de sauvetage en faveur de Aïssata Tall Sall. Face à ce risque d’être «humiliée», la députée socialiste range ses principes qui avaient justifié sa candidature, au nom de la discipline du parti. Mais avec la condition de ne pas formaliser son retrait de la course. Par contre, son mérite reste entier. Le médiateur prend la décision d’écrire un communiqué balancé à la presse. Khalifa Sall agit seul. Les autres membres du Comité national de pilotage et d’évaluation des renouvellements du Ps sont mis devant le fait accompli. D’ailleurs, la question a occupé l’essentiel des débats le vendredi matin, lors de la réunion de cette structure. Des témoins rapportent que le maire de Dakar a été malmené pour la liberté qu’il a prise. Devant les critiques de ses camarades, il a lancé : «Je ne voudrais pas qu’on me pousse à dire des choses que je ne voudrais pas dire.» Une position qui serait liée à un serment qu’il a fait à Aïssata Tall Sall. Des arguments qui ne convainquent pas ses camarades qui décident de publier un communiqué signé par Serigne Mbaye Thiam. «Le retrait ou non d’une candidature n’a aucune incidence sur le déroulement du processus, conformément aux dispositions pertinentes des textes du parti et dont l’objectif est de conférer une légitimité incontestable au Secrétaire général», lit-on dans le texte. En réalité, les Socialistes n’ont pas voulu tomber dans le piège d’arrêter la compétition, ce qui ouvrirait la voie de la contestation.
Seulement, à travers son opération sauvetage, Khalifa Sall abattait ses propres cartes politiques. Son action n’est pas désintéressée. Bien au contraire, le maire de Dakar dont le courage politique a été affecté après qu’il s’est abstenu de se présenter contre Tanor Dieng, voulait rebondir. Sa place de challenger est dérobée par Aïssata Tall Sall qui a réussi à établir une bipolarisation entre Tanor et elle à la tête du parti. Cette nouvelle redistribution des cartes ravale le maire de Dakar loin derrière la mairesse de Podor. Il lui fallait un artifice pour revenir à la surface. Une situation qui s’est retournée contre lui suite au désaveu qu’il a essuyé de la part de ses camarades.
NDIAGA NDIAYE
SOURCE:http://www.gfm.sn/revelations-sur-les-relations-entre-ousmane-tanor-dieng-et-aissata-tall-sall/