L’OBS – Son nom a été mêlé à une affaire d’escroquerie foncière, qui lui a coûté une nuit de garde à vue. Le dossier classé sans suite, Babacar Ndaw, ancien ministre des Ecovillages, des Bassins de rétention et de l’Aquaculture, donne le fin mot de cette histoire dans cet entretien. Le responsable libéral évoque également les questions de l’heure, ainsi que son avenir politique.
Vous avez été au cœur de l’actualité ces derniers jours pour une affaire d’ordre judiciaire, mais on ne vous avait plus entendu depuis la perte du pouvoir par le Pds, pourquoi ce silence ?
Après chaque défaite électorale, il faut prendre du recul et réfléchir sur les perspectives. Le contexte politique sénégalais est très mouvant, les événements vont très vite, et cela impose, à mon avis, la nécessité de marquer une pause pour mieux apprécier la situation. J’ai beaucoup réfléchi pendant cette période, tout en continuant à m’engager, à travailler au sein du Parti démocratique sénégalais (Pds) comme je l’ai toujours fait. Mais j’étais dans une situation de recul, j’écrivais beaucoup, parce que je me sens un devoir de laisser quelque chose à cette nouvelle génération, notamment les étudiants, pour qu’ils sachent comment nous luttions, comment ces luttes ont porté leurs fruits sans pour autant compromettre leur avenir en tant qu’étudiants.
On vous a cité dans une affaire d’escroquerie foncière, que s’est-il passé exactement ?
J’ai été cité dans un problème de justice, avec une société immobilière (SCAC Afrique) dont j’appuyais le président (Salomon Mbutchu), mais je n’en suis pas un agent. Le président de cette société est mon ami, il m’a demandé de l’aider à diligenter les procédures relatives à l’obtention de leurs titres de propriété. Sachant que pour avoir été ministre et au service de l’Etat pendant plusieurs années, j’ai des relations qui pourraient l’aider à dénouer certaines situations, il a fait appel à moi. Nous avions pris contact entre les mois de mars et avril derniers, et je m’étais engagé à l’aider dans ce sens. Moins de cinq mois après, certains clients de la société qui avaient souscrit à des programmes d’acquisition de parcelles depuis 2 ou 3 ans, se sont plaints auprès de la Direction de la surveillance et de l’occupation du sol (Dscos) et j’ai été invité par le président, absent du territoire, à aller voir ce qui se passait et essayer de l’aider à dénouer la situation. Je suis allé voir le Directeur de la Dscos, qui m’a fait comprendre qu’il y avait des plaintes de clients de la société immobilière devant le Procureur. J’ai rendu compte au responsable, qui a demandé à ses agents de répondre.
Parlez-nous de la société SCAC Afrique, de quoi s’occupe-t-elle exactement ?
La SCAC Afrique, une société régulièrement installée, qui a pignon sur rue, avec des bureaux à Dakar, Thiès, Saint-Louis, Kaolack, s’active dans le domaine de l’immobilier, en accompagnant la politique d’habitat social de l’Etat. Elle a régulièrement acquis des terrains auprès des collectivités locales et s’occupe des démarches administratives pour la régularisation. Elle offre des possibilités d’obtenir des terrains à travers des programmes allégés pour permettre aux populations d’un faible niveau de revenus, d’avoir accès à un toit et à des conditions très favorables, sans apport, avec paiement étalé. Ce qui s’est malheureusement passé pour le cas de ces clients, c’est que les procédures de mutation et de régularisation des terrains ont tiré en longueur, les titres de propriété n’étaient pas encore disponibles. Ils ont perdu patience et ont demandé à être remboursés.
Quel était votre rôle au sein de la société immobilière ?
C’était un rôle de facilitateur. Les rapports entre la société et les clients datent de plus de deux ans et moi, j’ai commencé à jouer ce rôle de facilitateur au mois de mars ou avril 2014. J’ai joué un rôle d’ami qui jouit d’une certaine crédibilité et qui a une expérience au dans l’administration pour aider à résoudre certaines difficultés. J’ai pu aider à faire accélérer certains dossiers, comme ceux de Thiès, qui sont sur la dernière ligne droite et qui devraient être finalisés dans un ou deux mois. C’est certainement à cause de tout cela que celui qui était chargé de mener l’enquête a estimé que j’étais le Directeur régional, c’est-à-dire le responsable de la branche Sénégal de la société immobilière, qui est aussi présente dans d’autres pays africains. Et le responsable étant hors du territoire, il a estimé devoir m’interpeller pour les besoins de son enquête. Mais, être Directeur régional d’une société suppose la signature d’un contrat avec celle-ci, ça suppose aussi qu’on soit salarié, qu’on ait un bureau où se rend tous les jours. Ce qui n’est pas mon cas. Mais l’enquêteur n’a pas tenu compte de tout cela et il m’a embarqué.
Il se dit que vous avez fait une médiation pénale pour vous en sortir…
C’est la société qui a fait une médiation pénale, tenant compte du fait que certains clients voulaient récupérer les sommes qu’ils avaient cotisées. C’est tout naturellement que la société a accepté de rembourser tous les plaignants au lendemain de notre interpellation (la sienne et celle du Directeur des projets de l’entreprise, ndlr) et l’affaire a été classée sans suite par le Procureur.
Est-ce qu’on peut savoir combien la société SCAC Afrique a versé ?
Honnêtement, je ne sais pas, mais les sommes n’étaient pas très importantes. Il y avait quatre plaignants, et celui qui avait versé le plus avait donné environ 3 millions FCfa. Donc vous voyez qu’il n’y avait pas de quoi en faire toute une histoire.
Croyez-vous que c’est à cause de votre statut que l’affaire a pris cette tournure ?
Le Sénégal est dans une période politico-sociale très tumultueuse, où tous les prétextes sont bons pour traîner dans la boue les hommes politiques qui ne partagent pas la même conviction ou qui peuvent gêner. Il suffit qu’un homme public, un homme politique, soit cité dans une affaire pour que des gens tapies dans l’ombre s’activent pour le salir et l’offrir à la vindicte populaire, sans que l’on cherche à savoir ce qu’il en est réellement. Pour moi, ce sont des pratiques dépassées, inélégantes, qui ne correspondent pas à la vision que je me fais de la politique, mais malheureusement, des gens en sont toujours à ce niveau.
Pensez-vous qu’on puisse faire un lien avec la traque des biens mal acquis pour laquelle certains de vos camarades de parti sont inquiétés ?
Je ne pense pas. Personnellement, je crois que les gens connaissent le rapport que j’ai avec l’argent. J’ai été Directeur de cabinet de plusieurs ministères (Jeunesse, Environnement, ndlr), j’ai géré un projet de plusieurs milliards avec la coopération Pays-Bas – Sénégal, j’ai été Directeur de l’ONAS (Office national de l’assainissement) à deux reprises, avec un budget de 109 milliards FCfa pour des projets d’assainissement, j’ai été ministre pendant plus de deux ans, et partout où je suis passé, depuis le mouvement étudiant, je crois que les gens ont pu découvrir en moi un homme qui ne s’est jamais été irrésistiblement attiré par l’argent. Mais je ne sais pas s’il y a une main derrière… Je remarque juste que dans les médias, l’on n’a parlé que de ma personne, sans savoir réellement ce qui s’est passé. On a dit que j’ai été interpellé et gardé à vue par la Section de recherches de Colobane, ce qui n’était pas le cas, on a parlé d’achat de ma liberté à 9 millions, 5 millions pour d’autres, alors que ce n’est que la société qui a consenti à rembourser les clients qui le souhaitaient… En réalité, c’est la société qui était mise en cause. Maintenant, on en a profité, peut-être à cause de mon statut.
A votre avis, quelle main pourrait être derrière ?
Je ne peux indexer personne. Ce n’est pas mon style. Il peut s’agir d’éléments du régime qui visent à atteindre tout membre du Pds, tout comme il peut s’agir d’un autre niveau que je ne maîtrise pas. C’est cela le Sénégal d’aujourd’hui, il faut s’en désoler. Mais le plus important, c’est de regarder devant soi. C’est l’occasion pour moi d’appeler le Président Macky Sall à travailler à l’apaisement. C’est un ami, nous avons été ensemble à l’université de Dakar, dans le mouvement étudiant, ensuite au Pds, et il est dans son intérêt et dans l’intérêt de tout Sénégalais, d’en arriver à un climat politico social moins tendu.
Avez-vous perçu le soutien de vos camarades de parti lors de cette épreuve ?
Malheureusement, à part ceux de Grand-Yoff, je n’ai senti personne, et c’est vraiment dommage. Aucun responsable du Pds ne m’a appelé, ne serait-ce que pour s’enquérir de la situation ou pour me manifester un soutien. On vient de sortir d’élections locales et la section que je dirige à Grand-Yoff est la seule à être allée en alliance avec «Taxawu Dakar». Cela n’a pas plu à certains responsables du Pds, qui ne se sont pas arrêtés au constat, ils ont instrumentalisé des gens en leur donnant un mandat, de manière anti-démocratique, de présenter une liste contre la nôtre. C’était gênant et bizarre, mais c’est ce qui a été fait.
Cela a été fait par qui ?
Ceux qui l’ont fait on les connaît, il y a un chargé des élections et un coordonnateur au sein du parti. Cela n’a pas pu se faire sans eux. Les résultats étant ce qu’ils ont été, on peut dire que notre vision était juste. Abdoulaye Wade, en tant que secrétaire général du parti, a été clair, en disant : «Tout sauf l’Apr», et c’est ce que nous avons fait. Mais on accuse le coup et on avance. Wade a perdu le pouvoir, mais malheureusement dans son entourage, il y a des gens qui ne travaillent pas pour dépasser les anciennes pratiques qui ont conduit le parti à cette situation d’opposition.
Pourquoi avoir choisi d’aller avec Khalifa Sall ? Pourquoi n’avoir pas initié votre propre liste ?
C’est très facile de faire une liste, c’est la position la plus facile, mais en politique, la position facile n’est pas toujours la meilleure. Nous avions estimé à l’époque que la contradiction principale, c’était l’Apr et l’ancien Premier ministre (Mimi Touré), qui, pour nous, étaient la principale machine d’acharnement contre le Pds. Il fallait donc faire front et si beaucoup de gens avaient fait cette analyse dans le parti, nous aurions gagné dans beaucoup d’arrondissements et pourrions avoir des positions d’influence dans les Conseils municipaux. Les résultats que nous avons eus à Grand-Yoff, personne n’a fait mieux dans aucun conseil municipal, et nous avons participé à la défaite de « Benno Bokk Yaakaar » à Dakar, mais nous en avons tiré un gain politique minime. Il faut donc faire preuve d’ouverture dans certaines situations, mais malheureusement au Pds, il y a toujours des gens qui ont un raisonnement sectaire. Ce qu’il faut faire maintenant, c’est rassembler toutes les forces qui peuvent concourir à renforcer un pôle oppositionnel démocratique et conscient, c’est ça le combat.
Beaucoup de vos militants vous annonçaient à la tête de la mairie de Grand-Yoff, mais au finish, c’est un proche de Khalifa Sall qui a été élu, n’avez-vous pas été déçu ?
Je n’ai pas été déçu, parce qu’en politique, il faut prévoir tous les scénarios. Nous étions en coalition et ce qui comptait le plus, c’était ce qui nous réunissait, nous avons gagné notre combat, et le reste c’étaient des concertations entre nous. Mais nous avons trouvé des gens qui étaient déjà là depuis 2009, ce n’était pas évident qu’ils soient assez ouverts pour nous donner la mairie. Après les concertations, les gens ont estimé qu’il fallait laisser la mairie à ceux qui la géraient avant, mais en faisant en sorte que dans le partage des responsabilités, tout le monde se sente à l’aise. C’est ce que nous avons fait, et je pense que toutes les sensibilités représentatives ont pu être servies.
Ne vous sentez-vous pas trahi par Khalifa Sall ?
Je ne vois pas les choses sous cet angle. Parler de trahison suppose qu’il y a eu un accord qui n’a pas été respecté. Khalifa Sall n’avait pas pris cet engagement, donc il était libre d’avoir ses positions. Bien sûr, mon ambition était d’être à la tête de cette mairie, mais je fais partie des conseillers et une adjointe au maire est du Pds.
Vous considérez-vous toujours comme membre du Pds ?
Oui. Bien que je sois en train de mener une réflexion approfondie pour voir comment je pourrais davantage tracer mon itinéraire politique. Parce qu’il y a des moments où il faut savoir réfléchir et prendre des décisions.
Pourquoi ne vous sent-on pas trop dans les activités du parti, est-ce que vous vous y sentez à l’étroit ?
Oui, je l’avoue, dans la mesure où toutes les initiatives que je prends sont torpillées. Mais ça ne m’a pas empêché de participer à la vie du parti, j’ai été tête de liste à Dakar lors des Législatives, on a perdu. De plus, Dakar n’a même pas eu un député. Cela montre qu’il y a quelque part des forces qui ne veulent pas que des leaders émergent à Dakar. Je suis combattu dans le Pds, j’ai été combattu même quand nous étions encore au pouvoir. En 2009, j’avais formé ma propre liste, parce qu’on m’avait isolé, alors que tout le monde savait que la force à Grand-Yoff était entre mes mains. Il y avait des gens qui ne voulaient pas que Babacar Ndaw émerge et ils ont tout fait pour me combattre. Ils ne savaient pas qu’en le faisant, ils affaiblissaient le parti à Grand-Yoff et à Dakar.
Que comptez-vous faire alors ?
J’en ai tiré beaucoup de leçons, parce que si c’était seulement ce qui s’est passé lors des Locales, j’aurais pris ça comme une situation normale dans un parti, parce qu’on ne peut pas faire l’unanimité. Mais quand on utilise des moyens plus pervers pour combattre les gens, en légitimant des minorités par rapport à une majorité, ce n’est plus raisonnable. Et je ne peux pas passer mon temps à me battre dans un parti où on utilise des positions à des postes décisionnels pour me combattre.
Avez-vous l’intention de faire cavalier seul ?
En réalité, je suis dans une perspective de créer un vaste mouvement, j’y travaille depuis quelque temps avec des amis et cadres de ma génération, des gens qui aiment ce pays et qui veulent un meilleur devenir. Vous en saurez plus d’ici quelque temps. J’ai un itinéraire politique dans ce pays, ceux avec qui je travaille également, et nous avons toujours joué des rôles secondaires pour aider à faire avancer nos partis respectifs et les idéaux pour lesquels nous nous sommes toujours battus. Nous voulons influer sur le cours de l’histoire de notre pays, et nous pensons qu’il nous faut constituer une force politique pour y arriver.
Vous comptez donc quitter le Pds ?
Pour l’instant, ce n’est pas le cas.
Mais si vous créez un mouvement, ce sera hors du Pds ?
Oui absolument, ce ne sera pas un mouvement au sein du parti. Maintenant, tenant compte de l’évolution de la situation et du contexte politique, on verra ce que cela pourrait donner pour les échéances à venir. Le mouvement devrait être mis en place d’ici à la fin du mois d’octobre, au plus tard.
Allez-vous formaliser votre démission du Pds avant cela ?
Si ça nécessite que nous allions à un autre niveau, nous le ferons. Pour l’heure, nous nous sommes engagés à travailler dans une dynamique de créer un mouvement qui pourra influer sur le cours de l’histoire. Ce sera un mouvement à la fois politique et citoyen.
Quelle appréciation faites-vous de la situation actuelle du pays ?
Je pense que c’est vraiment malheureux pour notre pays. Le Président Wade avait engagé une bonne dynamique de développement, nous étions dans une bonne direction du point de vue économique, de l’approfondissement de la démocratie… le Sénégal avait fait un grand bond en avant. La période de Wade, c’était la période des vaches grasses, ce n’est pas le cas pour celle d’aujourd’hui. La dynamique enclenchée par Wade n’a pas été suivie par le nouveau régime. L’essentiel de ce que nous vivons aujourd’hui est une politique d’acharnement, de chasse à l’homme et de traque aux biens dits mal acquis. Et aucun pays ne s’est développé de cette façon, ce n’est pas la bonne voie pour le Sénégal. Aucun investisseur ou bailleur ne viendra dans un pays instable. Tant que ce problème perdurera, il est évident que le pays restera dans ce marasme économique. Il est temps que l’on s’arrête pour réorienter les choses. On ne peut pas construire un pays en étant dans une attitude revancharde et de combat.
ADAMA DIENG