Face au sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs, il ne peut y avoir ni concession ni compromission. C’est le message fort qui transparaît dans la réponse de Macky Sall à l’appel de Wade pour un dialogue politique. « Il faut bien sérier les problèmes pour ne pas créer de confusion », a réagi le chef de l’Etat en marge de la dernière cérémonie mensuelle de levée des couleurs. Puis, de faire cette précision qui s’impose : « une chose relève de l’Exécutif, du président de la République et de son Gouvernement ; une autre chose relève de l’Assemblée nationale et une autre relève enfin de la Justice».
Cette mise au point du chef de l’Etat est d’autant plus justifiée qu’elle renvoie au sage conseil de Confucius à ses compatriotes chinois. « Il faut s’entendre sur les mots pour éviter la guerre », disait en effet le grand inspirateur de la philosophie chinoise. Et c’est manifestement ce qu’a fait le Président Sall à propos de cette proposition loufoque de Wade qu’il prétend être une « invite au dialogue politique » mais qui n’en est pas une en réalité.
Aussi, le chef de l’Etat se devait-il de faire la part des choses afin qu’on « s’entende sur les mots » pour couper court à la confusion que son prédécesseur cherche délibérément à entretenir. Sa main tendue n’est en effet qu’une de ces galipettes dont il a le secret et une manière d’amener le Président Macky Sall à interférer dans le procès de son fils devant la Crei.
Sachant pertinemment qu’une telle demande est irrecevable dans une République, il l’a d’abord émise de manière voilée, presque à demi-mots. Avant de se résoudre finalement à se montrer plus explicite et à lâcher le morceau devant le refus poli mais ferme de Macky Sall de ne pas s’immiscer dans cette affaire pendante de la justice. Mais toutes ces manœuvres n’ont après tout rien de surprenant de la part de Wade.
En vingt-six années d’opposition, il a toujours usé et abusé du jeu de ruse au point de se voir coller l’étiquette de « ndiombor » par son grand rival d’alors, le défunt Président Senghor,. Devenu chef d’Etat en mars 2000, il ne s’interdira rien au cours de ses 12 années de magistère. Se gaussant gaillardement de la séparation des pouvoirs et piétinant allègrement les lois, il a battu en 12 ans le record de tripatouillages de la Constitution avec rien moins qu’une vingtaine de modifications. Ramenant tout l’Etat à sa personne, il rappellera même, par certains de ses actes, la figure de l’autorité telle que l’avait caricaturée le défunt Coluche. « C’est quelqu’un, disait le célèbre humoriste français, qui s’arrache de son lit, baille, s’étire, prend son croissant et se met à son balcon pour se dire : qu’est-ce que je vais m’autoriser aujourd’hui ». C’est hélas cette conception patrimoniale que Wade a toujours eue du pouvoir qui fonde sa démarche. C’est aussi l’attitude qu’il aurait aimé voir Macky Sall adopter dans le cas Karim, oubliant que « c’est dans le respect des lois que les Etats tirent leur force », comme disait De Gaulle.
Certes, on peut comprendre que son amour paternel lui ait fait perdre un moment la raison jusqu’à faire de son fils « le ministre du ciel et de la terre ». Mais pas au point de faire entrave à la justice en usant de manœuvres qui dépassent le convenable, le concevable et l’acceptable dans une République. Et c’est simplement ce qu’a voulu lui faret comprendre Macky Sall en lui opposant un refus catégorique lors d’une cérémonie aussi symbolique que la levée des couleurs.
Mais pourquoi diantre Wade tient-il à ce que son successeur mène par le nez les juges de la Crei ? La vérité est que tout avocat qu’il est, il n’a jamais été respectueux du pouvoir judiciaire. On se rappelle de cette scène surréaliste où, présidant un colloque international sur la magistrature, il a eu le cran de comparer les juges sénégalais à « des esclaves à qui on donne la liberté mais qui refusent de la prendre, préférant ne pas s’éloigner de leur maître ». Jamais, les magistrats sénégalais n’ont été autant humiliés et, qui plus est, devant leurs collègues venus de l’étranger. Evidemment, l’immixtion qu’il attend de Macky Sall dans le dossier Karim découle d’abord de ce manque de considération qu’il a toujours manifesté à l’endroit des juges. De même qu’il a la fâcheuse propension de croire que tous les dossiers judiciaires, aussi compromettants soient-ils, doivent toujours se régler loin des prétoires entre acteurs politiques et au nom d’un prétendu « apaisement du climat politique ». Et qu’importe si ça doit passer par un deal.
Comparaison n’est pas raison
Ce fut d’ailleurs le cas de beaucoup de dossiers dans lesquels, il a été impliqué en tant qu’opposant ou chef de l’Etat. Aussi croit-il naturellement que l’affaire Karim Wade devrait connaître un traitement tout aussi politicien. Souvenons-nous de l’assassinat de Me Babacar Sèye le 13 mai 1993 par trois hommes circulant à bord d'un véhicule. Interpellé puis relâché le jour même du meurtre du Vice-Président du Conseil constitutionnel, Me Wade est alors inculpé de "complicité d'assassinat et d'atteinte à la sûreté de l'Etat" en compagnie de son épouse, Mme Viviane Wade et d’Abdoulaye Faye, député du PDS.
Et pour cause, l'une des trois personnes ayant reconnu avoir participé à l'assassinat l’avait d’abord désigné comme étant le commanditaire avant de se rétracter en indexant un responsable du Parti socialiste agissant pour le compte du Premier ministre de l’époque, Habib Thiam. Et pourtant, en dépit de chefs d’inculpation aussi graves, Wade et ses co-inculpés ont été tous trois laissés en liberté, simplement pour ne pas envenimer le climat politique. Mieux ou pis, il s’en tira même à bon compte devant le souci du Président Diouf de « préserver la paix sociale » et l’insistance de pays amis comme la France de voir cette affaire connaître une solution politique.
Aussi, ne devrait-on guère s’étonner qu’il se dise prêt à brûler le pays pour obtenir la libération de son fils, non sans avoir recours au même stratagème qu’en 1993 en adressant une lettre ouverte à François Hollande et Barack Obama. Histoire de les amener à intervenir comme le défunt Président Mitterand dans l’affaire Me Sèye afin de dissiper le « danger » qu’il dit guetter le Sénégal et qui n’est en réalité qu’une vue de son esprit.
On se souvient aussi des événements tragiques du 16 février 1994 dont Wade, alors chef de l’opposition, était au centre. Tout était parti d’un meeting organisé par la Coordination des Forces Démocratiques regroupant des partis d’opposition et des associations de la société civile avec la participation du mouvement des moustarchidines. A la fin de sa communication et comme pour satisfaire une demande de la foule, Me Wade dira : «vous voulez marcher, eh bien marchez ! ». C’est ainsi que la foule déchaînée s’ébranla à travers les principales artères de Dakar avant que la manifestation ne prenne rapidement une tournure tragique avec le lâche assassinat de six policiers.
A la suite de ces incidents d’une extrême gravité, plus de 150 membres du Mouvement des moustarchidines avaient été arrêtés, de même que des responsables et militants des partis d’opposition. Mais Wade qui avait clairement donné l’ordre de marcher ne sera pas inquiété outre mesure alors que les moustarchidines et moustarchidates, incarcérés dans les prisons de Dakar et de Rufisque, bénéficieront eux-aussi d’un non-lieu. Une fois encore, la politique politicienne avait pris le dessus sur la justice.
Mais on verra pire avec Wade au pouvoir. En témoignent les évènements tragiques de la Bourse du Travail, siège de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (Cnts) affiliée au Parti socialiste. Considérant qu’il était dangereux pour son régime de laisser en l’état cette organisation de travailleurs affiliés à l’ancien parti au pouvoir, Wade encourage, soutient et alimente une aile dissidente dénommée Cnts/Force du changement. Les remous qui s’ensuivent débouchent sur l'incendie criminel de la Bourse du Travail ponctué par plusieurs blessés vifs dont un mort. Et lorsque l’affaire a été présentée avec une rare diligence devant la Cour d’Assises, on se réfugia derrière une solution de pis-aller pour renvoyer tous les accusés chez eux. Après un procès marathon de dix-sept jours, les présumés auteurs sont tous acquittés à la surprise générale. Tandis que leurs complices écopent d'une peine de dix-huit mois équivalant exactement à la durée de leur détention préventive. Pour grave qu’elle était, l’affaire était donc close au grand soulagement des « protégés » de Wade qui n’était sûrement pas étranger à ce verdict si clément.
Alors, qui peut le plus peut le moins se dit sûrement Wade. Sans son entendement, si ce sont autant de crimes de sang qui ont pu être réglés loin des prétoires, a fortiori l’affaire Karim Wade qui n’est qu’un « simple » délit économique. Et la meilleure preuve en est à ses yeux le dossier des Chantiers de Thiès qu’il a pu « régler » dès la phase d’instruction sur la base du fameux protocole dit de Rebeuss, permettant ainsi à son ancien Premier ministre Idrissa Seck de bénéficier d’un non-lieu pour faciliter leur réconciliation.
Il n’ y a donc rien d’étonnant que sous prétexte d’un prétendu dialogue politique, il veuille obtenir la même chose de Macky Sall en faveur de son fils Karim Wade. Mais peut-être devrait-il se résoudre à accepter que cette page-là est définitivement tournée avec l’élection de son successeur. Les Sénégalais attendent de Macky Sall qu’il fasse la preuve des ruptures qu’il a promises. Et le fait de laisser la justice faire son travail sans entrave en est assurément une.
Babacar FALL
source: http://www.dakaractu.com/Non-Maitre-votre-demande-est-irrecevable-_a84383.html