« Il y’a des métiers si nobles, qu’on ne peut les faire pour de l’argent sans se montrer indigne de les faire ; tel est celui de l’homme de guerre ; tel est celui de l’instituteur ». Rousseau
C’est au moment où j’avais fini de rassembler mes notes pour faire une contribution sur la traque des biens mal acquis, à la suite du verdict du procès de Karim Wade, qu’un élément d’une télévision de la place a subitement attiré mon attention sur la crise dans le secteur de l’enseignement moyen et secondaire qui a atteint des proportions inquiétantes.
Chers compatriotes enseignants, je m’adresse à vos cœurs non pas à votre raison car, pour moi, vous avez assez de raisons pour aller en grève.
En effet, je sais que vous avez signé des accords avec le gouvernement qui tardent à être respectés ; je sais que vous êtes frustrés depuis que l’ancien régime a commencé à bouleverser le régime indemnitaire de la fonction publique en privilégiant certaines professions au détriment d’autres de même grade ; je sais que le régime actuel a exacerbé votre mécontentement en allouant des salaires aux épouses des diplomates et en signant récemment un décret sur les indemnités de logement au profit de certaines fonctions dont aucune n’a plus d’importance et de valeur dans un pays que celle des enseignants, les formateurs de toutes les professions.
Je sais que depuis plusieurs années, avec la politique de recrutement d’enseignants ailes de DINDE, volontaires et vacataires, les doubles flux, l’émergence d’enseignants affiliés à des partis politiques (enseignants de la génération du concret, réseau des enseignants de l’APR) dont la conséquence est un recrutement et une promotion basés sur le clientélisme, l’école sénégalaise n’est plus ce qu’elle était. L’enseignant Sénégalais également n’est plus ce qu’il était. Cette référence qui a fait dire au chanteur Omar pène, dans sa célèbre chanson moi monsieur, que quand on lui demandait dans son enfance ce qu’il voulait devenir, il clamait fièrement instituteur. Dans la même chanson qui date du début des années quatre vingt dix, le fait qu’aucun des enfants interrogés n’a voulu être enseignant illustre parfaitement le changement de perception noté dans ce métier.
Pour s’en convaincre, permettez moi d’introduire dans ma si importante lettre, un passage de la si longue lettre de Mariama Bâ, décrivant le comportement des enseignants de sa génération : « Chaque métier, intellectuel ou manuel, mérite considération, qu’il requière un pénible effort physique ou de la dextérité, des connaissances étendues ou une patience de fourmi. Le nôtre, comme celui du médecin, n’admet pas l’erreur. On ne badine pas avec la vie, et la vie, c’est à la fois le corps et l’esprit. Déformer une âme est aussi sacrilège qu’un assassinat. Les enseignants-ceux du cours maternel autant que ceux des universités- forment une armée noble aux exploits quotidiens, jamais chantés, jamais décorés. Armée toujours en marche, toujours vigilante. Armée sans tambour, sans uniforme rutilant. Cette armée là, déjouant pièges et embûches plante partout le drapeau du savoir et de la vertu.
Comme nous aimions ce sacerdoce, humble institutrices d’humbles écoles de quartier. Comme nous servions avec foi notre métier et comme nous nous dépensions pour l’honorer ».
Chers enseignants, je sais que les gouvernements successifs sont entièrement coresponsables de la dégradation de notre système éducatif. Pour autant, vous oubliez un élément important contenu dans le texte de la regrettée Mariama Bâ qui fait la particularité de votre métier, c'est-à-dire qu’enseigner est un sacerdoce. C’est la raison pour laquelle, il ne saurait exister d’enjeux financiers dans l’exercice de cette noble profession au point de compromettre l’avenir de plusieurs générations d’enfants et de tout un pays. Je sais que parmi vos revendications, il existe certains points qui n’ont rien à voir avec vos revenus mais pour beaucoup de nos compatriotes, le point d’achoppement c’est des revendications d’ordre pécuniaires. Or, parce qu’étant un sacerdoce, l’argent devrait avoir peu de place dans vos revendications même si du point de vue psychologique, force est de reconnaître que vous devez être mis dans des conditions de performance à travers une bonne motivation.
Je mesure bien le degré de votre frustration, de votre mécontentement et de votre volonté d’en découdre jusqu'au bout avec le gouvernement mais de grâce, je vous invite à vous inspirer du jugement de Salomon pour montrer votre amour aux enfants et à notre pays. Deux femmes se disputaient âprement la maternité d’un bébé et aucun témoin ne pouvait les départager. Ainsi, on les amena chez Salomon qui, devant l’insistance des deux femmes à soutenir, chacune, que le bébé est bien le tient, demanda qu’on le coupe en deux pour donner une moitié à chaque « mère ». L’une accepta et l’autre refusa et préféra que le bébé soit remis dans ce cas à la fausse mère. Et tirant les leçons de ces deux positions, Salomon trancha le débat en désignant celle qui voulait sauver la vie du bébé au risque de le perdre comme étant la véritable mère. Alors, chers enseignants, c’est le moment pour vous de montrer que vous aimez vos élèves plus que le gouvernement.
Personnellement, je ne subis aucun dommage direct si l’enseignement public est bloqué ; mon seul enfant est au collège dans une école privée. J’aurais bien aimé l’amener à une école publique et faire des économies, moi qui suis un pur produit de l’enseignement public auquel je dois mon statut de cadre de la hiérarchie A1 ; mais sa mère ne me le pardonnerait pas, sachant que payer les études de ma fille est bien à ma porté, elle m’aurait taxé de vouloir sacrifier l’avenir de cet être innocent comme tous les enfants de son âge.
Chers enseignants, le douloureux constat est que notre système éducatif n’est plus démocratique encore moins égalitaire dès lors que pour recevoir de bons enseignements réguliers, il faut fréquenter les écoles privées. En fait, même à intelligence égale, avec des enseignants de niveau inférieur, à force d’apprendre plus que leurs camarades des écoles publiques, les élèves des écoles privées deviennent plus armés intellectuellement. Ce qui met gravement en cause dans notre pays le principe de l’égalité des citoyens.
Ne me demandez pas aussi de me mettre à votre place car je partage avec vous le même statut. En d’autres termes, je serai bénéficiaire de tous les avantages financiers, fruits de votre lutte.
Seulement, il ne s’agit pas de moi, ni de vous, ni de qui que ce soit, mais de notre pays, de notre nation, de son avenir, des germes de son projet de développement : les enfants et les jeunes.
Chers enseignants, je conclus ma lettre dont pendant sa rédaction, j’ai senti, à chaque mot, l’appui énergique des élèves et de leurs parents, espérant pathétiquement vous voir retrouver, bien vite, la joie d’enseigner comme énoncée par William Lyon Phelps : « Pour moi, enseigner est plus qu’un art ou une occupation. C’est une passion. J’aime enseigner, comme un peintre aime peindre, un chanteur aime chanter ou un poète aime écrire. Avant de me lever le matin, je pense avec un plaisir intense à mes étudiants ».
Khalifa Babacar DIAGNE,
Psychologue Conseiller
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source: http://www.leral.net/Chers-compatriotes-enseignants-je-vous-en-supplie-arretez-s-il-vous-plait-votre-greve-Par-Khalifa-Ababacar-Diagne_a142997.html