Par Anthony Nugan le mardi 19 mai 2015
Catégorie: Web NEWS

NABOU DIAGNE SALVADOR STYLISTE ET COIFFEUSE : ‘’ Macky Sall gagnerait à porter des boubous’’

Elle est bien connue et respectée dans le milieu de la mode. Mannequin puis coiffeuse et couturière, Nabou Diagne a débuté sa carrière professionnelle en 1998. Etablie d’abord en Espagne, elle décide de rentrer au bercail en 2000 et ouvre son premier salon de coiffure qu’elle baptise ‘’Salvador’’.  Notre styliste qui refuse d’être cataloguée dans un style dit faire dans tous les genres. Dans cet entretien accordé à EnQuête, elle parle de ses projets dont la mise sur pied d’une fondation et la tenue d’une foire sino-sénégalaise de dix jours prévue en juin 2016, en collaboration avec l’Ambassade de Chine. 


Pourquoi Salvador ?
Slavador est une île de l’Amérique Latine. Quand je venais de m’installer au Sénégal, j’ai voulu ouvrir mon propre salon de coiffure. Mais on trouvait des noms communs. Pour faire original et aussi comme je suis anticonformiste, j’ai décidé de baptiser le mien Salvador pour être certaine d’être la seule à avoir ce nom-là. Et Salvador est une île qui a de l’or et du pétrole mais où les gens aiment l’art. Ce que je fais, c’est de l’art.
Pouvez nous parler de votre parcours ?
J’ai ouvert mon premier salon de coiffure quand j’avais 13 ans. Ce que je vous raconte là est assez insolite mais vrai. J’étais courte et menue à cette époque. Je prenais l’argent que mes parents me donnaient pour l’achat de fournitures scolaires pour louer un local. Mais j’étais tellement petite que quand j’allais voir les bailleurs, ils me renvoyaient, pensant que c’était une farce de mauvais goût. Après, je ne disais plus que c’était pour moi mais pour ma grande sœur. C’est ainsi que j’ai pu en trouver un. On m’avait loué l’espace à 8 000 F Cfa. J’ai pris après divers objets chez moi à l’insu de ma famille. Personne chez moi ne savait que j’avais ouvert un salon de coiffure. Chaque matin, je prenais mon sac à dos, feignant d’aller à l’école alors que je me rendais à mon travail. Pour vous dire que j’ai aimé la coiffure toute petite et j’ai aussi voulu être entrepreneure en ne cherchant pas du travail dans des salons de coiffure, mais en me mettant à mon propre compte.
Depuis lors vous êtes coiffeuse ?
Non, cette première expérience n’a pas duré longtemps. Mon papa était directeur d’école et tenait à ce que je termine mes études. Un jour, un de mes professeurs est passé à la maison pour avoir de mes nouvelles vu que je n’allais plus aux cours. C’est ainsi qu’on a découvert que j’avais arrêté mes études et que j’avais ouvert mon salon. Ma mère a dit niet. Et j’ai été obligée de continuer jusqu’à l’obtention du BFEM. J’ai dit que maintenant j’allais m’adonner à ma passion. Une fois encore ma mère m’oblige à aller à l’école internationale de coiffure. Mon passage là-bas n’a pas été facile. On nous faisait payer beaucoup alors qu’on n’apprenait rien de solide.
Mais cela ne dérangeait pas les autres parce qu’elles n’avaient pas compris alors que ce n’était pas mon cas. Maïmouna Dieng, par la suite, est devenue mon amie. Après l’obtention de mon diplôme, je suis allée à Palma de Mallorca en Espagne pour me perfectionner. Je suis revenue vers la fin de l’année 2000. J’ai ouvert le premier salon de coiffure Salvador à la Médina. Pour cette fois, je n’ai rien volé chez moi. J’ai mis mes propres sous. En 2007, j’ai ouvert un complexe de couture, coiffure et massage Salvador à Sacré-Cœur. Vous savez quand on parle de mode, cela va de la tête aux pieds. C’est pourquoi j’ai acheté des machines pour commencer à fabriquer des chaussures. Ma mère me disait que je n’avais pas à faire ça parce que je ne suis pas cordonnière et que je n’ai aucun parent cordonnier non plus. On a continué ainsi et aujourd’hui, on a cinq boutiques Salvador. Il y en a deux à Guédiawaye, une au niveau de l’aéroport, une sur la VDN et une autre à Liberté 6.
Vous avez créé une fondation et vous comptez organiser une manifestation pour le lancement des activités en octobre. Pourquoi cette fondation ?
J’aime partager. Depuis des années, je fais des dons aux daaras et aux mosquées. J’ai équipé beaucoup de mosquées avec l’aide de Dieu. Maintenant pour optimiser ces actions et les rendre plus effectives, je veux mettre sur pied une fondation. Cela me permettra d’avoir des partenaires et de mieux aider ces gens. Quand j’étais adolescente, un de mes amis qui revenait d’Espagne m’a offert un lot de moquettes. Je ne savais pas trop quoi en faire. J’en ai pris pour la maison et le reste, je l’ai donné à la mosquée de mon quartier. Ce que j’ai senti ce jour-là m’a convaincue que je ne devais pas m’en arrêter là. Il me fallait continuer et faire plus. Donc, le 10 octobre, on va faire le lancement officiel des activités de la fondation ‘’Taxawu askan wi’’ au théâtre national Daniel Sorano. Et ce sera en prélude à un grand évènement que je compte organiser en 2016. Je devais faire cela en 2015. Mais j’ai remarqué que beaucoup d’évènements organisés cette année par des stylistes au Grand-théâtre sont des flops en matière de mobilisation. Je ne veux pas que la même chose m’arrive.
C’est un défilé que vous comptez organiser en 2016 ?
Non, ce n’est pas un défilé. On veut rompre avec la routine. Des défilés, j’en fais depuis 1998 et c’était au Niany night club. En juin 2016, je vais organiser une grande foire à laquelle vont prendre part des créateurs et artistes chinois. C’est l’idée d’un de mes frères Malick Diagne. Et j’ai trouvé cela pertinent. Pendant 10 jours, sur l’esplanade du Grand-théâtre, on va exposer des produits locaux et des produits venus de Chine. On a choisi la Chine parce que c’est un pays qui a une culture très riche et qui ressemble beaucoup à la nôtre. Aussi, on entretient des relations commerciales avec la Chine. On achète beaucoup de chose là-bas et on y fait entrer beaucoup d’argent. On peut pousser ces relations plus loin en y impliquant la culture. Donc, avec l’Ambassade de Chine, on va faire venir 3 stylistes, 2 chanteurs et un artiste plasticien chinois.
A leur arrivée, ils essaieront de faire des modèles sénégalais et nous on fera des modèles chinois. A la fin de l’expo, on organise un plateau pour montrer les différentes créations réalisées. Et il n’y a pas que les couturiers qui vont en profiter. Les artistes aussi auront leur part dans ces échanges. On est en train de voir comment Wally Seck pourrait sortir un single chanté en chinois avec des mélodies chinoises. Et les artistes chinois invités tenteront de chanter en wolof. Ainsi, on veut toucher le plus large public possible. On veut également intégrer le Plan Sénégal Emergent dans ce que nous faisons. Nous sommes des acteurs de développement et il faut que nous soyons impliqués dans le PSE. On veut y être associé. Nous, on est dans le Plan Sénégal Emergent depuis longtemps. C’est notre projet. On essaie de faire émerger ce pays depuis longtemps et en utilisant nos propres moyens.
Vous avez décidé de rentrer en 2000 au moment où beaucoup de coiffeuses rêvaient d’aller s’établir en Europe. Qu’est-ce qui a guidé votre choix ?
Je reconnais qu’à l’époque, cela marchait fort bien là-bas. Mais ce qu’on fait ici est diamétralement opposé à ce qu’on fait en Europe. C’était trop simple. Et aussi les taxes sont chères, les factures, n’en parlons pas. On gagnait beaucoup mais il nous restait très peu après les dépenses.
Votre insertion professionnelle à votre retour n’a pas été difficile ?
Pas du tout. En ce temps-là, les choses allaient bien au Sénégal. C’est maintenant que c’est difficile. On n’avait pas de problèmes de location à cette époque-là. Maintenant, les coûts sont élevés.  La loi sur la baisse du loyer nous cause beaucoup de problèmes. Les bailleurs mettent fin aux contrats de leurs locataires quand ils veulent sous prétexte qu’ils souhaitent faire des rénovations. Ils te font sortir de leurs maisons avant de les relouer à des prix beaucoup plus chers. Cette loi ne nous arrange pas. Et il n’y a pas de suivi aussi. Cela pose problème.
Vous ne trouvez pas que le milieu de la mode et de la coiffure est saturé ?
Vous savez, le problème est qu’il y a beaucoup de non-professionnels parmi nous. Il y a des gens qui ont de l’argent ou dont les maris sont riches qui ouvrent des salons de couture. Ils ne sont intéressés que par le gain. Ils n’ont ni l’amour ni la passion de ce métier. C’est eux qui pourrissent notre travail. A côté de cela, il y a ceux qui ont échoué à l’école. N’ayant plus le choix, ils se tournent vers la couture ou la coiffure. C’est une alternative pour eux et non pas un choix. Ces gens ne connaissent généralement pas les prix des tenues ou n’engagent pas des couturiers professionnels. Les gens qui importent du prêt-à-porter et de la friperie nous causent du tort. L’Association des maîtres tailleurs du Sénégal à laquelle j’appartiens milite contre cela.
Si vous étiez la styliste du Président Sall, que lui confectionnerez-vous ?
Lors d’une émission à la télé, quelqu’un a soutenu que Marième Faye ne savait pas s’habiller. Ça a crée un tollé. Tounkara (ndlr présentateur de l’émission Sénégal ca kanam sur la 2Stv) m’avait dit qu’un site américain s’interrogeait sur le style vestimentaire de Marième Faye. Vous savez, au-delà du couple présidentiel, il y a nos ministres. Dès qu’on nomme quelqu’un ministre, la première chose qu’il fait, c’est de changer sa garde-robe. Ils vont en Europe acheter des costumes et c’est nous qui les retaillons à leurs mesures. Il faut qu’ils nous respectent et portent les habits que nous confectionnons. Alors qu’ils peuvent faire du ‘’consommer local’’.
Je pense que le président Macky Sall peut mettre ses costumes au Sénégal. Mais quand il va à l’étranger, il gagnerait à mettre des boubous cousus par les artisans de son pays. Seuls Obasanjo et Yaya Jammeh faisaient cela. Pourquoi Macky Sall ne ferait pas comme eux ? Le Président Sall pourrait aussi le jour du 4 avril porter un boubou. Cette date symbolise notre indépendance ; on doit montrer dans l’habillement qu’on est indépendant. Les Américains prennent notre ‘’wax’’ et nos tissus pour en faire des tenues. Donc, je crois que ce que nous détenons est précieux. Mais les couturiers n’ont pas de boutique de référence. Prenons l’exemple du ‘’getzner’’, on en trouve beaucoup dans le marché ; pourtant c’est deux frères qui les commercialisent au Sénégal. Donc, c’est eux qui décident du prix. C’est grave. Ce n’est pas normal.
Trouvez-vous que les Sénégalais s’habillent bien ?
Oui, je trouve que les Sénégalais s’habillent bien. Dans la sous-région, on copie nos modèles. On est les meilleurs en matière de mode en Afrique de l’Ouest. On lance des collections à chaque évènement mais le piratage fait que cela ne se voit pas ni se sent. Les gens te reprennent et au bout du compte nul ne sait qui a crée cela. 

source: Enqueteplus

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