Invité jeudi 22 mars sur la matinale d'Europe1, Stéphane Richard est interrogé par Patrick Cohen sur ce qu’Orange fait des données personnelles de ses abonnés. L'extrait n’est tweeté que ce week-end. Il était passé inaperçu, alors qu’il vaut carrément le détour en plein scandale Facebook. En dehors des obligations légales imposées par le pouvoir public, le patron d’Orange affirme ne rien faire des données de ses abonnés. Se comparant aux géants du web, il affirme même : “Nous, on les vend pas, on les utilise pratiquement pas.”
Les offres Flux Vision et Géo présence
Peut-être que tout est dans le “pratiquement pas”. Mais Orange exploite bien, sans en faire mystère, les données de ses abonnés via des offres dont nous vous parlions il y a deux ans déjà. Leur détail est accessible à tous sur le site d’Orange Business Services. Il y a d’abord Flux Vision, qui existe depuis 2013 et qui permet de suivre les déplacements des abonnés Orange à partir de données mobiles anonymisées. Et il y a Géo présence, plus récent, qui propose des solutions de ciblage d'envoi de SMS ou de MMS publicitaires à des abonnés ayant consenti expressément (opt-in) à être géolocalisés.
Plus gênant, Stéphane Richard prétend ne pas vendre les données, ne les communiquer qu’à des collectivités publiques et uniquement pour “des motifs d’intérêt général”. Pourtant, la présentation commerciale de Flux Vision mentionne expressément que “cette solution répond aux besoins des secteurs du commerce, banque, tourisme, transports.” Mais laissons la parole à Orange lui-même qui explique très bien dans cette vidéo quelles sociétés privées il cible :
On est donc loin de la simple mission de service public rendue à des fins d’intérêt général. A moins que les remontés mécaniques de la Compagnie du Mont Blanc n’en fassent partie. L’entreprise privée rapporte en tout cas, sans se faire prier, avoir eu recours aux services d’Orange.
30 000 euros par an pour une région
Plus loin dans l’interview d’Europe 1, Stéphane Richard déclare aussi : “nous ne vendons pas les données, ça c’est un point essentiel, c’est ce qui fait la différence entre un opérateur comme Orange et tous les autres acteurs de l’internet.” Or, les Agences de développement touristiques ont déjà révélé publiquement le prix qu’elles payent pour utiliser Flux Vision. En 2013, le ticket d’entrée s’élevait à 12 000 euros. Et “au niveau d’une région, pour analyser des sous-territoires et les déplacements intra-régionaux, il faut compter au moins 30 000€ HT/an. Et bien entendu, il faut y ajouter les coûts internes de contrôle de validité, d’ingénierie statistique et d’analyse des données“, apprend-on sur le site eTourisme.info dans un article datant de 2016.
Quant à Géo Présence, il s’adresse essentiellement à la grande distribution, comme nous l’avait expliqué un porte-parole d’Orange Business Services il y a deux ans. Ces derniers peuvent ainsi croiser leurs propres fichiers clients avec ceux de l'opérateur et envoyer des promotions sur leur smartphone aux clients présents à proximité des points de vente.
Nous n’avons pas eu accès au détail des tarifs des prestations de Géo Présence mais les conditions générales de vente précisent deux modes de facturation : par numéro de téléphone présenté ou par numéro de téléphone signalé.
Rappelons que Flux Vision comme Géo Présence sont des dispositifs légaux et qu’ils ont été approuvés par la CNIL. Parti plus tard qu’Orange sur ce terrain, SFR a développé l’équivalent de Flux Vision avec SFR Geostatistics. Bouygues Telecom y réfléchissait en 2016 mais ne nous a pas confirmé avoir passé le cap. Seul Free Mobile se refusait alors à commercialiser les données de ses abonnés de cette façon. Il n'a pas encore répondu non plus à nos sollicitations.
Amélie Charnay