Internet : Le "Moonshot" est un objectif très ambitieux, voire inatteignable, pour mobiliser l'énergie jusqu'à la disruption d'une industrie.
Le passage à l'échelle est souvent vu comme l'étape compliquée de l'adaptation des entreprises à une économie numérique et mondialisée. Après les expérimentations, voir les nouvelles entités digitales, comment opérer en interne et avec l'externe, en exploitant pleinement les technologies digitales, dans l’ensemble de ses activités ?
Les freins pour ce passage à l'échelle sont multiples, comme pour tout projet de transformation à la maille d'une entreprise mais surtout de sa relation avec ses clients (CRM) et avec son écosystème (SCM).
Le digital entraine des évolutions comportementales profondes pour réussir l'adoption des nouveaux usages rendus possibles par la technologie. Il demande une véritable conduite du changement qui, au-delà de la technologie, permettra de repenser les modes de fonctionnement, les pratiques managériales, et finalement la culture d’entreprise.
Deux pratiques que l'on les retrouve dans toutes les démarches de conduite des changements, peuvent y aider :
- Créer un sentiment d'urgence pour engager le changement (la première étape), et,
- Créer une vision partagée mobilisatrice.
Les annonces récentes dans la grande distribution en France sont un cas d'école de ces démarches que GreenSI explore dans ce billet.
Le premier moteur de la transformation est donc la création de ce sentiment d'urgence,pour entraîner la grande distribution dans le changement. Il est bien ancré, dans l'esprit de tous, depuis plusieurs années. Il s'écrit en 6 lettres : A.M.A.Z.O.N.
Maurice Levy, président de Publicis, a lancé en 2014 le terme "Ubériser" pour exprimer cette crainte de l'entrée d'un disrupteur dans son industrie. Finalement avec le recul, "Amazonifier" aurait aussi pu être utilisé, car tout le monde a peur qu'Amazon propose sa catégorie de produit sur sa plateforme.
Le moteur de la concurrence, déloyale ou pas, est ici à l'œuvre. Il n'y a pas besoin de passer trop de temps pour convaincre les états-majors de la grande distribution qu'ils doivent bouger. Tous ont pris la mesure de la puissance de cette plateforme boulimique qui est un de leurs problèmes, et pour certains comme Monoprix (groupe Casino), aussi une partie de la solution (avec son alliance dans la livraison ultra-rapide).
L'autre moteur est celui de la vision, celle du "moonshot thinking" dans la culture d'innovation des GAFAs et plus largement de ceux qui veulent changer les règles d'une industrie. Un billet de GreenSI de 2015, et toujours d'actualité, montrait comment Google avec sa démarche "Solve for X" fixait des objectifs très ambitieux, voire inatteignables, pour mobiliser l'énergie jusqu'à la disruption.
Aujourd'hui c'est devenu une division d'Alphabet, la division X, qui revendique sa "Moonshot Factory" qui, selon ses termes, recherche "le x10 en impact et pas juste +10%". La meilleure publicité de cette démarche qui vise à atteindre des objectifs "inatteignable", c'est bien sûr celle qui est relayée par la presse de tous les "échecs" de Google, des Google Glasses à Google Plus. Car ces échecs sont bien sûr autant d'apprentissages et les technologies développées sont réutilisées dans d'autres offres, comme récemment Google Plus qui est réintégré à l'abonnement G Suite pour les comptes personnels (et ne cherche plus à se financer par la publicité).
Dans la distribution, le "moonshot", cet objectif inatteignable, c'est le magasin sans caisse.
Pour GreenSI, que l'on soit pour - quand on pense performance et expérience acheteur - ou contre - quand on pense exclusion, fracture numérique ou réduction de personnel - le magasin sans caisse n'est pas un objectif mais un chemin d'apprentissage. C'est lui qui mobilise toute l'industrie et peu importe s'il échoue et si finalement en 2025 on continue de faire ses courses comme hier (ce dont GreenSI doute quand même fortement...).
Cette semaine Amazon a ouvert au public son premier magasin sans caisse Amazon Go, et non plus uniquement à ses employés qui ont servis de béta testeurs. Cette ouverture était en effet prévue en janvier 2017, mais ce retard pris dans la mise au point pendant la phase pilote confirme la complexité de vouloir supprimer les caisses, sans se tromper sur le paiement de chacun...
Le design retenu par Amazon est un portique d'identification(vous savez le fameux login/mot de passe !) qui enregistre les entrées et sorties individuelles grâce à une application mobile dédiée qui affiche un code barre personnalisé et certainement très sécurisé. Les rayons détectent les produits pris avec des balances et des caméras et les associent aux clients détectés par le portail dans le magasin. A la sortie le compte Amazon est facturé des produits avec leur détail, ce qui est instantanément consultable sur son application mobile.
En France les tests démarrent aussi. Auchan, implante cette semaine à Villeneuve d'Ascq, non loin de son siège, son premier magasin automatisé français Auchan Minute.
Ce concept avait déjà été lancé par Auchan fin 2017 à Shangai, le pays de WeChat et Alipay, et du commerce mobile. Mais les résistances culturelles sont différentes en Chine, où plus d’un milliard de personnes payent déjà avec Wechat, et en France, même si le paiement sans contact décolle en France à une vitesse fulgurante par rapport à d'autres pays européens.
Auchan Minute est une cabine de 18m² qui contient un magasin aux 400 références et qui est 100% automatisé. Ce magasin est actuellement réservé aux employés qui peuvent payer avec leur badge d'entreprise.
Il n'y a donc pas encore de reconnaissance automatique des produits avant paiement comme pour Amazon Go. Le suivi en temps réel des achats permet de réapprovisionner chaque matin le magasin, comme les distributeurs de café en entreprises.
De son côté le groupe Casino avait déjà ouvert fin 2018 à Paris un magasin, appelé "Le 4 Casino", ouvert 24h/24 et 7j/7 testant de multiples évolutions du magasin de demain, comme les rayons interactifs pour mieux choisir ses produits, le guidage vocal, ou un miroir intelligent pour personnaliser ses produits.
Pour le test du "sans caisse", c'est un mur digital géant tactile qui permet de choisir ses produits, de les scanner avec son application et de se les faire livrer le jour même.
En janvier 2018 avec l'arrivée l'Alexandre Bompard, son nouveau PDG, Carrefour a lancé "Carrefour 2022" son plan de transformation à 2,8 milliards pour répondre à cette nouvelle concurrence, aux nouvelles attentes de ses clients qui quittent ses Hypers et aux modifications profondes des comportements alimentaires (Voir: scanner pour mieux manger).
Cet investissement est tout azimut : partenariats avec des géants comme Tencent, rachats de sites internet, lancement de la blockchain pour la traçabilité de certaines filières, ...
L'ouverture d'un magasin sans caisse à Massy, son nouveau siège, a été annoncé dans un mensuel de la grande distribution (par une fuite) pour 2019. Le concept sera un point de vente, réservé aux salariés, plus proche d'un Amazon Go que les concepts actuels de ses rivaux français, car équipé de caméras pour suivre les clients et identifier les produits qu'ils prennent. A la sortie, pas de caisse mais certainement la validation par reconnaissance faciale avec la technologie de Tencent. Là encore, merci la Chine de laisser les groupes français expérimenter des technologies plus délicates à tester en Europe si on ne veut pas perdre trop de temps avec le RGPD et les juristes ;-)
Le magasin sans caisse est donc le moteur qui anime la grande distribution.
Dans l'automobile, c'est la voiture sans chauffeur le "moonshot" ou plutôt la voiture autonome qui a poussé les grandes entreprises à s'associer avec des startups, voire des GAFAs, pour se rapprocher de cet objectif hors d'atteinte à court terme mais néanmoins mobilisateur.
Quand Peugeot annonce fin mars 2019, au salon de l'automobile de Genève, qu'il ne veut plus développer de véhicule 100% autonome car cela risquerait de faire exploser les prix des voitures, le moteur de la transformation de Peugeot a déjà profité de deux années d'investissements pour progresser dans l'électrique et la compréhension des nouvelles mobilités.
D'ailleurs, Tesla a, dès sa création, fixé son "moonshot" sur la fin des moteurs à essence et non sur l'autonomie de la voiture. En 10 ans Tesla a sorti la gamme la plus complète de voitures électriques, mais chemin faisant, a compris tous les enjeux des plateformes digitales pour les connecter, et lancé son "auto pilot" qui peut être mis à jour à distance. Le modèle de Tesla reste industriel et agile pour atteindre son objectif d'être leader mondial des voitures électriques abordables.
Alors si le magasin sans caisse n'aboutit finalement que dans une niche, il aura entraîné toute l'entreprise dans une véritable transformation. Il aura peut-être permis d'acquérir une nouvelle vision qui avec la suppression de la caisse remet le focus sur le consommateur, la dématérialisation du ticket de caisse lui-même, et sur le shopping mobile avec des applications utiles pour réinventer l'expérience consommateur.
Pour GreenSI le "moonshot" est donc plus un chemin qu'un but même si tous les jours on y croit dur comme fer.
Et vous, dans votre industrie, quel est le "moonshot" qui anime tout le monde ou qui pourrait l'animer s'il était lancé ?
C'est peut-être ça la clef pour le passage à l'échelle de la transformation numérique.
Par Frédéric Charles pour Green SI