Tout comme Khalifa Sall, la déchéance du candidat du Parti démocratique sénégalais est permanente selon la loi électorale. Il pourrait toutefois saisir le Conseil constitutionnel, par le biais de l’exception d’inconstitutionnalité.
Alors que ses avocats et partisans s’appuient sur l’article L30 du Code électoral pour défendre la validité de son inscription sur les listes électorales, des experts soutiennent que Karim Wade ne saurait se prévaloir de cette disposition qui prévoit une limitation de cinq ans pour la déchéance. Tout comme Khalifa Sall, sa déchéance, selon la loi électorale, est permanente. Il pourrait toutefois saisir le Conseil constitutionnel, par le biais de l’exception d’inconstitutionnalité.
C’est l’une des informations politiques phares de cette semaine. Karim Wade s’était rendu en Turquie pour s’inscrire sur les listes électorales. Son inscription a été reçue et un récépissé lui a été délivré pour servir et valoir ce que de droit. Pour beaucoup d’observateurs, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. En 2018 déjà, le débat s’était posé avec acuité.
Le candidat du Parti démocratique sénégalais s’était, à l’époque, déplacé dans les mêmes conditions au Koweït pour s’inscrire sur les listes. Mais cela avait été rejeté par la Direction générale des élections, au moment de la publication des listes. Le recours du leader du PDS introduit devant le tribunal de Dakar avait été déclaré irrecevable, parce qu’il aurait dû l’être devant la représentation diplomatique du Sénégal au Koweït où il s’était inscrit. À la Cour suprême, la décision avait été confirmée.
À cause de cette décision, Karim Wade n’a pu participer à l’élection présidentielle, car pour être candidat, il faut obligatoirement être électeur. Dans sa décision n°2-E-2019 du 13 janvier 2019, le Conseil constitutionnel, pour justifier l’irrecevabilité de la candidature de Karim Wade, déclare : ‘’La qualité d’électeur s’apprécie au regard de l’article L27 et de son complément l’article L31. Il résulte de la combinaison de ces deux articles que ne peut être considéré comme électeur celui qui est condamné à une peine d’emprisonnement sans sursis pour un délit passible d’une peine supérieure à cinq ans d’emprisonnement. Il (Karim Wade) n’a pas la qualité d’électeur au sens des articles L27 et L31.’’
Depuis cette décision, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Dans un communiqué publié le 21 août 2020, les avocats de M. Wade revenaient à la charge et invoquaient la fin de l’inéligibilité de leur client. Ils s’appuyaient sur les dispositions de l’article L32 (actuel L30) du Code électoral. ‘’Alors que la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), juridiction d’exception, n’était pas allée jusqu’à priver Karim Wade de ses droits civils et politiques, l’État du Sénégal a arbitrairement, sans aucune base légale, radié notre client des listes électorales en se prévalant de l’article L31 du Code électoral (actuel article L29) qui interdit l’inscription aux personnes condamnées. Toutefois, l’article L32 du Code électoral limite cette interdiction d’inscription sur les listes à une durée de cinq ans’’.
Karim Wade, comme Khalifa Sall, relève de l’article 29 tiret 2 et non de l’article 29 tiret 3
Ainsi, ajoutaient-ils, depuis le 21 août 2020, ‘’Karim Wade devient électeur et éligible en vertu de la loi électorale et par l’expiration du délai de cinq ans suivant la décision de la Cour suprême du 20 août 2015 qui avait rejeté son pourvoi contre l’arrêt de condamnation par la Crei’’.
Selon la lettre signée par Maitres Ciré Clédor Ly, Demba Ciré Bathily, Seydou Diagne et Michel Boyon, le Code électoral ne peut plus être invoqué par l’État du Sénégal pour faire obstacle à l’inscription de leur client sur les listes électorales et à sa candidature à toute élection.
Mais que dit l’article L32 (nouveau article 30) ? ‘’Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale pendant un délai de cinq ans, à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les condamnés, soit pour un délit visé à l’article L29, troisième tiret, à une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un mois et inférieure ou égale à trois mois ou à une peine d’emprisonnement avec sursis égale ou supérieure à trois mois et inférieure ou égale à six mois, soit pour un délit quelconque à une amende sans sursis supérieure à 200 000 F CFA, sous réserve des dispositions de l’article L28. Toutefois, les tribunaux, en prononçant les condamnations visées au précédent alinéa, peuvent relever les condamnés de cette privation temporaire du droit de vote et d’élection’’.
En langage plus simple, l’article L32 qui prévoit la limitation de la privation de droits à cinq ans concerne quatre figures principalement.
D’abord, il y a les condamnés pour un délit visé à l’article L29 troisième tiret ; ensuite ceux condamnés sans sursis à une peine comprise entre un et trois mois, ceux condamnés avec sursis à une peine comprise entre trois mois et six mois ; enfin, les personnes condamnées pour un délit quelconque à une amende sans sursis supérieure à 200 000 F CFA, sous réserve des dispositions de l’article L.28.
Il en résulte que Karim Wade ne peut être rangé dans aucun des trois derniers cas susvisés. Quid alors de l’article L29 (ancien article 31) troisième tiret ? Celui-ci concerne : ‘’Ceux condamnés à plus de trois mois d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à six mois avec sursis, pour un délit autre que ceux énumérés au deuxièmement ci-dessus sous réserve des dispositions de l’article L28.’’ Ceux-là non plus ne doivent pas être inscrits sur les listes électorales.
Sans avoir besoin d’aller plus loin, ils sont nombreux les experts à soutenir qu’en fait, Karim Wade n’est pas non plus concerné par le troisième tiret de l’article 29. Il est plutôt concerné par le deuxième tiret. C’est aussi la conviction de l’expert électoral Ndiaga Sylla qui se veut formel : ‘’Il y a lieu de préciser que messieurs Karim M. Wade et Khalifa A. Sall étant déchus de leur droit de vote en vertu de l'article L29 du Code électoral sont privés définitivement de s'inscrire sur une liste électorale, à moins qu'ils ne bénéficient d'une réhabilitation ou font l'objet d'une mesure d'amnistie prévue par l'article L28. Dans ce cas de figure, ils verront leur demande de réinscription validée.’’
Le Conseil constitutionnel, l’ultime recours !
Il en résulte que les chances sont minces pour que l’inscription du candidat du PDS soit validée sans réhabilitation ou loi d’amnistie. Toutefois, les spécialistes du droit s’accordent à dénoncer cette interdiction permanente qui frappe certaines catégories de citoyen, en méconnaissance totale des principes fondamentaux de l’État de droit. Ndiaga Sylla : ‘’Je ne cesse de rappeler que la déchéance électorale automatique et indifférenciée viole les Droits de l'homme. Ce qui a été confirmé par les instruments juridiques internationaux ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'homme et celle du Conseil constitutionnel français. La solution à préciser consiste à réformer le Code électoral en vue de prévoir la réhabilitation automatique après que le citoyen a purgé sa peine.’’
À en croire les avocats de Wade fils, ‘’l’État du Sénégal a gravement et de manière persistante bafoué les droits de Karim Wade et refusé d’appliquer la décision du Comité des Droits de l’homme des Nations Unies qui a jugé, en 2018, que l’arrêt de la Crei violait le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et que l’État du Sénégal était tenu de faire réexaminer la condamnation de Karim Wade.
Par ailleurs, le 31 octobre 2019, le comité avait solennellement déclaré qu’il était ‘’préoccupé par le fait que la décision du Conseil constitutionnel intervenue le 20 janvier 2019 (...) a invalidé la candidature de celui-ci au motif qu’il avait été condamné’’.
Ainsi, selon toute vraisemblance, l’inscription de Karim Wade sur les listes électorales risque d’être rejetée par la DGE et s’ensuivraient des recours comme en 2018. À l’époque, le tribunal d’instance de Dakar saisi s’était déclaré incompétent ; ce qui n’avait pas permis d’aller dans le fond du débat.
En effet, en pareil cas, c’est bien la représentation diplomatique qui est compétente pour statuer en première instance. Sa décision pourrait faire l’objet d’un recours auprès de la Cour suprême. Fondamentalement, il se pose la question de savoir s’il est possible de déchoir un citoyen de ses droits civiques et politiques de manière indéfinie, comme c’est le cas avec Khalifa Sall et Karim Wade ? En d’autres termes, l’article L29 du Code électoral est-il conforme à la Constitution ?
Aux termes de l’article 22 de la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel, ‘’lorsque la solution d’un litige porté devant la Cour d’appel ou la Cour suprême est subordonnée à l’appréciation de la conformité des dispositions d’une loi ou des stipulations d’un accord international à la Constitution, la juridiction saisit obligatoirement le Conseil constitutionnel de l’exception d’inconstitutionnalité ainsi soulevée et sursoit à statuer jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel se soit prononcé... Si le conseil estime que la disposition dont il a été saisi n’est pas conforme à la Constitution, il ne peut plus en être fait application’’.
SOURCE:https://www.seneplus.com/politique/larticle-29-exclut-karim-wade