Il y a un peu moins d’un an, le Parquet spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) lancé aux trousses de personnes aux revenus suspects passait au crible le patrimoine de Aïda Ndiongue, ex-sénatrice libérale. Les premières révélations troublantes laissaient déjà subodorer que le fond du dossier recélait de bien plus inquiétants éléments. L’enquête émaillée d’auditions, d’investigations à l’étranger, de confrontations, de découvertes sidérantes, a été haletante, découvrant une Aïda Ndiongue batailleuse et un Parquet spécial près la Crei déterminé. Après plusieurs rounds sur près de 12 mois, Mme Ndiongue est placée en garde à vue. Un coup d’œil dans le rétroviseur permet de reconstituer les péripéties de cette affaire-marathon.
30 janvier 2013 : Suspicions d’enrichissement illicite et d’évasion fiscale
Le lourd climat de suspicions légitimes généré par les soupçons d’enrichissement sans cause de plusieurs pontes du régime sortant avait dressé une liste rouge de personnes aux revenus à la licéité suspecte. La Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) réactivée pour la cause met les bouchées doubles et carbure à plein gaz pour démêler le vrai du faux et le licite de l’illicite. Aïda Ndiongue, ex-sénatrice libérale, est dans le collimateur, soupçonnée qu’elle est d’être impliquée dans des mouvements de capitaux vers des paradis fiscaux. Les informations brutes que devait confirmer la Cellule nationale de traitement des informations financières parlent d’un montant de 4 milliards de francs Cfa. Dans le même temps, le Bureau des enquêtes de la Direction générale des impôts et domaines (Dgid) s’y colle et piste, lui, une importante évasion fiscale opérée par Aïda Ndiongue. L’affaire se corse.
31 janvier 2013 : Auditionnée, Aïda Ndiongue regimbe
C’est une Aïda Ndiongue fortement irritée qui déboule des locaux de la Division des investigations criminelles (Dic). Après une audition de plusieurs heures, elle sort libre, l’œil plein de flammes torves, la bave au coin de la bouche pour asséner devant les journalistes ses vérités. Elle soutient mordicus qu’elle est «milliardaire depuis 1993» et que l’Etat lui doit 5 milliards.
Sur le marché des produits phytosanitaires portant sur 5 milliards, elle dit : «Ils ne m’ont posé de question sur aucun marché.» Avant de croire bon d’ajouter : «J’ai commencé à travailler dans le privé depuis 1984 et en 1993 je fêtais déjà mon premier milliard.» Pour elle, cette convocation n’est qu’une tentative d’intimidation. Ni plus ni moins.
14 mars 2013 : La traque s’emballe
Entre-temps, les enquêtes se succèdent aux investigations et contre-investigations et les limiers lancés aux trousses de l’ex-sénatrice parviendront à reconstituer les éléments d’un gigantesque puzzle qui dessinent les contours de la fortune colossale de Aïda Ndiongue. Les enquêteurs ont réussi à dépister 16 milliards qui ont transité dans le compte Keur Marame Bercy, pendant que le Procureur spécial près la Crei bloquait ledit compte en attendant de savoir l’origine de ce pactole.
A ce stade de l’enquête, les limiers éventent plusieurs indices de nature à faire croire que la fortune suspectée a été éparpillée entre la France et le Luxembourg. Cerise sur le gâteau, les enquêteurs avaient mis la main sur un courrier émanant de l’ex-chef de l’Etat, Abdoulaye Wade, qui demandait à la Cbao de transférer 4 milliards de francs Cfa à l’étranger au bénéfice de Aïda Ndiongue. Celle-ci s’était aussi illustrée à travers l’achat de bijoux en or d’une valeur de 100 millions de francs Cfa et par l’ouverture d’un compte à la banque du Comptoir commercial de France. Ce compte était géré par une certaine Madame Huss, amie de l’ex-sénatrice libérale. Cette foultitude d’éléments vient conforter les soupçons d’enrichissement illicite et d’évasion fiscale.
13 juin 2013 : Les soupçons d’enrichissement grimpent à 77 milliards
A cette date, le dossier prend des proportions gigantesques. Alors que la suspicion entourait une somme de 5 milliards, les investigations du Doyen des juges d’instruction pistent désormais la faramineuse somme de …77 milliards de francs Cfa.
Pis encore, une purulente histoire de faux et d’usage de faux s’invite au dossier déjà complexe. L’entreprise de Aïda Ndiongue Egfed a ingurgité l’ensemble des marchés depuis 2005. Mais dans ce scandale, le service d’hygiène y a joué sa partition, contribuant à avaliser le faux. En effet, de hauts gradés de cette structure se sont retrouvés éclaboussés par cette boue. Il ressort des investigations qu’au moment des livraisons, les bordereaux ont été substitués et les mises à disposition signées par des subalternes, qui n’avaient aucun contrôle sur les mouvements des produits mis à leur disposition.
15 juin 2013 : Aïda Ndiongue sous contrôle judiciaire
L’affaire s’emballe et Ousmane Diagne, ex-procureur de la République, requiert le contrôle judiciaire contre Aïda Ndiongue. Dans le même temps, la Section recherches de la Dic avait réussi à montrer comment les deux comptables matières du Service national d’hygiène, Ibrahima Thiaw et Mame Fara Diop, ont signé les procès-verbaux de réception sans même avoir au préalable vérifié, en amont le contenu des livraisons.
3 juillet 2013 : Inculpation de Aziz Diop
Les auditons se poursuivent, car le scandale a éclaboussé plus de 25 personnes. Aïda Ndiongue auditionnée brièvement par le Doyen des juges d’instruction en ressort libre. Aziz Diop, directeur de Cabinet de Oumar Sarr, ancien ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme, est placé sous contrôle judiciaire. Le 10 juillet 2013, l’affaire commence à se dénouer. Le Doyen des juges d’instruction place sous mandat de dépôt Abdoul Aziz Diop et les deux comptables-matières, Ibrahima Thiaw et Mame Fara Diop, sont inculpés de faux et usage de faux, complicité de détournement de deniers publics. Pendant ce temps, Aïda Ndiongue certes sous contrôle judiciaire narguait ses contempteurs et défiait la justice, avant de tomber hier soir.
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