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dimanche, 27 avril 2014 00:00

Mohamed Ould Abdel Aziz, au Sahel: «la peur a changé de camp»

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À 57 ans, le général Mohamed Ould Abdel Aziz est président de la République islamique de Mauritanie depuis juillet 2009. Il a toutes chances d’être à nouveau candidat à l’élection du 21 juin.

Le Figaro. – En janvier 2013, vous n’avez pas répondu favorablement à la demande du président Hollande, d’envoyer vos forces combattre au Mali, aux côtés des soldats français et tchadiens. Pourquoi ?

Mohamed Ould Abdel Aziz. – La Mauritanie partage avec le Mali frère des frontières longues de plus de 2 000 km, c’est dire à quel point la sécurité en Mauritanie dépend de celle au Mali. Très tôt, nous avions attiré l’attention de nos partenaires régionaux sur les risques graves encourus par le Sahel, du fait de la présence de groupes terroristes dans le nord du Mali.

Nous avons dû y intervenir militairement en 2010, pour détruire des bases à partir desquelles les djihadistes voulaient commettre chez nous des attentats et des enlèvements. Puisqu’à l’époque le gouvernement malien tolérait chez lui la présence de groupes terroristes, nous avons pensé que nous étions les bienvenus aussi !

En 2013, les autorités de Bamako souhaitaient que l’armée mauritanienne se déploie dans l’est du Mali, ce qui étendait considérablement nos lignes logistiques et nous obligeait à dégarnir notre frontière. Nous avons considéré qu’en sécurisant nos frontières et en empêchant toute possibilité de repli des groupes terroristes armés sur notre territoire, nous avons beaucoup aidé l’opération « Serval » et contribué efficacement à l’élimination des djihadistes dans le nord du Mali.

Quelle solution voyez-vous pour la résolution du problème du Mali du Nord ?

C’est une question qui se pose depuis les indépendances. Les Maliens du Nord se considèrent marginalisés. Ils ont parfois des revendications farfelues. L’indépendance de l’Azawad est une chimère et nous sommes favorables à l’intégrité territoriale du Mali. La solution ne peut être recherchée et trouvée que par les Maliens, sans ingérence extérieure. Le président IBK a toute légitimité pour apporter une solution durable. Il y a peu de richesses au Mali en général ; il y en a encore moins dans le Nord.

La stabilisation de la région passe par la création d’infrastructures. L’erreur des autorités maliennes, c’est de s’être trompées d’ennemis. Ils étaient obsédés par les revendications nordistes et aveugles à l’installation des groupes terroristes. Leur laxisme avait favorisé l’accroissement de la menace terroriste et le développement du trafic de drogue.

La France et les autorités de Bamako n’ont pas les mêmes ennemis. Pour l’une, ce sont les islamistes ; pour les autres, ce sont les séparatistes touaregs du MLNA…

Au plus fort de cette crise, il fallait à tout prix éviter que le nord du Mali ne tombe entièrement aux mains des terroristes islamistes. Même si certaines des revendications du MNLA me semblent inacceptables, ce mouvement a su rester à l’écart du djihadisme. Étant donné les difficultés de l’environnement, toute action menée contre le terrorisme ne peut réussir sans rendre les populations locales acteurs de ce combat. Dans le passé, les djihadistes ont tissé des liens étroits – y compris des mariages – dans le nord du Mali. Ils se sont même parfois substitués à l’État dans son rôle social. Il fallait mettre un terme à cette situation.

« L’indépendance de l’Azawad est une chimère et nous sommes favorables à l’intégrité territoriale du Mali »

Depuis votre arrivée aux affaires en 2008, quelle a été votre stratégie dans la lutte contre les djihadistes et les trafiquants de drogue ?

La sécurité est la première des libertés. Sans sécurité, il n’y a pas de développement possible. Nous avons décidé de rétablir la sécurité dans notre pays en réorganisant notre armée afin de l’adapter à une nouvelle menace non conventionnelle. Cela nous a obligés à faire des sacrifices importants. Étant donné l’urgence et l’importance de la mission, nous n’avons pas attendu l’aide extérieure pour agir.

Nous avons retardé des projets d’infrastructures importants pour notre tâche prioritaire de rétablissement de la sécurité. Nous avons créé des unités mobiles et autonomes capables de se projeter n’importe où et à tout moment. Nous avons créé des bases logistiques proches des frontières. Nous avons aussi misé sur le renseignement humain. Avec le temps, la peur a changé de camp.

Quel est le lien entre terrorisme islamiste et trafic de drogue au Sahel ?

Les liens sont nombreux. Pour assurer leur sécurité, les trafiquants qui passent par les territoires sous contrôle des djihadistes sont contraints de fournir un ravitaillement en carburant, payer un droit de passage et donner de précieux renseignements.

Depuis l’affaire Claustre à la fin des années 1970, les Occidentaux ont pris l’habitude de payer des rançons pour libérer leurs otages.

Quelles conséquences sur le Sahel ?

Elles sont catastrophiques. Je suis opposé à tout dialogue avec les preneurs d’otages. Le paiement des rançons sert à réarmer les terroristes. Chaque fois que vous payez, attendez-vous à devoir payer encore plus la prochaine fois. L’argent occidental a, hélas, suscité au Sahel toute une économie de la prise d’otages, avec ses sous-traitants dans le kidnapping et le repérage. Les voyageurs occidentaux sont devenus des cibles au Sahel.

Les rançons qui furent payées par les Allemands et les Italiens pour la libération de leurs touristes pris en otages ont permis au petit groupe algérien du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) de grandir, et de se transformer en puissance terroriste régionale. Les rançons ont permis l’acquisition par les terroristes de matériels de guerre et de communication sophistiqués, allongeant dangereusement leurs rayons d’action. Les Anglais et les Américains ont raison de ne jamais payer.

L’Union européenne et la France vous apportent-elles une aide dans vos efforts de lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue ?

Chaque pays a ses problèmes et doit les porter sans attendre forcément le soutien de ses amis. Les aides sont devenues faibles et tardent souvent à venir. Nous entretenons d’excellentes relations avec la France et les États-Unis dans les domaines de la formation et de l’échange d’informations. Nous regrettons parfois la lenteur de l’aide européenne.

Vous avez accepté de devenir président de l’Union africaine ; est-ce que cela annonce une réorientation de la Mauritanie vers l’Afrique noire plutôt que vers la Méditerranée ?

Il ne s’agit pas d’une réorientation puisque nous sommes pleinement africains. En plus d’être membre fondateur de l’OUA, nous appartenons à plusieurs organisations régionales comme le CILSS (Comité interétatique pour la lutte contre la sécheresse au Sahel) ou l’OMVS (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal). Nous sommes aussi membre fondateur de la Ligue des États arabes.

Nous contribuons significativement à la coopération euro-méditerranéenne et nous jouons un rôle important dans l’espace sahélo-saharien. Nous sommes une nation riche par sa diversité culturelle arabe et africaine et nous comptons oeuvrer, tout au long de notre mandat à la tête de l’Union africaine, au renforcement de la coopération entre les ensembles régionaux africains et le reste du monde.

Vous venez d’annoncer l’envoi de troupes en Centrafrique, qui remplaceront les Tchadiens…

Ce que vous appelez notre remplacement des Tchadiens est fortuit. Nous répondons favorablement à une demande des Nations unies. Participer au rétablissement de la sécurité en RCA, c’est notre devoir d’Africains.

Quelle est la cause réelle du malheur de ce pays ?

Les difficultés de la RCA sont la conséquence de l’échec flagrant de son élite politique. Il n’y a pas deux races qui s’affrontent, il y a juste des politiques qui ont échoué.

« Toute action menée contre le terrorisme ne peut réussir sans rendre les populations locales acteurs de ce combat »

En RCA, les troubles ont commencé par les exactions antichrétiennes de la Séléka, auxquelles ont bientôt répondu les exactions antimusulmanes des milices Anti-Balaka. La solution n’est-elle pas la partition de la RCA en deux, chrétiens au Sud, musulmans au Nord ?

Non. Ce serait trop grave, pour toute l’Afrique. Si la religion devenait un instrument de séparation, ce serait catastrophique dans ce continent où chrétiens et musulmans ont toujours vécu en bonne intelligence. Je suis farouchement opposé à l’instrumentalisation de la religion par la politique. On ne peut pas bâtir une nation uniquement sur des critères religieux ou ethniques. Seul l’ancrage de la démocratie peut assurer le vivre-ensemble.

Êtes-vous favorable à l’interdiction des partis religieux ?

Aucun parti politique ne peut être basé uniquement sur la religion ou sur l’ethnie, sous peine d’être interdit.

Propos recueillis à Nouakchott par Renaud Girard

source: http://www.pointschauds.info/fr/2014/04/25/19225/

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