Dakar accueillait avant-hier samedi 29 novembre le 15e Sommet de la Francophonie. En présence de chefs d’Etat et de Gouvernement, hôtes du président de la République Macky Sall. L’ancien chef de l’Etat du Sénégal Abdou Diouf, y était surtout en sa qualité de Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Macky Sall a d’ailleurs profité de cette rencontre pour rebaptiser le Centre international de Conférences de Diamniadio qui porte désormais le nom d’Abdou Diouf qui s’est dit «foudroyé» par la nouvelle. Ce 15e Sommet s’est ouvert sur une sorte de diagnostic et des quelques pistes de réflexion sur des sujets communs aux pays de l’espace francophone : avec entre autres les femmes et les jeunes qui sont au cœur du thème de ce Sommet de Dakar, la prévention et la gestion des conflits, la menace Ebola etc.
25 longues années ou un quart de siècle, voilà ce qui sépare ce Sommet de Dakar du premier que le Sénégal accueillit, c’était en 1989. Dans son discours inaugural, le chef de l’Etat Macky Sall est revenu sur cette date qui marque un tournant dans l’histoire et la configuration de la Francophonie. Puisque c’est à ce moment-là qu’elle devient une institution en majuscule, avec un destin politique : on parle d’une Francophonie institutionnelle qui va au-delà de la langue française que plusieurs peuples du monde ont en partage.
Francophonie : les femmes et les jeunes au cœur de ce 15e Sommet
Dans son discours, Macky Sall s’est exprimé sur le thème de ce 15e Sommet, sur les jeunes et sur les femmes qui sont au cœur de ces nombreux défis que doit relever la Francophonie : qu’il soit question de paix, de sécurité ou de stabilité, de dérives extrémistes, de chômage, de marginalisation ou de dégradation de l’environnement. Le Mali, dira son président de la République Ibrahim Boubacar Keïta, explique que son pays prend des initiatives pour se donner un nouveau souffle, et que les valeurs de paix et de respect mutuel sont essentielles pour les jeunes. Une jeunesse très impliquée, ajoute-t-il, dans tous les processus de sortie de crise, dans toutes les entreprises de réconciliation. Idem pour les femmes maliennes dont il dit qu’elles ont été sensibilisées à la question et qu’on leur a fourni des instruments pour mieux en comprendre tous les enjeux. 58 groupes de femmes ont d’ailleurs reçu des équipements pour le maraîchage et la transformation de produits agricoles. Parce qu’en période de crise ou de conflit, les femmes sont souvent durement touchées par la pauvreté.
La Vice-présidente du Vietnam Nguyen Thi Doan pense à ce sujet qu’il faudrait faciliter davantage l’accès des femmes au crédit, en leur permettant de participer encore plus à la vie politique et à l’économie de leurs pays. Ce sont aussi elles les premières victimes de la violence en période de conflits, c’est à elles d’abord que s’en prend la barbarie, selon le président français François Hollande pour qui les mariages précoces et les mutilations génitales féminines n’ont rien à faire dans l’espace francophone. On retrouve quasiment le même discours chez le Premier ministre canadien Stephen Harper pour qui les pays francophones doivent tout mettre en œuvre pour réduire le taux de mortalité maternelle. Si les femmes sont aussi victimes des inégalités face aux hommes, les jeunes francophones, eux, souffrent surtout d’un chômage massif.
Prévention et gestion des conflits
Le Mali, rappelle son président de la République, a été profondément touché ou ébranlé par la crise au nord du pays, une crise qui a éprouvé les fondements de la société malienne et mis à nu le vivre-ensemble et dont le peuple malien lui-même se remet à peine. Ce qu’il faut aujourd’hui, selon Ibrahim Boubacar Keïta, « c’est réconcilier la nation malienne avec elle-même ». Ce Sommet de la Francophonie s’inscrit aussi, selon lui, dans un contexte délicat de menaces terroristes », avec des foyers de tension qui se multiplient.
François Hollande affirme d’ailleurs à ce sujet, rappelant que des pays francophones ont traversé de graves crises, que la Francophonie doit apporter son soutien à tous ces pays où les alternances sont bafouées et où l’on viole les règles de la Constitution. La première des valeurs de l’OIF, c’est, dit-il, la démocratie. Ce qui implique la liberté de vote et des élections libres. Hollande donne l’exemple de la Tunisie où des élections se sont tenues avec succès, surtout après le Printemps arabe. Ou alors le cas du Burkina Faso qui est une belle démonstration, une belle manière de faire respecter les règles du jeu démocratique et de dissuader tous « ceux qui seraient tentés de violer les règles constitutionnelles ». L’implication de la Francophonie dans la gestion des conflits-où elle est devenue incontournable-rajoute à la crédibilité de l’organisation, selon le chef de l’Etat guinéen Alpha Condé.
La République démocratique du Congo (RDC), qui a assuré pendant deux ans (de 2012 à 2014) la présidence de la Francophonie (présidence dont a hérité le Sénégal qui a accueilli ce Sommet) s’est aussi exprimée là-dessus. Le chef de l’Etat Joseph Désiré Kabila s’est réjoui que, pendant cette période, l’OIF ait accompagné des processus de paix et de reconstruction en Egypte, en Tunisie, au Mali, au Burkina Faso et même en RDC. L’OIF, dit encore Joseph Kabila, doit avoir le souci des droits de l’Homme et celui de la prévention des conflits, de la paix ainsi que de la démocratie.
Ebola au Sommet de la Francophonie
Dans son discours prononcé lors de ce 15e Sommet de la Francophonie, Ibrahim Boubacar Keïta s’est réjoui de pouvoir annoncer une bonne nouvelle : « Le dernier cas suspect au Mali est négatif. » Ce qui signifie que son pays n’est officiellement plus touché la maladie. Même s’il faut se montrer prudent et vigilant, et ne surtout pas baisser la garde, pour que personne ne puisse se soustraire aux contrôles. Pour vaincre Ebola, pense François Hollande, il faut former des soignants qui soient en mesure d’apporter des informations utiles à la population. La vigilance oui, l’enfermement non. Parce qu’il faudrait selon lui éviter la discrimination contre les pays frappés par la maladie. Montrant ainsi, selon Alpha Condé, que la Guinée, comme les autres pays touchés, était encore fréquentable. Pour le Premier ministre canadien Stephen Harper, la question de la maladie à virus Ebola interpelle « la solidarité internationale ».
Francophonie et langue française
L’écrivain Albert Camus, que cite François Hollande, disait n’avoir d’autre partie que la langue française. Cette même langue qui reste un trait d’union entre les peuples, au-delà de l’appartenance à une même nation. Le président français ajoute aussi qu’il faut protéger la langue de Molière, protéger la diversité culturelle, parce que « la culture est un bien public ». Hollande se montre même assez catégorique : «Jamais la culture ne sera l’objet de négociations», et jamais elle ne sera considérée comme une marchandise. Il faudrait selon lui multiplier les événements culturels, et faire venir des créateurs de partout. Idem pour le chef de l’Etat gabonais Ali Bongo Ondimba pour qui « la Francophonie doit être un espace culturel dynamique où les opérateurs culturels pourront tirer profit de l’ouverture de l’Afrique aux flux du monde ».
Aujourd’hui, on pense de plus en plus à la place du français dans le monde, avec l’hypothèse qu’elle puisse être éclipsée par l’anglais. Hollande dit au contraire que « le français n’a peur d’aucune autre langue ». Parce qu’il jouit d’un préjugé favorable, celui d’être une langue que l’on parle plus par adhésion que par commodité ou par facilité ». Il faudrait, dit Hollande, que l’on puisse faciliter et encourager la mobilité des étudiants et des chercheurs au cœur de l’espace francophone ». Et qu’à ce sujet, la France elle-même doit commencer par donner l’exemple.
La Francophonie ou «l’emblématique» personnalité d’Abdou Diouf
Le précédent Sommet de la Francophonie se tenait en République Démocratique du Congo (RDC), mais samedi 29 novembre, le chef de l’Etat congolais songeait déjà à l’après-Abdou Diouf. Joseph Désiré Kabila affirmera qu’il sera quasi impossible de trouver la personne qui remplacera Abdou Diouf, et qu’il serait plutôt préférable de parler d’un « successeur ». Un Secrétaire Général de l’OIF, selon lui, doit être à même d’incarner les valeurs démocratiques de l’institution et de porter le « chantier de la Francophonie économique ». Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta gardera lui en mémoire l’engagement d’Abdou Diouf au service « d’idéaux communs aux pays de la Francophonie ». Pour le président français François Hollande, Abdou Diouf est tout simplement un symbole de l’Afrique en développement. C’est aussi un homme d’Etat qui « a servi son pays », porteur de valeurs universelles qui lui ont permis de s’élever « au-delà de sa condition nationale » pour être « l’acteur international » qu’il est. Le président ivoirien Alassane Ouattara dira, lui, qu’Abdou Diouf a donné plus de visibilité à l’OIF et qu’il l’a rendue plus proche des peuples.