Fadel Barro, coordonnateur du mouvement «Y en a marre» - «Les raisons de notre indignation d’hier sont toujours d’actualité»
Écrit par SENETOILE NEWSFadel Barro est le coordonnateur du Mouvement «Y en marre», un des principaux acteurs du combat politique qui a eu raison du Président Wade et porté Macky Sall à la magistrature suprême. Mais après deux ans de règne du nouvel homme fort du Sénégal sur qui «Y en a marre» avait fondé beaucoup d’espoir, le constat de son coordonnateur est froid. Fadel Barro répond ici à un protocole d’interview que L’Observateur lui a envoyé dans l’après-midi d’hier.
Fadel Barro, vous êtes le coordonnateur du Mouvement «Y en marre», quelle appréciation faites-vous des deux années de Macky Sall à la tête du Sénégal ?
Pas du tout rassurant ! Si c’était une équipe de football qu’on observait sur le terrain, on pourrait dire que son jeu laisse à désirer ou, en tout cas, ce jeu ne permet pas de gagner une équipe. Quelle image nous renvoie la prestation de Macky Sall et des «Apéristes» après deux ans aux affaires ? Une forme de gouvernance pas du tout sobre marquée par la montée du folklore au détriment de la sobriété. On peut citer l’anniversaire du parti retransmis sur la chaîne nationale où l’on nous montre le gaspillage de l’argent et le capharnaüm organisé lors du Club de Paris juste pour aller recueillir des engagements de crédits. La violence érigée comme forme de dialogue par les «Apéristes» avec à la tête des députés du peuple qui dégainent à tout va. L’irruption de la famille Faye-Sall qui s’octroie le droit de nommer, de se faire élire ou d’écarter qui ils veulent… Regardons ce qui se passe au niveau de la Justice, c’est très révélateur de la gouvernance de Macky Sall. On entreprend des choses, on l’annonce en grande pompe, mais on ne va pas jusqu’au bout. Prenons quelques exemples. Quand ils ont commencé la traque des biens mal acquis, tout le monde a applaudi, mais chaque jour qui passe révèle un tâtonnement, un pilotage à vue qui finit par faire des accusés des victimes. Sur l’affaire Karim Wade, par exemple, on sent que l’Etat doute. Nous craignons qu’au final, à défaut d’avoir diligenté cette affaire avec le professionnalisme et la rigueur qui sied, que ça finisse avec des règlements de comptes politiques. Aujourd’hui, on a l’impression que c’est un acharnement, alors que la lutte contre l’impunité devait être impartiale. Nous alertons l’opinion contre toute tentative de complot ou de compromission sur le dos du peuple. L’autre affaire concerne les mœurs. Au vu de certaines libertés conditionnelles, nous avons l’impression qu’on fait prime au vice. Nous n’avons rien contre ces célébrités qui en ont bénéficié, mais la loi ne doit pas être appliquée à la tête du client. Nous avons été beaucoup déçu par ces pratiques, surtout quand nous avons à la tête de la chancellerie un homme de Droit.
Qu’en est-il de la gestion du foncier ? Macky avait promis l’audit du foncier. On assiste à une spoliation systématique au profil d’investisseurs ou de spéculateurs privés. Arrêtons-nous sur le dernier cas de la Corniche ouest pour dénoncer avec fermeté ce qu’il convient d’appeler le mur de la honte. D’ailleurs, «Yen a marre» va se joindre à toutes les dynamiques en cours pour arrêter cette injustice. En réalité, ce mur de la honte n’est que la partie visible de l’iceberg. Macky n’a pas opéré de rupture sur la gestion du foncier. Il ne fait que perpétuer la politique de Wade. Le projet Sen-huile, Sen-éthanol se poursuit malgré des études sérieuses qui montrent que le projet ne draine que des externalités négatives pour son environnement. Pourtant, Macky leur avait promis, entre les deux tours, de l’arrêter s’il arrive au pouvoir. Sur la Grande Côte, les paysans souffrent de l’exploitation du zircon. Qu’en est-il de l’audit des terres de la foire, de la situation à Mbane, des terres de l’aéroport ? C’est sur toutes ces questions que «Y en a marre» va appeler les forces vives à joindre leur force pour mener le combat. De la même manière qu’il faut se battre pour que le Dakarois continue de voir la mer en préservant le domaine maritime, il faut aussi se mobiliser pour que le paysan ne soit pas victime de la promotion tous azimuts de l’agrobusiness. Car, aujourd’hui, il y a une véritable OPA des capitaux étrangers sur les terres de l’Afrique. Et c’est à ce niveau qu’on attend nos gouvernants ! Il faut qu’ils soient en mesure de dire non à certains spéculateurs pour préserver les intérêts des Sénégalais de demain. Même sur l’affaire de la cimenterie de Dangoté, on ne nous a pas dit tous les impacts sur l’environnement, en dépit des querelles qu’il y a eu sur le foncier. Des experts sont en train de nous mettre en garde sur les menaces réelles sur la nappe phréatiques au moment où l’on veut développer l’agriculture dans cette zone.
Sur le plan économique, nous regrettons l’absence de vision qui nous a amenés à se chercher pendant deux ans pour aboutir sur le Pse, qui, d’ailleurs, ne rassurent pas les spécialistes de la question. On souhaite que ça marche pour l’intérêt du Sénégal, mais le Pse ne doit pas être un prétexte pour sur endetter le pays et nous mener à nouveau vers des ajustements structurels. En même temps, on nous sert des investissements inopportuns comme le centre de conférence de Diamniadio qui va nous coûter quarante milliards pour quelques jours de réunions. S’il est bien de doter Dakar d’une salle à son rang, il doit se faire avec des moyens raisonnables à la dimension de notre niveau de développement. A quoi ça sert d’avoir une salle intelligente au moment où nos salles d’opération dans les hôpitaux sont malades ? Nous allons souvent à l’intérieur du pays, mais à chaque fois, nous sommes sidérés par le niveau de délabrement du plateau technique au moment où on nous parle de Couverture maladie universelle.
Sur la question des réformes institutionnelles, nous avons été profondément meurtris et déçus par les volets de bois verts qu’a reçus le rapport de la Cnri. Sept cents millions du contribuable ont été dépensés et ils leur réservent un traitement politicien. Alors que c’était le moment de poser un débat utile sur l’orientation de notre République et notre démocratie…
Concrètement, est-ce que ce qui vous avez poussé, avec le soutien de la majorité des jeunes Sénégalais, à combattre le régime de Abdoulaye Wade a été pris en compte par le nouvel homme fort du Sénégal ?
Nous sommes sur un combat de principe et nous voulons rester au-delà des personnes. Les raisons de notre indignation d’hier sont toujours d’actualité. On ne cesse de le dire. C’est une des raisons pour lesquelles d’ailleurs, nous n’avons pas changé de nom. Macky Sall n’est pas un magicien, on n’attendait pas de lui qu’il vienne avec une baguette magique résoudre tous les problèmes des Sénégalais. Mais, au moins qu’il pose les jalons dans sa démarche. Macky a tous les moyens pour réussir, à condition qu’il traduise son discours, la patrie avant le parti, en acte. Qu’il arrête de penser que ce sont ses alliés et son parti qu’il faut satisfaire et qu’il s’atèle à la résolution des problèmes des Sénégalais. Qu’il parle simplement aux Sénégalais de ce qui est possible et de ce qui n’est pas possible et arrêter de promettre l’impossible, pensant qu’avec l’argent promis à Paris les Sénégalais ne souffriront plus. Qu’il s’atèle à rétablir les valeurs citoyennes et républicaines. C’est avec ce seul levier qu’il parviendra à embarquer les populations sur les chantiers de son projet de développement qui ne réussira qu’avec la participation de tous les fils du pays et non avec son seul clan.
Politiquement, Macky a presque phagocyté l’opposition en restant avec la majorité de ses alliés de Bennoo Bokk Yaakaar. Et les seuls opposants qu’on entend parler, ce sont les leaders du Pds ou de partis issus de cette formation. Pourquoi «Y en a marre» n’intervient plus, comme par le passé, dans le débat politique actuel ?
Ça dépend de qui veut nous entendre ! «Y en a marre» continue d’intervenir. Maintenant, nous ne sommes pas un parti politique qui pond des communiqués à longueur de journée. Nous travaillons, dans le cadre des chantiers du Nts (Nouveau type de Sénégalais) à être utiles au pays, au-delà de la contestation. Une des choses que nous avons dites au Président Obama quand nous l’avons rencontré, c’est que nous sommes une génération d’Africains qui refuse d’être un fardeau pour notre pays, mais un moyen, une énergie transformatrice. C’est pourquoi, nous travaillons beaucoup dans le projet «Tabax Euleuk» à faire de notre jeunesse une locomotive du développement. Ceci, en dehors et loin du spectacle des médias. Maintenant, il y a des gens qui ne veulent voir «Y en a marre» que dans la contestation. Nous les comprenons, mais chaque chose a son temps. Il y a un temps pour déconstruire, il y a un temps pour construire. Nous suivons notre rythme sans chercher à plaire à certains politiciens qui veulent qu’on porte leur combat selon les circonstances. Nous gardons le cap et cherchons chaque jour à éviter les pièges de la manipulation.
Certains pensent que les raisons de votre mutisme se trouvent dans un gentlemen agreement que vous avez signé avec Macky qui, selon eux, a été un de vos parrains dans la lutte contre Wade. Qu’en est-il ?
Considérer cette hypothèse revient à nier toute possibilité à la jeunesse sénégalaise de concevoir et de porter un combat avant-gardiste. Pourquoi Macky serait notre parrain ? S’il avait ce pouvoir de monter des jeunes comme nous, il l’aurait fait dans son parti et pour son parti. Arrêtons de voir partout des complots. Nous sommes libres, nous avons créé ce Mouvement à partir d’un engagement sincère, d’une ferme détermination à porter le combat de notre génération, ou du moins à remplir notre part de cette mission. D’aucuns peuvent ne pas le comprendre, c’est compréhensible, mais il nous appartient de persévérer dans notre démarche et de rester cohérent par rapport à nos idéaux. Les commentaires sont libres, mais regardez les actes posés par «Y en a marre».
L'Observateur
http://www.dakaractu.com/Fadel-Barro-coordonnateur-du-mouvement-Y-en-a-marre-Les-raisons-de-notre-indignation-d-hier-sont-toujours-d-actualite_a62799.html
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