Philippe Barry, président de l’Initiative Rse Sénégal : « L’enjeu de la Rse, c’est la prévention des conflits »
Écrit par SENETOILE NEWSCréée en 2008, l’Initiative Rse Sénégal a pour missions de promouvoir la Responsabilité sociétale des entreprises (Rse) auprès des dirigeants des industries et de susciter l’intérêt des pouvoirs publics enfin de les inciter à mettre en place un cadre qui favorise la culture de la Rse. Cette organisation, selon son président fondateur, Philippe Barry, cherche ausi à favoriser le développement de modèles économiques locaux intégrant la Rse dont l’un des enjeux est de prévenir les conflits.
Pouvez-vous revenir sur les actions que vous menez actuellement dans le cadre de l’Initiative Rse Sénégal ?
Rse Sénégal a été créée en 2008. C’est une initiative qui vise à promouvoir la Responsabilité sociétale des entreprises au Sénégal et en Afrique de l’Ouest. Elle est bâtie autour de la vision qu’on ne peut pas développer le Sénégal et les pays de l’Afrique de l’Ouest sans une valorisation des ressources locales. Qui dit ressources locales, dit compétences, promotion mais aussi transformation des ressources. Cette initiative repose sur un dispositif qui comprend trois groupes. Le premier, c’est le réseau Rse Sénégal qui regroupe actuellement 39 entreprises de différents secteurs : mine, industrie, banque, télécommunication, transport logistique, distribution, contrôle technique, hôtellerie, etc.
Le deuxième groupe est constitué par les partenaires institutionnels. On y trouve l’ambassade du Canada, celle des Pays-Bas, l’Agence française de développement (Afd), la Coopération allemande, l’Agence luxembourgeoise et les Industries chimiques du Sénégal (Ics). Nous avons aussi des partenaires académiques comme l’Institut des sciences de l’environnement (Ise) avec lequel nous collaborons depuis 2011, l’Institut supérieur d’enseignements professionnels (Isep) et le lycée technique de Thiès. Nous avons également des partenaires opérationnels selon les thèmes abordés dans le cadre de la Rse. Ainsi, nous avons un partenaire en environnement, un autre dans le déploiement de la responsabilité sociétale auprès des collectivités locales, idem dans le leadership, en genre…
Depuis le début de l’année, nous disposons d’un troisième groupe qui est celui des micros et petites entreprises. Nous considérons que si nous voulons répondre à un enjeu national fort, celui du développement durable lié à l’emploi des jeunes surtout, il faut qu’il y ait des petites et micros entreprises dans les chaînes de valeurs des grandes entreprises. L’Initiative Rse Sénégal permet de mieux sensibiliser les parties prenantes. Cet outil, c’est la charte Rse et développement durable du Sénégal. Il est fabriqué au Sénégal. Nous devons en être fiers, parce que le problème du secteur privé, et même du public, c’est que nous n’arrivons pas à concevoir nos propres outils. Or, en 2012, nous sommes arrivés, avec un groupe de 11 entreprises, à concevoir cet outil qui est adapté à notre contexte socio-économique et à nos entreprises. Cette charte de Rse et de développement durable du Sénégal est applicable aux petites ou grandes entreprises.
Quels sont les aspects que vous avez pris en compte dans l’élaboration de cet outil ?
Nous avons utilisé comme référentiel la norme Iso 26 000 sur la Rse pour bâtir cette charte, puis la charte du Mouvement des entreprises de France (Medf) qui est le patronat français pour les sociétés qui s’implantent en Afrique. Cette charte a 22 engagements. Mais nous avons voulu faire un outil simple. Ainsi, 7 engagements ont été pris pour l’ensemble des questions centrales de la Rse. L’autre dispositif mis en place et qui est la finalité de ce que l’on veut faire dans le cadre la Rse, c’est de promouvoir des initiatives Rse et le développement durable à partir de partenariats. Aujourd’hui, notre objectif est d’accompagner et de recenser toutes les initiatives que les grandes entreprises et les trois grands groupes peuvent faire pour répondre aux enjeux du développement durable dans le domaine de l’emploi, la santé, l’éducation, l’environnement, etc. D’où l’aspect novateur de cette initiative en Afrique de l’Ouest francophone.
Y a-t-il un éveil de conscience toutes ces initiatives ?
Les choses ne bougent pas comme il le faut pour différentes raisons. D’abord, il n’y a pas un cadre juridique propice au développement de la Rse comme il en existe dans les pays du Nord ou ceux émergents. Nous n’avons pas encore intégré la Rse dans nos politiques publiques. Il faut donc un cadre pour cela, mais aussi des incitations. Car, pour les entreprises qui veulent entrer dans la Rse, il n’y a pas de véritables incitations. Même si le statut de la fondation d’entreprise existe, la reconnaissance est très compliquée. Il y a donc très peu de fondations d’utilité publique lancées par des entreprises. L’autre obstacle, c’est la méconnaissance de la Rse, aussi bien dans l’opinion publique que chez les dirigeants d’entreprises. Ils pensent que la Rse est du mécénat ou une action philanthropique. Nous nous intéressons à ce qu’on appelle Rse stratégique et inclusive. Il faut donc former et sensibiliser l’opinion dans ce sens. En plus, nos dirigeants doivent avoir une vision et anticiper sur les stratégies. C’est la vision qui manque encore dans les entreprises. On gère trop le quotidien. On n’anticipe pas souvent sur le développement économique. Cela constitue également un frein. Tant qu’on aura des gestionnaires dans les entreprises plutôt que des entrepreneurs, la Rse aura du mal à se déployer.
Les entreprises minières de Kédougou ou Thiès, par exemple, orientent-elles leurs actions de Rse dans la restauration des écosystèmes et dans la protection de l’environnement ?
L’exemple des compagnies minières est très intéressant. Certaines sont plus en avance dans la prise en compte des préoccupations Rse sociales et environnementales que d’autres. Si nous comparons des compagnies canadiennes et celles installées à Kédougou, il y a une différence. Le gouvernement canadien exige à ses compagnies l’adaptation des pratiques Rse. Car, avec cette dernière, nous sommes dans une démarche de progrès. Toutefois, nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu’une compagnie minière dont l’objectif est d’exploiter les minerais, qui nécessairement, auront un impact négatif sur l’environnement, réhabilite à 100 % ce milieu. C’est impossible. Par contre, elle peut réhabiliter en atténuant les impacts négatifs. A Kédougou, Teranga Gold, et au Burkina Faso, Iamgold, ont intégré dans leurs stratégies la réhabilitation écologique des écosystèmes. Il est possible d’essayer de voir comment restaurer ces écosystèmes pour qu’ils puissent être profitables durablement aux populations. Aujourd’hui, des entreprises qui n’étaient pas dans la dynamique Rse il y a trois ans, y sont maintenant. Malheureusement, d’autres sont dans une situation Rse déplorable. Actuellement, dans la communauté rurale de Méwane, région de Thiès, les populations font une différence nette entre les Ics et Gco qui fait le zircon.
La pratique de la Rse ne contribue-t-elle pas à faire adhérer les populations de ces zones aux politiques des entreprises ?
C’est tout l’enjeu de la Rse. C'est-à-dire essayer de voir comment prévenir les risques de conflits en instaurant d’abord la confiance entre l’entreprise et les populations, ensuite comment arriver à cette confiance. C’est là où se trouve l’importance de la communication et la transparence. Le premier principe de la Rse, c’est la reddition des comptes, et le deuxième, la transparence. La société minière doit régulièrement rendre compte aux populations, en toute transparence. Nous avons aussi d’autres principes, dont l’éthique et le respect des intérêts et attentes des parties prenantes. Les sociétés doivent prendre en compte les intérêts et attentes des populations. Mais ces dernières doivent également comprendre comment fonctionne une entreprise. C’est ce cadre de dialogue qu’il faut mettre en œuvre et que les messages soient simples et accessibles à la population. Cela appelle à l’expertise en communication.
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