Dans sa volonté de libérer leur client, les avocats de Karim ont mis à contribution la juridiction communautaire, la cour de justice de la Cedeao, qui, saisie a rendu un arrêt à multiples interprétations.
Non satisfaits des décisions de la juridiction nationale, les avocats de Karim Wade décidèrent de saisir la juridiction communautaire, la cour de justice de la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (cedeao). Entre autres griefs, les robes noires se sont opposées à la violation supposée des droits de leur client et ont demandé sa libération pour arrestation et détention arbitraires, la suspension de la participation de l’Etat du Sénégal à toutes les instances de la Cedeao, la forme de la loi portant création de la cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), l’interdiction de sortie du territoire et l’arrêt des poursuites à leur client.
Sitôt le verdict rendu, chaque camp procède à une interprétation à sa manière. Les avocats de l’Etat du Sénégal se réjouissent. « La cour souligne, dans un premier temps, que l’arrestation et la détention de Karim Wade ne sont pas arbitraires. Donc, l’Etat du Sénégal n’a pas outrepassé la loi. D’autre part, la cour nous dit qu’elle n’est pas compétente pour juger des affaires en cours dans les Etats membres », tentent-ils de convaincre. Comme pour renforcer l’argumentation des avocats de l’Etat , Aminata Touré, Ministre de la justice d’alors , explique le contenu de l’arrêt : «nous sommes heureux d’apprendre que la cour s’est déclarée compétente pour connaitre les affaires en cours dans les Etats, puisque chaque Etat est souverain, même si nous sommes tous Etats parties à la cour de justice de la Cedeao .Néanmoins, la cour a affirmé qu’elle ne pouvait se substituer aux instances juridiques et judiciaires souveraines des Etats». Elle a également déclaré que «l’arrestation de Karim n’était pas arbitraire. Elle l’a débouté de sa demande d’indemnisation à plusieurs centaines de milliards ». Du côté des avocats de l’Etat, les positions équilibrées se dégagent.
Selon Me Amadou Sall : « la cour de justice de la Cedeao dit de façon très claire que le rôle de poursuite appartient à la haute cour de justice. Et si l’Etat respecte la décision, la cour de répression de l’enrichissement illicite n’aura pas à juger Karim Wade ».
Pour tenter de sauver les meubles, l’Etat du Sénégal «régularisa» l’interdiction de sortie à travers la notification aux concernés et en s’appuyant sur des bases claires. Cela après une vague dénonciation des organisations de droits de l’homme qui se sont levées pour l’application de la décision des juges communautaires.
Les mises en demeure
Entendu à plusieurs reprises à la section de recherche de la gendarmerie de colobane, parfois fois à des heures tardives de la nuit, l’ancien ministre des transports a reçu sa mise en demeure de justifier son patrimoine estimé à plus de 694 milliards, le 15 Mars 2013. En effet, c’est à l’expiration du délai d’un mois requis par la loi portant création de la cour de répression de l’enrichissement illicite, qu’il s’est présenté devant le procureur spécial Alioune Ndao. Le 17 avril , accompagné de ses avocats, Mes Demba Ciré Bathily, Ciré Cledor Ly , El hadj Amadou Sall,... il n’a pu convaincre, au terme du face-à-face, de la licéité de son « exhaustif patrimoine » devant les magistrats poursuivants. Ses partisans massés devant les locaux de la crei reçurent des tirs de grenades lacrymogènes des forces de l’ordre, mobilisés en grand nombre, pour neutraliser les velléités de trouble à l’ordre public. C’est dans l’après-midi, à son domicile du point E, qu’il a été cueilli par les forces de défense et de sécurité. Il venait d’être inculpé pour corruption et enrichissement illicite et placé sous mandat de dépôt le 17 avril 2013. Des visites de soutien et de reconnaissance se multiplièrent. Autant il était investi d’un délai d’un mois pour apporter des éléments d’explication sur son « patrimoine présumé illicite », autant le parquet spécial était assujetti d’un délai de 6 mois pour mener ses opérations. A l’échéance, si les travaux ne parviennent pas à un résultat positif, toute détention de l’ancien ministre
Seconde inculpation
D’abord le 13 septembre, avant même la fin de la durée légale de détention, le parquet spécial lui signifie la seconde mise en demeure portant sur 30 comptes bancaires à Monaco (150millions d’euros). De plus, le 16 octobre, Karim reçut une nouvelle inculpation. Par la suite, les événements prirent une autre tournure dans la mesure où le fils de l’ancien Président Wade refusa de répondre aux magistrats et de signer le procès –verbal.
C’est finalement le 16 avril 2014, que la commission d’instruction de la Crei renvoie Karim et sept complices présumés devant la cour de répression de l’enrichissement illicite pour y être jugés.
Le combat pour la haute cour de justice
Le fils de l’ancien President de la République, devenu conseiller, puis Président du Conseil exécutif de l’Anoci, enfin Ministre des transports terrestres, aériens, de l’aménagement du territoire et de la coopération décentralisée, était au cœur du système vers la fin du règne du régime de Wade. Au déclenchement de la traque des biens supposés mal acquis, les avocats tentent de lui faire bénéficier un privilège de juridiction. En fait, dans leur entendement, leur client peut bel et bien rentrer dans la catégorie des justiciables bénéficiaires d’une faveur : « pour les fautes commises dans l’exercice de leurs fonctions, le Président de la république, le Premier Ministre et les ministres sont justiciables de la haute cour de justice ». Le Parquet spécial par la voix d’Antoine Félix Diome écarte cette idée et éclaire : « l’infraction d’enrichissement illicite est connexe et par conséquent la compétence de la juridiction en la matière s’apprécie au moment de la Constitution du délit d’enrichissement illicite ». Mieux, le substitut d’Alioune Ndao, défend que l’infraction sera constituée à partir du moment où la personne mise en demeure de justifier son patrimoine présumé illicite, soit qu’il n’est pas en mesure d’apporter les preuves, soit que les preuves données sont insuffisantes.
Dés lors, quelles que soient les positions juridiques avancées, semble dire le parquet spécial, l’ancien ministre ne peut être jugé par la haute cour de justice. L’Etat dans sa volonté de faire face à une éventuelle décision de justice favorable à Karim Wade, s’est efforcé de mettre en place une haute cour de justice. Une juridiction d’exception composée de magistrats professionnels et de non professionnels. L’assemblée nationale entre en jeu et installe ladite juridiction en nommant les juges titulaires et suppléants. Dans tous les cas, l’ordonnance de renvoi de Karim devant la Crei en lieu et place de la haute cour de justice comme l’ont toujours souhaité les défenseurs de l’ancien Ministre sous Wade, va –t-elle sonner la fin de cette quête de privilège. Avec le jugement programmé aujourd’hui, les robes noires ne risquent-elles pas de soulever des exceptions d’incompétence de la juridiction de jugement de la cour de répression de l’enrichissement à connaitre des faits relatifs à la gestion d’un ancien ministre ? Auquel cas, des conséquences sur un report du procès s’avèrent irrévocables...
source:http://www.sudonline.sn/la-bataille-juridique_a_20169.html