«Cette épidémie est sans précédent, absolument pas sous contrôle et la situation ne fait qu'empirer puisqu'elle s'étend encore, avec des foyers très importants….»
Directeur de Médecins sans Frontières
Partie de Guinée en début 2014, puis s’étendant au Libéria, Sierra Leone, Nigeria, l’épidémie de fièvre hémorragique Ebola qui se répand vertigineusement est devenue la plaie sanitaire de toute la région. Ébola fait partie des maladies virales les plus graves connues chez l’homme.
Découvert en 1976 par le spécialiste en médecine tropicale Gilbert Raffier, le virus n'avait pas provoqué jusqu'ici d'épidémie incontrôlée. La raison est simple : tuant ses victimes très rapidement, la chaîne de transmission tendait à s'interrompre rapidement.
Pour la toute première fois, il émerge de façon fulgurante en Afrique de l’Ouest et dans ses grandes villes, menaçant les 180 millions d’habitants qui y vivent alors qu’il est toujours resté cantonné à l’Afrique centrale, après «24 flambées épidémiques» toutes contenues dans cette zone et ses forêts. Le virus actuel, qui appartient à l’espèce Zaïre, la plus dangereuse des cinq espèces connues du virus Ebola, a une létalité élevée, allant jusqu’à 90%. On ne dispose d’aucun traitement ou vaccin.
Le virus se transmet à l’homme à partir des animaux sauvages infectés et se propage ensuite dans les populations par transmission interhumaine, par contact direct avec les fluides biologiques d'une personne infectée, y compris sang, salive, selles, urine et transpiration, ainsi que par des objets ayant été contaminés. Les flambées peuvent se propager rapidement, avec des symptômes initiaux qui rendent difficile un diagnostic exact.
Les symptômes sont similaires à ceux de nombreuses maladies tropicales ; ce qui complique le diagnostic est une période d'incubation qui varie entre deux jours et trois semaines.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), il s'agit de la «plus importante épidémie en termes de personnes atteintes et décédées et d'étendue géographique». Le bilan est alarmant, plus de 1 323 cas auraient été recensés dont 729 morts (339 pour la Guinée, 233 pour la Sierra Leone et 156 pour Liberia), et elle n’est toujours pas maitrisée.
Une vigilance accrue et des mesures d’hygiène drastiques s’imposent car à ce jour il n’existe ni vaccin ni traitement spécifique, que ce soit pour l’homme ou pour l’animal. Les autorités sanitaires incitent les populations à adopter des mesures de précaution simples, comme se laver régulièrement les mains au savon.
«Quand on voit plusieurs personnes d'une même famille emportées en même temps par cette maladie, on ne peut que voir le diable partout.» Rompre la chaîne de contagion est une tache des plus complexes. L’inquiétude créée par cette épidémie est renforcée par la nature du virus nommé «Zaïre» tellement plus dangereux que la variété «Tai» la plus courante du virus.
Le «Zaïre» proviendrait selon les scientifiques très certainement de réservoirs naturels du virus que sont les chauves-souris, les singes et les antilopes. Ce dernier se propage uniquement par des contacts directs avec une personne contaminée, notamment des agents de santé ou lors de funérailles quand les corps sont lavés tel que préconisé par la tradition.
L’isolement et la quarantaine indispensables à la prise en charge des malades est d’autant plus délicat qu’il heurte nos croyances et pratiques culturelles. Comment ne pas sacrifier au rituel de rendre visite à un malade sans passer pour terriblement égoïste ? Ou encore, bien plus grave, ne pas respecter les rites funéraires de lavage du corps d’un défunt ? Ou même faire fi de l’indispensable acte de politesse et ciment social qui est de saluer en serrant la main ? Ou d’abandonner l’inéluctable rituel de partage d’un repas autour d’un plat commun ?
Imposer des mesures (d’hygiène) des plus strictes est difficilement concevable dans nos contextes culturels, mais toutes ces pratiques accroissent considérablement le risque de contagion. Les interdire renforce la psychose et la terreur autour de ce fléau tragique. C’est toute la nécessité d’un travail de sensibilisation et d’éducation savamment menés et bien ciblés auprès des couches de populations à risque afin d’endiguer la transmission du virus pour lequel nous n’avons toujours pas de remède.
La découverte du remède miracle n’est pas pour demain. Les chercheurs avancent à pas de fourmis dans la recherche de solutions en raison du manque cruel de moyens financiers. En effet, tout médicament ou vaccin ne serait pas rentable puisque depuis la découverte du virus Ebola il y a de cela bientôt 40 ans «seuls» 10.000 cas ont été répertoriés !
Quand la réalité de la rentabilité économique et les lobbies pharmaceutiques s’imposent encore une fois au sort des plus pauvres, faisant fi de leurs besoins, car peu intéressants économiquement. Tout laisse bien à croire que si le virus s’était propagé en Occident la solution du traitement serait toute autre.
Les répercussions économiques ne tardent pas à se faire sentir : rien qu’en Guinée, le Fonds Monétaire International fait état d’une baisse de l’activité notamment dans l’agriculture ou les paysans désertent leurs champs sans compter le tourisme et les services sérieusement affectés egalement.
«L'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest n'est qu'une preuve supplémentaire de la nécessité d'un centre africain de contrôle des maladies», affirmait tout récemment un dirigeant africain. Paniques, stigmatisation, fermeture de frontières sont loin d’être des solutions idoines. Seule une gestion concertée, efficace et sérieuse par tous les états atteints et menacés directement ou pas avec l’appui financier et technique de bailleurs et experts régionaux s’impose.
Alors qu’à Melbourne la semaine dernière tous les experts en santé publique présents affirmaient définitivement maitriser la propagation de la pandémie du SIDA, malgré quelques défis persistants, voilà qu’Ebola arrive par la grande porte et avec fracas sur le continent.
Les enjeux sont indéniablement différents, et cette fois-ci c’est aux Africains de prendre le mal à bras le corps. Dans un monde interconnecté la menace Ebola est certes planétaire, mais elle est avant tout africaine. Un test grandeur nature pour nos dirigeants, lesquels, nous l’espérons, s’attelleront à trouver une réponse à la hauteur du défi. En attendant Ebola s’invite au Sommet Amérique-Afrique qui se tient cette semaine.
source:http://www.seneplus.com/article/la-nouvelle-peste