Le Sénégal est sans doute l’un des pays qui enregistre plus de scandales fonciers en Afrique de l’Ouest. Depuis les indépendances, il y a eu des problèmes quant à la gestion des terres et des forêts protégées par le code forestier. Dans un souci de les valoriser ou de les mettre à la disposition de l’intérêt général, nos chefs d’Etat, du président Abdou Diouf à Macky Sall, en passant par Abdoulaye Wade, ont procédé au déclassement de certaines terres ou forêts, non moins sans susciter de nombreux conflits au sein des communautés, compte tenu des différents enjeux immobiliers ou agropastoraux.
Si le processus de déclassement n’a pas respecté toute la procédure indiquée dans le code forestier ou si l’information n’est pas portée au niveau communautaire pour expliquer aux gens les enjeux et les nécessités du déclassement, il peut toujours y avoir des conflits. Car dans le code forestier, c’est bien à la suite d’une réunion de la commission nationale précédée par celle de la commission régionale de conservation des écosystèmes que le président de la République se décide de déclasser une forêt ou non. L’information est aussitôt publiée dans le journal officiel pour prendre immédiatement effet.
Mais les communautés sont souvent surprises d’entendre du préfet, du sous-préfet ou du représentant régional du service des eaux-et-forêts qu’ils ne sont pas au courant du déclassement d’une forêt quand bien même ils devaient siéger dans la commission régionale ou nationale. Ce qui pose évidemment problème. Car au cas où le président de la République décide de déclasser une forêt de son propre gré, sans l’implication préalable des commissions régionale et nationale, la procédure est scandaleuse et illégitime du point de vue de la loi.
Malheureusement, il y a généralement beaucoup de zones d’ombres autour des processus de déclassement de nos forêts. Ce qui est à la source des conflits observés dans les communautés directement concernées.
Les déclassements répertoriés
Du temps du président Abdou Diouf, devant la pression démographique, plusieurs forêts ont été déclassées dans le Sénégal oriental. A l’époque, l’Etat était dépassé par le pouvoir
politique des marabouts avec l’enjeu économique de l’arachide. « L’exploitation spectaculaire des 45.000 hectares de la forêt de Mbeggé, en 1991, a entrainé la destruction de l’un des derniers maillons de la barrière des forêts classées de l’Est de la zone arachidière », a déclaré Schonnmaker Freudenberger en 1991 cité par Momar-Coumba Diop dans « La société sénégalaise entre le local et le global » publié aux éditions Karthala.
Dans le « Compendium des forêts classées du Sénégal » publié par le service national des Eaux-et-forêts, il est indiqué un certain nombre de forêts qui sont déclassées par décret présidentiel. Dans la région de Saint-Louis, les 11 hectares de la forêt de Leybar, classée le 2 juillet 1934 sous le numéro 1538, ont été complètement déclassés à 100 % par décret 2000-255 du 28 mars 2000. Le parc forestier de Richard Toll, d’une superficie de 20 hectares, classé sous le numéro 2880 du 12 avril 1954 a encore été déclassé partiellement de 1 hectare par le décret 2000-255 du 28 mars 2000 pour la construction d’une station d’épuration des eaux usées par la SDE. Toujours à Richard Toll, sur les 378,5 hectares classés le 28 juin 1932 sous le numéro 1587, 10 hectares ont été déclassés par le même décret 2000-255 du 28 mars 2000 pour la restructuration du quartier Khouma.
Dans la région de Thiès, à Diass, sur les 1860 hectares classés sous le numéro 224 du 21 janvier 1939, le décret 2001-667 du 30 août 2001 avait déclassé 907,35 hectares pour les besoins de la construction du futur aéroport de Diass (Aibd). Dans la ville de Thiès même, des 11600 hectares classés sous le numéro 1943 en date du 28 août 1934, le décret 2000-254 du 15 mars 2000 avait déclassé 500 hectares au bénéfice des Ciments du Sahel. Toujours dans la région de Thiès, par décret n°2006-1335 du 27 novembre 2006, une partie de la forêt classée de Pout, d’une superficie de 897 ha 70 a, ainsi que celle de la forêt classée de Thiès, d’une superficie de 44 ha 37 a, ont été déclassées par le président Abdoulaye Wade au profit de Sérigne Saliou Mbacké, défunt Khalife général des mourides. Le 12 décembre 2008, par le décret n°2008-1431, le Président avait déclassé 804 ha constituant une partie de la forêt de Pout Est (dans la zone de Tchiky) au profit de Dangote Industries pour l’implantation d’une cimenterie.
A Dakar, dans la forêt de Mbao, le Président Abdoulaye Wade avait également déclassé 57 ha pour les besoins de la construction de l’autoroute à péage et de la station d’essence Sen Oil. Toutefois, à côté des déclassements répertoriés, il y a d’autres qui semblent être tenus secrets ou du moins non dévoilés aux populations. Le site d’informations Thiès Vision nous renseigne que le 27 mars 2014, le Président Macky Sall, « par un décret tenu secret » (n°2014-371), a déclassé 304 hectares de la forêt classée de Thiès située dans la commune de Thiès Ouest.
Les scandales fonciers du siècle
Le plus grand scandale foncier de l’histoire de notre pays remonte au début de l’alternance. La communauté rurale de Mbane est sortie de l’anonymat en devenant tristement célèbre avec ses 202 417 hectares de surfaces de terres octroyées par le régime du Président Wade à des ministres, des proches de ministres et des sociétés. Le scandale est révélé par la conférence des leaders de la coalition Benno Siggil Senegal le mardi 28 juillet 2009.
Un peu plus tôt, en 2006, une parcelle de 1194,54 ha affectée au khalife général des Tidianes, feu Sérigne Mansour Sy, et une autre de 942,07 ha affectée au défunt khalife général des mourides, Sérigne Saliou Mbacké sous le magistère de Thierno Lô au ministère de l’environnement seront sujettes à quelques problèmes. Car Sérigne Mansour Sy sera ainsi « informé en 2008 que les 1100 ha qui lui ont été affectés ont été morcelés, une partie a été attribuée au milliardaire Dangote pour l’implantation de son usine, une autre partie à son porte-parole, Sérigne Abdou Aziz Sy Al Amine, au khalife général des mourides et à quelques autres bénéficiaires », souligne Babacar Samb dans un article qu’il avait publié sur Seneweb.
« Une démarche surprenante qui pourrait être source de conflit entre Sérigne Mansour et son jeune frère et porte-parole Sérigne Abdou, mais aussi entre tidianes et mourides », poursuit-il tout en rappelant que « Sérigne Mansour Sy n’a pas voulu tomber dans le piège que lui tendait le régime libéral, dans la mesure où entre mourides et tidianes, il n’y aura jamais de zones d’ombres ».
A la source des conflits communautaires
Le déclassement des forêts comporte beaucoup de risques de conflit comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire. Quelques fois le procédé par lequel il est effectué, le manque de communication et souvent de transparence suscite la colère populaire. L’implantation de la société Sen Huile et Sen Ethanol à Fanaye avait fait le buzz quand le Président Wade avait dépossédé les autochtones de leurs terres au profit des investisseurs étrangers. De violentes manifestations y éclatèrent entrainant une mort d’homme. Le projet avait alors été déplacé à Gnith sous la surveillance effective de la gendarmerie. Tivaouane Peulh avait aussi fait couler beaucoup d’encre quand le Président Abdoulaye Wade y avait octroyé près de 400 hectares à la société immobilière Namora.
Il y a aussi que le décret portant le déclassement des terres au profit de Sérigne Saliou Mbacké n’avait pas précisé les délimitations des dites terres. Une plainte des héritiers du marabout contre Dangote avait alors atterri au tribunal régional de Thiès. L’enjeu était incommensurable. Les partisans du milliardaire nigérian soutenaient qu’il y avait 1300 emplois qui étaient menacés. Ce feuilleton judiciaire constituait une autre source de conflit.
Dans la ville de Thiès, la mairie a engagé un bras de fer avec les attributaires de terrains d’habitat sur le site de la forêt classée où elle envisage d’abriter provisoirement les mareyeurs déguerpis du marché au poisson du quartier Sahm. Selon Thiès Vision, « on continue de faire croire aux gens qu’ils ont construit sur le site d’une forêt classée » alors que ce n’est plus le cas (304 hectares sont déclassés le 27 mars 2014 par le Président Macky Sall par le décret n°2014-371).
Récemment, les habitants du quartier Beau Séjour de Keur Mbaye Fall ont élevé la voix pour dénoncer ce qu’ils appellent le projet d’usurpation de la partie de la forêt classée de Mbao sise à la devanture de leur quartier. La société Maritalia aurait acquis depuis 10 ans déjà (vraisemblablement en 2004) ces 2,3 hectares de terres dans le but d’y établir un site d’entreposage. Mais ce qui est bizarre dans cette affaire c’est le fait que les services régionaux et départementaux ne soient pas informés. Ils ont avoué aux membres de l’association « Les riverains du marigot de Mbao Gare » qu’ils ne sont au courant de rien.
DU CLASSEMENT AU DECLASSEMENT DES FORETS
Dans le titre 3, intitulé « De la protection des forêts » du Code forestier, il est stipulé à l’article Art. R. 3 que « les forêts classées sont constituées en vue de leur conservation, de leur enrichissement et de la régénération des sols, par tout moyen approprié de gestion ou de protection ».
En effet, au chapitre premier, traitant « Du classement et du déclassement des forêts », l’article R 38 renseigne que « lorsque l’Etat l’estime nécessaire, dans l’intérêt général ou pour la sauvegarde de certaines formations naturelles, il peut procéder au classement des forêts ».
« Le classement d’une forêt doit être motivé par des considérations de conservation de ressources naturelles telles la protection des eaux de surface, des sols, de la faune, d’une végétation particulière et seulement si cette protection s’avère impossible dans le cadre d’une forêt située hors du domaine forestier de l’Etat », poursuit le même article du code forestier.
Art. R. 39. - Le déclassement d’une forêt ne peut intervenir que pour un motif d’intérêt général ou de transfert des responsabilités de l’Etat en matière de gestion forestière au profit d’une collectivité locale qui garantit la pérennité de la forêt.
Le déclassement n’entraîne pas de la part de l’Etat, renonciation à ses droits sur la parcelle de forêt déclassée. De plus, même en cas d’affectation à un tiers, il ne peut donner lieu à la reconstitution de droits de même nature que ceux qui avaient été supprimés par le classement.
Art. R. 40. - En matière de classement et de déclassement, le Ministre chargé des Eaux et Forêts veille à ce qu’un équilibre soit respecté entre les intérêts nationaux, les intérêts des collectivités locales et ceux des particuliers.
Art. R. 41. - Les limites des forêts du domaine forestier de l’Etat sont matérialisées sur le terrain par tout moyen à la convenance du service chargé des Eaux et Forêts et permettant d’identifier clairement leur périmètre.
Un bornage de chaque forêt est réalisé et un levé qui en constitue le plan de bornage est fait. A ce plan est annexé un procès-verbal de bornage établi contradictoirement avec tous les riverains de la forêt. Chaque changement de direction de la limite doit être matérialisé par une borne sur le terrain. La borne ainsi utilisée doit être caractéristique des limites des forêts du domaine forestier de l’Etat et ne peut être utilisée qu’à cet usage.
Les limites des forêts autres que celles du domaine forestier de l’Etat sont matérialisées sur le terrain par tout moyen à la convenance des collectivités locales ou du propriétaire du boisement. Un plan topographique de ces forêts est annexé au plan d’aménagement.
Art. R. 42. - Il est créé, au chef-lieu de chacune des régions administratives du Sénégal, une commission régionale de conservation des écosystèmes. Cette commission examine les demandes de classement, de déclassement et de défrichement.
Lorsque, dans un département, le domaine forestier de l’Etat représente moins de vingt pour cent de la superficie, les demandes de classement ne peuvent être étudiées que dans la mesure où elles sont assorties de propositions de classement portant sur des surfaces équivalentes.
Dans la zone sylvo pastorale où la plus grande partie du domaine forestier est utilisée en vue de l’alimentation du bétail, le taux de classement ne doit pas être inférieur à cinquante pour cent et les dispositions de l’alinéa précèdent sont applicables.
Art. R. 43. - La commission régionale de conservation des écosystèmes chargée d’étudier les demandes de classement, de déclassement et de défrichement est composée comme suit : le gouverneur qui préside, les préfets, le président du conseil régional ou son représentant, le chef du service régional chargé des Eaux et Forêts qui fait office de secrétaire, le chef du service de l’Enregistrement des Domaines et du Timbre, le chef du service du Cadastre, le chef du service de la Planification, le chef du service de l’Élevage, le chef du service de l’Hydraulique, le conservateur des Parcs nationaux, le chef du service chargé de l’Environnement, le chef du service de l’Aménagement du Territoire, le chef du service de l’Energie, le chef du service du Développement communautaire, l’assistant régional des centres d’expansion rurale polyvalents, le représentant de chacune des collectivités locales intéressées, le représentant de la Chambre régionale de commerce, d’industrie et d’agriculture, un représentant de la Maison des Eleveurs.
Toutefois, lorsqu’elle se réunit en matière de défrichement, la commission est présidée par le président du conseil régional.
Le président peut élargir cette commission à toute personne dont il juge utile la présence de l’instruction du dossier.
Art. R. 44. - La commission se réunit dans les six mois suivant la réception de la requête, sur convocation de son président. Elle se transporte sur les lieux au moins dans les trente jours précédant la réunion et étudie le bien-fondé de la requête et des réclamations éventuelles.
Elle transmet le dossier et ses conclusions à la commission nationale dans les trente jours suivant le jour de la réunion. Ce dossier comprend :
Une carte détaillée faisant apparaître l’emplacement des villages, les terres destinées à la culture, les terres abandonnées à la jachère, les terres dont le classement ou le déclassement est demandé, l’emplacement des réserves forestières existantes ;
Les statistiques de la population des villages et leur variation au cours des dernières années ;
Une note sur la nature et l’importance des différentes droits d’usage constatés et ceux dont la maintien est autorisé ;
Une note justificative de la demande de classement ou de déclassement ;
Un procès-verbal de la réunion de la commission régionale.
Art. R. 45. - Il est créé une commission nationale de conservation des écosystèmes, composée comme suit : le Ministère chargé des Eaux et Forêts qui préside, le Directeur chargé des Eaux et Forêts qui fait office de secrétaire, un représentant de l’Assemblée nationale, un représentant du Conseil économique et social, un représentant de la Présidence de la République, un représentant de la Primature, le Directeur de l’Enregistrement des Domaines et du Timbre, le Directeur du Cadastre, le Directeur de la Planification, le Directeur des Affaires générales et de l’Administration territoriale, le Directeur de l’Agriculture, le Directeur de l’Elevage, le Directeur du Génie rural, le Directeur de l’Hydraulique, le Directeur chargé des Parcs nationaux, le Directeur chargé de l’Environnement, le Directeur de l’Aménagement du Territoire, le Directeur de l’énergie, le Directeur des Collectivités locales, le Directeur du Service de l’Expansion rurale, le Directeur du Développement communautaire, le Secrétaire permanent du Conseil supérieur de l’Environnement et des Ressources naturelles.
Le président peut élargir cette commission à toute personne dont la présence est utile à l’instruction du dossier.
Art. R. 46. - La commission nationale se réunit dans les trente jours suivant la réception du dossier de classement ou de déclassement présenté par la commission régionale.
En cas d’avis défavorable, le rejet est notifié à l’intéressé.
En cas d’avis favorable, elle transmet au Président de la République le dossier, avec son avis motivé dans les quinze jours suivants la réunion.
Le classement ou me déclassement de la forêt est prononcé par décret. En cas de déclassement, le décret fixe, s’il y a lieu, les conditions précises d’exploitation par bénéficiaires en fonction du plan d’aménagement de la zone concernée.
Extrait du Code forestier du Sénégal
Source:http://www.sudonline.sn/entre-scandales-et-conflits-communautaires_a_21597.html