On est en 1994, la misère sociale gagne les campagnes et les villes. Le pays vient de voir dévalué le FCfa en janvier, une hécatombe pour l’économie sénégalaise qui ployait sous le coup des politiques d’ajustements structurels qui n’ont jamais réussi à faire décoller le Pib national. Les contestations post-électorales et le Sopi triomphant et contestataire de Me Abdoulaye Wade sont venus secouer les fondements d’un pouvoir de Diouf essoufflé qui ne savait plus par quel bout prendre cette révolte subite. S’y ajoutent les frustrations de la grande masse de Sénégalais pressés d’en finir avec l’arrogance socialiste. Un cocktail détonnant et explosif auquel est venu s’ajouter le discours religieux des leaders Moustarchidines Wal Moustarchidates. La rue va s’échauffer, des heurts sèment la panique chez les Sénégalais qui assistent à la mort de six (6) policiers, dépassés par une foule qui veut marcher vers le Palais de la République pour déloger Diouf. Dakar est à feu et à sang et le premier bilan est lourd.

De l’eau a coulé sur les ponts depuis…Makhary Mbaye est devenu le responsable de la communication du mouvement des Moustarchidines Wal Moustarchidates. Cet homme au physique de basketteur est l’auteur d’un Mémoire de Maîtrise sur le mouvement des Moustarchidines Wal Moustarchidates à l’Ucad, Département Arabe, en 2002. Sur ce document universitaire, il estime que tout laissait croire que l’Etat s’employait à créer un embrasement généralisé sans se préoccuper outre mesure des implications sociales graves qui risquaient d’en découler. Et comme pour refuser la fatalité d’une déliquescence à laquelle, il n’a nullement participé, le Syndicat des travailleurs avait conduit trois grèves générales en vue de défendre ses intérêts fondamentaux.

«Tous ces facteurs vont concourir, tant soit peu, à l’organisation d’un meeting sous l’initiative de la Coordination des forces démocratiques (Cfd), le 16 février 1994. Présidée par les ténors de l’opposition de l’époque, à savoir Me Wade et Landing Savané, la rencontre connut la participation des Moustarchidines membres de la Cfd. A la fin de sa communication au meeting, le Secrétaire général du Pds, comme pour satisfaire la demande de la masse, laissera entendre : «Vous voulez marcher, eh bien marchez», lit on dans son travail universitaire. La suite, on la connaît… les gens ont marché sur injonction de l’opposant Abdoulaye Wade et il y a eu des morts… A la suite de ces incidents d’une extrême gravité et violence, plus de 150 membres du mouvement des Moustarchidines avaient été arrêtés, de même que des responsables et militants des partis de l’opposition. Mais Me Wade qui avait clairement donné l’ordre de marcher ne sera pas inquiété outre mesure alors que les Moustarchidines Wal Moustarchidates sont arrêtés, incarcérés dans les prisons de Dakar et de Rufisque. Ils bénéficieront eux-aussi, plus tard, d’un non-lieu. Et c’est là que la Justice sénégalaise ne semble obéir à aucune logique, car deux jeunes qui auraient tué l’auxiliaire de police Fodé Ndiaye sont condamnés à 20 ans de prison ferme. Au grand dam de tous les esprits épris de justice et de liberté qui ont fait facilement la comparaison pour déplorer le manque d’équilibre entre les deux cas. D’autant que les Moustarchidines qui ont tué six policiers dans l’exercice de leurs fonctions ont pu bénéficier d’un non-lieu. Parce qu’il y avait un fin «politique», un redoutable opposant, Me Wade, qui faisait pression sur la justice et le pouvoir de l’époque. Dame Justice a bien changé entre-temps.

Dans les rangs des Moustarchidines Wal Moustarchidates, Lamine Samb, membre de la section de Niary Tally, est torturé à mort dans les locaux de la police.

Djibo Kâ, alors ministre de l’Intérieur, profite de la situation pour entrer dans l’Histoire. Lors d’une déclaration télévisée, il annonce l’interdiction, sur tout le territoire national, des activités du mouvement des Moustarchidines, décret numéro 001123, du 17 février 1994. L’histoire ne ment jamais.

Dans son travail universitaire, Makhary Mbaye écrit dans son Mémoire : «Fidèle à sa politique de la main tendue, comme l’affirme son Premier ministre Habib Thiam, le chef de l’Etat rencontre opposants et syndicalistes. Au même moment, à l’initiative de son principal rival, Abdoulaye Wade, trois partis de l’opposition ‘se concertent’ avec les mêmes personnes afin de parvenir à un ‘pacte de paix sociale’.
Si l’objectif recherché paraît le même, la méthode préconisée pour y parvenir est différente. Pour l’opposition comme pour le pouvoir, elle interdit dans l’immédiat un remaniement ministériel attendu et qui devrait voir le retour de Me Wade au gouvernement», lit-on dans le document.

En tout cas, ce jour de février 1994 est un triste jour pour la République et un grand jour pour les journalistes, car le défunt Mame Olla Faye, journaliste à «Sud Quotidien», avait pris des risques énormes pour s’opposer au lynchage de policiers. Ce sera le seul geste d’humanité de cette funeste journée…

MOR TALLA GAYE

source: http://www.gfm.sn/le-jour-ou-les-moustarchidines-ont-tue-six-policiers-a-dakar/