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vendredi, 20 mars 2015 00:00

ME AMATH BA, BATONNIER DE L’ORDRE DES AVOCATS «WADE A DÉRAPÉ...»

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Interpellé sur la sortie malheureuse de l’ancien président de la République sur les parents de Macky Sall, le bâtonnier de l’ordre des avocats, Me Amath Bâ considère que «Wade a dérapé et c’est dommage». Et qu’il aurait pu être interpellé pour lui demander des comptes. 

Dans ce second jet de «Grand format», le bâtonnier de l’ordre des avocat plaide aussi pour la révision du statut du parquet, dans la perspective de la modernisation de notre justice.

 

Sur plan théorique tout semble bien fait pour une bonne justice avec notamment la séparation des pouvoirs consacrée par notre charte fondamentale. Pourquoi ça ne marche pas ? 

 
C’est la volonté politique. On laisse passer trop de choses. Il y’a beaucoup de «masla» (compromis). On ne va pas au fond des choses sur bien des questions. Quand il faut sanctionner, on ne sanctionne pas. Le mérite n’est pas le critère qui permet aux gens de monter dans la hiérarchie etc.
 
C’est quand même grave qu’un Bâtonnier reconnaisse qu’il y a une justice sélective dans ce pays où certains sont condamnés et d’autres pas du tout inquiétés, même s’ils commettent des délits ?
 
Ce n’est pas que l’avocat le dise qui est grave, mais que ça soit une réalité qui est plus grave. 
 
La corruption gangrène également notre justice. Comment vous l’évaluez ? 
 
Oulala ! Elle est dans notre justice. Mais, on ne peut pas l’évaluer parce qu’elle n’est pas palpable. Je ne suis pas un partisan de la dénonciation facile en disant que c’est untel ou c’est untel. Non ! C’est bien plus compliqué. Je veux plutôt inviter les avocats de l’espace de l’UEMOA à formuler des propositions réalistes et d’y associer les acteurs. Parce que la corruption n’est une affaire d’avocats ou de magistrats. Les pouvoirs politiques ont une grande part de responsabilité. Ce sont eux qui détiennent les leviers les plus importants. 
 
Beaucoup de sévices sont aussi dénoncés à tort ou à raison durant l’enquête préliminaire ou pendant la garde à vue. Est-ce qu’il ne faudrait pas rendre obligatoire l’assistance d’un avocat dès les premières heures de la garde à vue ? 
 
C’est devenu une réalité grâce au règlement de l’UEMOA qui est entré en vigueur depuis le 1er janvier 2015 et qui est valable dans tout l’espace. C’est une avancée majeure. 
 
Mais, ce règlement est-il suffisamment appliqué au Sénégal ? 
 
Ce n’est pas suffisamment appliqué. Mais c’est applicable. La disposition est là. Si vous êtes interpellé, dès les premières heures, voire les minutes qui suivent votre interpellation, vous pouvez dire : «j’ai besoin d’un avocat». Et l’avocat doit pouvoir assister son client en lui disant : «ne répond pas à cette question», s’assurer qu’il n’est pas torturé, qu’il ne fait pas l’objet de sévices. S’il est malade, il a droit à un médecin etc. 
Nous y avons travaillé depuis plus de dix ans. Mais, les conditions pour permettre l’effectivité de cette avancée,  sont à créer. C’est un autre challenge. 
 
Malheureusement, l’on constate que beaucoup de Sénégalais ne sont pas au courant de cette nouvelle réglementation. N’est-ce pas ? 
 
Effectivement. C’est d’ailleurs l’ancienne disposition qui est toujours dans le code de procédure pénale. C’est au moment de renouveler la garde à vue qu’on vous dit que vous avez besoin d’un avocat. Et quelque part, dans le code, il est dit que l’entretien entre l’avocat et le client ne doit pas dépasser 30 minutes. Qu’est-ce que ça veut dire ? Il ne l’assiste pas.
 
Mais est-ce que cette disposition n’enfreint pas la manifestation de la vérité ? 
 
La disposition est capitale. On lit tous les jours ce qui se passe dans les enquêtes préliminaires.
 
Il y a de plus en plus des plaintes des justiciables à l’encontre de leur avocat. Qu’est-ce qui est prévu pour améliorer la situation ? 
 
Vous avez raison de dire que les plaintes sont nombreuses. Il est rare que le Bâtonnier reste une journée sans recevoir une à deux plaintes. Mais, il faut faire la part de choses. Parfois, ce sont des manquements à l’obligation d’informer. Le client dit : «j’ai constitué untel que j’ai payé, mais il n’est pas venu le jour de l’audience». Ou souvent, on dit : «je ne suis pas d’accord avec le calcul des honoraires de l’avocat». Souvent aussi, il y a des choses plus graves où l’avocat encaisse des sommes, mais ne fait pas le règlement convenablement. C’est aussi un fait que je ne vais pas nier. Je tiens juste à ce que l’ordre réponde à la plainte du client qui le saisit. L’avocat c’est aussi la bonne pratique ailleurs. Nous avons la CARPA (Caisse de règlement pécuniaire des avocats) regroupant tous les deniers reçus par l’avocat et sont déposés dans un compte unique ouvert au nom de l’ordre dans une banque. Chaque avocat dispose aussi d’un sous-compte de ce compte. La règle, c’est que l’avocat, après avoir déposé les sommes reçues pour le client pendant un délai de huit jours, doit liquider, c’est-à-dire prélever ses honoraires et faire le chèque qui lui revient. 
Ici au Sénégal, la façon dont la CARPA fonctionne, c’est que l’avocat a un chéquier pour son sous compte. C’est lui qui fait la liquidation tout seul. Il signe le chèque pour ses honoraires et il signe le chèque pour son client. Nous avons envie d’aller vers ce qui se fait au Burkina Faso, à Paris, ce qui se fait dans d’autres barreaux où tous les montants qui arrivent, sont centralisés par la CARPA, elle-même. Et l’avocat dit : «mes honoraires c’est tant, faites le calcul et faites un chèque pour le client». 
Rassurez-vous que dans les pays qui utilisent un tel système, il n’y a presque pas de plaintes contre les avocats (rires). 
 
Quelle est la procédure pour qu’un justiciable puisse saisir le bâtonnier ?
 
Une simple lettre adressée au Bâtonnier, déposée à la maison de l’avocat. Mais les procédures sont contradictoires. On lit d’abord la plainte et on envoie une demande d’explication à l’avocat qui a huit jours pour répondre. S’il ne répond pas dans ces délais, on fait un rappel. Mais en général, je fais un seul rappel. Si je n’ai pas de réponse, je désigne parfois un rapporteur. Si ce dernier conclut à des manquements, on va en conseil de discipline.  
 
Nous sommes au 21ème siècle où le secret d’instruction fait débat dans beaucoup de pays. Le droit à l’information est consacré par notre charte fondamentale. Pendant ce temps, certains soutiennent que les instructions préliminaires ne doivent pas se retrouver dans la presse. Quelle pourrait être la solution ?  
 
Ma réponse elle est simple : on ne doit retrouver dans la presse les actes de procédure qu’ils soient de l’enquête préliminaire ou de l’instruction. c’est ma position et c’est ça la bonne règle pour préserver le secret de l’instruction et la vie et la dignité des gens parce que même ceux qui ont en maille à partir avec la justice, ont une dignité, des libertés et des droits et il faut préserver cela. Mais le droit à l’information, il faut aussi l’aménager. Et c’est pour cela que je laisse la parole aux gens qui me disent qu’ils vont faire un point de presse ou une conférence. Je leur dis toujours qu’il y’a des lignes marginales à ne pas franchir. Mais, on peut informer l’opinion d’une affaire sans avoir  à violer le secret de l’instruction ça c’est possible et il faut trouver cette équilibre. On revient beaucoup sur ces questions, le secret de l’instruction, le droit à la communication. Vous savez, il est interdit à l’avocat de rechercher une publicité personnelle et il y en a qui cherchent la publicité sous prétexte qu’ils communiquent et sous prétexte de satisfaire le droit à l’information alors qu’en réalité, c’est une manière de faire une publicité déguisée. 
Alors comment trouver la ligne de démarcation. C’est là toute la question
 
La professionnalisation des avocats est devenue une question importante surtout dans le domaine de la bonne gouvernance. Qu’est-ce que vous envisagez de faire ?
 
Nous insistons beaucoup sur la formation des avocats. Nous insistons aussi sur la recherche de ce qu’on appelle les modes alternatives de règlement des différends, l’arbitrage des justices privées. Malheureusement, l’arbitrage a la réputation d’être chère. Là, on vient de faire un séminaire sur la médiation et il y’a un nouveau décret sur la médiation. C’est un chantier très important. Vous trouverez d’ailleurs les textes sur le site de l’ordre (ordredesavocats.sn). Et c’est un chantier porteur. Aujourd’hui, il fait un peu l’unanimité. En dehors du ministère de la justice, il y’a l’accompagnement de la banque mondiale, le programme de gouvernance économique. On travaille sur cet important dossier pour pouvoir désengorger les rôles des cours et tribunaux où il y’a beaucoup d’affaires et parfois il n’y a pas assez de bras.
Les magistrats sont submergés. Dans le code de procédure civile aujourd’hui on vous dit que la décision doit intervenir au bout de 4 mois. Il faut faire preuve de célérité. Il y a aussi le climat des affaires, l’indicateur doing business. C’est un ensemble de choses qui appelle les acteurs à prendre des initiatives. C’est le cas des pouvoirs publics. La médiation est donc un chantier important qui requiert l’adhésion des avocats et des magistrats pour que vraiment on arrive à désengorger et à inverser les rôles. Mais, qu’on arrive à résoudre certains conflits qui n’ont pas besoin d’aller au tribunal. Il y’a aujourd’hui une expérience intéressante dans les maisons de justice où on arrive à régler les conflits dans les boutiques de droit. Donc, vraiment il y’a la modernisation, mais il reste beaucoup à faire. Parce que vous avez beaucoup d’audience et parce que les avocats sont seuls dans leur  cabinet, ce n’est pas évident. Il peut arriver qu’en une journée que vous ayez quatre à cinq audiences, comment vous faites ? Donc on réfléchie aussi à la dématérialisation des procédures judiciaires. Avec les nouvelles technologies l’avocat n’a plus besoin de se déplacer pour demander le renvoie du procès. Ce qui lui permettra de gagner du temps. Idem pour les magistrats qui doivent juger. 
 
En plus de la formation, il y a  précarisation du métier d’avocat. Quel commentaire?
 
Tout à fait et on a des chantiers en termes de formation. On a beaucoup parlé de l’école des avocats et le président de la République a dit plusieurs fois, lors de la première et la dernière rentrée solennelle des Cours et tribunaux, mais aussi lors de la CIP que nous avons tenu au mois de décembre. Il a dit de manière forte qu’il entendait accompagner les avocats dans ce projet qui est l’école des avocats et la dernière fois d’ailleurs il a dit qu’il allait mettre un terrain à la disposition des avocats.  Ce qui nous permettra de multiplier par dix les formations en direction des avocats et des jeunes qui ont des masters1 et masters2. Ce serait bien qu’ils s’initient et apprennent le travail dans une structure de transition. Parce qu’entre l’université et le lieu du travail, il y’a un chainon manquant qu’est  l’école des avocats. Et d’autres structures professionnelles peuvent vraiment remplir et faire en sorte qu’il y’ait une bonne articulation entre l’université et le lieu du travail.
 
Dans la perspective de modernisation de notre justice, faut-il rompre le cordon ombilical entre le parquet et le ministère de tutelle?
 
Il faut revoir le statut du parquet. Ça me parait capital, mais il faut aussi revoir la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature. Il ne doit pas être composé que de magistrats. En France, il y’a une ouverture, les avocats ont un représentant au Conseil Supérieur de la Magistrature. C’est une avancée. Demain, la société civile, l’université et d’autres pourquoi pas? 
 
Mais le fait que le Chef de l’Etat continue de présider le Conseil supérieur de magistrature et le ministre de la justice en soit le vice-président, n’est-il pas un frein à l’indépendance de la justice ?
 
C’est vrai que nous avons, par le passé, eu à poser ce problème. Nous avions dit qu’il fallait rompre le cordon ombilical. Mais, il faut une réflexion plus poussée pour tirer cette conclusion. Davantage d’indépendance  y compris des magistrats du parquet, ça ne ferait plus mal pour la justice.
 
Pensez-vous que l ‘avocat sénégalais est assez outillé pour être là où il est attendu ?
 
Il y’a certainement des améliorations qui sont attendues parce que l’avocat sénégalais est très préoccupé par son quotidien, par l’exercice de sa profession au quotidien.                         
Mais il est vrai, il faut être juste avec les avocats qui sont nombreux aujourd’hui, ils sont impliqués dans les questions de droit de l’homme, dans les questions de politiques, de gestion des communautés décentralisées. Donc, ce qu’il faudrait, c’est que l’on essaie nous avocats acteurs, de nous investir davantage pour un meilleur fonctionnement de la justice. C’est le meilleur service que l’on peut rendre à la démocratie. Parce que si  la justice est crédible, forte, fonctionne ;  si elle est respectée, si elle a la confiance des citoyens, c’est un pas important vers la  démocratie et sa consolidation. 
 
Quelle est la place de la spécialisation des avocats ?
 
Dans mon entendement, c’est pour élargir davantage le champ de compétence de l’avocat, faire en sorte qu’il dépende moins du contentieux et des tribunaux. Aujourd’hui vous avez des affaires importantes qui échappent à l’avocat. Pourquoi ? Parce que les gens sont plus rassurés à aller prendre un cabinet américain ou français. Parce qu’ils se disent que l’avocat n’a pas toujours les compétences. C’est vrai, l’avocat n’a pas toujours les compétences. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas un cabinet qui n’a pas en son sein des compétences. Nous travaillons pour que la plupart des avocats aient les compétences dans les domaines les plus pointus du droit. Que ça soit la propriété intellectuelle, les investissements,  l’arbitrage internationale ou autre chose, les fusions acquisition, le droit des mines…  
Sur toutes ces questions, nous sommes en train de réfléchir sur des formations pointues et ne pas seulement faire un séminaire de temps à autre.  Il y’a une vision derrière :  faire des séminaires, mais arriver à pouvoir dire d’ici un à deux an, je veux avoir 10, 15, 20 avocats spécialisés dans le domaine des marchés publics. Idem dans le domaine de l’arbitrage international, de la propriété intellectuelle. Et ça n’est pas impossible, car on a bien démarré ce chantier, on a eu des résultats considérables en peu de temps, car aujourd’hui des gens viennent vers nous pour faire la formation. On a fait des formations intéressantes, avec des structures internationales. Au niveau local avec des professeurs, avec l’université, avec l’ARMP, on a un partenariat… 
Donc, nous pensons que d’ici 1 à 2 ans, nous pouvons arriver à un niveau de spécialisation ce qui fera plus personne ne va plus snober les avocats sénégalais.
Et qu’en est-il de la justice internationale ? Nous avons le procès Habré prévu au Sénégal. Pendant ce temps, l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo est jugé à la cour pénale internationale.    
Notre Garde des Sceaux (Sidiki Kaba, Ndlr) qui aime bien agiter ces questions et qui a une vision très claire, considère, et il a raison, qu’il faut faire en sorte que nos juridictions nationales soient aptes et compétentes pour juger certains crimes, certaines infractions. Celles qui nous poussent à nous tourner vers la cour pénale internationale ou à créer des chambres extraordinaires ou des juridictions d’exception. Il faut que nous ayons des juridictions normales qui soient capables de connaitre de ces faits et de les juger. Mais, c’est un gros chantier.
 
Quelle appréciation faites-vous des hommes politiques qui se servent de l’Etat pour s’enrichir ? 
 
C’est dramatique. Donnons-nous des règles qu’on puisse appliquer à tout le monde. C’est-à-dire que tous ceux qui sont dans la situation que vous décrivez, ils doivent répondre devant la justice. Mais, répondre devant la justice, ce n’est pas que vous ne pouvez pas sortir du territoire national ou bien que vous êtes tout de suite arrêté. Parce que parfois le plus difficile c’est de trouver les biens qui ont été dissipés et ça c’est le plus important pour les recouvrer. En fait, ce n’est pas tellement l’infraction. Je veux dire, lorsque vous dites que quelqu’un s’est enrichi de manière illicite, il faut le prouver et c’est le plus difficile. Je pense qu’il faudrait mettre les moyens, les mécanismes qui permettent de détecter quelque chose qui ressemble à la corruption. 
Quid de la fuite des capitaux ? C’est aussi un énorme problème. 
C’est un énorme problème et pas seulement pour nos Etats, mais c’est une réalité dans les autres pays d’Europe, d’Amérique etc 
 
L’actualité c’est aussi avec cette fameuse sortie d’Abdoulaye Wade contre Macky Sall et ses parents. Qu’est-ce que vous en pensez ?  
 
C’est un dérapage, qui me fait de la peine. Parce qu’Abdoulaye Wade est un avocat honoraire. Il est sur notre tableau. Un avocat honoraire c’est un avocat qu’on offre aux autres avocats comme étant un modèle. On aurait pu l’interpeller et lui demander des comptes. 
 
Et qu’est-ce qui vous empêche de le faire ? 
 
Même ceux qui sont avec lui considèrent que c’est un dérapage. Pour répondre à votre question, c’est parce  qu’il a eu le temps de regretter et cela devrait pouvoir suffire.
 
Source: http://www.sudonline.sn/wade-a-d%C3%89rap%C3%89_a_23682.html
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