LES DOSSIERS DE KARIM WADE Retour sur les lieux du « Krim »
Écrit par SENETOILE NEWS
En plus du refus de leur client de répondre désormais aux convocations de la Cours de répression de l’enrichissement illicite (Crei), le collectif des avocats de Karim Wade revient à la charge pour mettre à nu les incohérences de la démarche de la juridiction. Une affaire qui est loin de connaitre son dénouement si l’on sait que l’ancien ministre d’Etat, ministre des Infrastructures, des Transports aériens, de la Coopération internationale et de l’Energie, est rattrapé par sa gestion dans plusieurs dossiers notamment celle de l’Agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (Anoci). Les rapports de l’’Inspection générale d’Etat (Ige) et l’Agence de régulation des marchés publics (Armp) ont fait état d’une pluie de marchés de gré à gré à coûts de milliards. Un véritable scandale financier.
Dans le cadre de la traque des biens mal acquis, le collectif des avocats de Karim Wade est toujours d’attaque pour défendre bec et ongle son client, Karim Wade, incarcéré à la prison de Rebeuss. La dernière sortie en date desdits avocats, le dimanche 03 novembre dernier, a été une occasion pour eux d’annoncer que leur client ne défèrera plus aux convocations de la Cour de répression de l’enrichissement illicites (Crei) qualifiée de «juridiction aux ordres». En attendant, malgré les marches de protestations organisées par le Parti démocratique sénégalais (Pds), ses alliés et autres pro-Karim pour la libération de leur camarade de parti, la gestion de l’ex-ministre d’Etat aura été ponctuée de plusieurs scandales qui en font une «grande nébuleuse». Un véritable gouffre financier.
En atteste, entre autres, le dossier de l’Agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (Anoci) dont Karim Wade, alors ministre d’Etat, ministre des Infrastructures, des Transports aériens, de la Coopération internationale et de l’Energie, a été le président du conseil de surveillance. Les Sénégalais qui n’ont pas la mémoire si courte au point d’oublier les frasques ou autres avaries qui ont ponctué la gestion du régime libéral, ont joint l’acte à la parole pour avoir sanctionné son père à la présidentielle de 2012, tout en exigeant un assainissement des finances publiques. Dès lors, la traque des biens «supposés» mal acquis est devenue une demande sociale majeure pour installer la bonne gouvernance dans l’exercice des gouvernants. Pour cela, ceux qui ont eu à gérer les deniers publics dont l’ancien ministre des Infrastructures, de la Coopération internationale et de l’Energie, devront s’expliquer sur leur gestion.
LE SATISFECIT DE KARIM ET BALDE
Parmi les dossiers brûlants de l’ancien régime qui restent une véritable nébuleuse, l’Anoci (2004-2009) dont le bilan définitif demeure une équation à mille inconnus. Jusqu’ici, les chiffres avancés alors par le conseil de surveillance, le forum civil ainsi que d’autres organisations, sont aux antipodes. Au final, il apparaît que la gestion de l’Anoci était tout sauf transparente. Acculés de toutes parts par un peuple qui a soif de savoir, des partis politiques notamment ceux de l’opposition, la société civile, entre autres, les responsables de l’Anoci étaient finalement sortis de leur mutisme. Lors d’une rencontre tenue le mardi 16 juin 2009 au Terrou-Bi à Dakar, le Conseil de surveillance de l’Anoci, avec à sa tête Karim Wade, avait tiré un bilan « satisfaisant » de son organisation de la conférence au sommet de l’Oci. Les échos de ce bilan résonnent encore…
Le conseil de surveillance avait avancé la bagatelle de 432 milliards de FCfa mobilisés. Dans le détail, le Conseil déclarait que «L’action de l’Anoci a permis de mobiliser au total 432 milliards de FCfa dont 72,980 milliards ont permis de réaliser les projets exécutés (Corniche I et II et VDN), 28 milliards sont prévus pour la route de Ouakam et la route de l’Aéroport non encore exécutées. 104,5 milliards sont prévus pour financer la mise à niveau de la route nationale allant de la place du Millénaire à l’Aéroport de Diass (subdivisée en trois tronçons). Par ailleurs, 32 milliards ont été mobilisés au titre de subventions et enfin 194,5 milliards au titre de l’investissement privé pour les hôtels».
Le directeur exécutif de l’Anoci, Abdoulaye Baldé, qui tirait le bilan général des activités entre 2004 et 2009, avançait que les 432 milliards F Cfa représente d’abord les hôtels qui sont des projets privés (194.5 milliards F Cfa), les projets routiers (205 milliards FCfa dont 72 utilisés pour trois projets). A cela s’ajoutent les 32 milliards F Cfa de dons (27 de l’Arabie Saoudite et 5 d’Abu Dhabi). Sans oublier, disait-il, les 28 milliards du Fonds Koweïtien ainsi que les 105 milliards du Fonds d’Abu Dhabi qui ne sont pas encore signés. La 11ème édition du sommet de l’Organisation de la conférence islamique (Oci) a été l’occasion aussi pour les organisateurs d’engager plusieurs chantiers et infrastructures de développement notamment des routes et hôtels pour accueillir des participants. Que nenni! Certains travaux enclenchés sont restés en l’état. Sur les sept hôtels prévus (à construire ou réhabiliter) à l’occasion du sommet sur la corniche, seuls Terrou-bi (11 milliards), le Méridien Président (rénové par l’Arabie Saoudite d’un coût évalué à 18 milliards) et le Sea Plaza/Radisson ont été réceptionnés. D’ailleurs, le prix avancé pour la construction de ce dernier hôtel est passé du simple au double.
De même, plus de 6700 emplois auraient été créés. «Les infrastructures routières, immobilières et hôtelières ont contribué à l’exécution de la stratégie de croissance accélérée (SCA) à travers des investissements massifs qui ont généré plus 6.700 emplois et relevé le niveau de la formation dans le secteur hôtelier» (voir Sud Quotidien mercredi 17 juin 2009), disait M. Baldé.
EN ATTENDANT UN AUDIT EXTERNE
Seulement, pour s’assurer de la véracité de ces chiffres, des politiques, organisations et autres acteurs de la société civile avaient réclamé en son temps un audit externe, en vain. A l’époque, lorsqu’Alioune Tine de la Raddho avait demandé un audit externe de cette gestion, il a été violement pris à parti. Seule Aminta Niane de l’Apix est allée dans le même sens que le président de la Raddho, le Conseil de surveillance comprenant, outre des membres du gouvernement, des parlementaires, des ambassadeurs, des organes de contrôle de l’Etat, des organisations de la Société Civile comme la Raddho, le Forum Civil et le Synpic dont le Secrétaire général Diatou Cissé était absente de la rencontre.
L’ancien président de l’Assemblée nationale et actuel chef de l’Etat Macky Sall, en a d’ailleurs fait les frais, pour avoir «osé» inviter Karim Wade à venir s’expliquer devant les représentants du peuple sur la gestion des deniers publics mis a sa disposition dans le cadre de l’organisation du 11ième sommet de l’Oci qui avait regroupé les chefs d’Etat et de Gouvernement du monde musulman à Dakar, les 13 et 14 mars 2008.
«CONTES ET MECOMPTES» D’UN VRAI FAUX BILAN
Un peu plus d’un mois après ce «vrai faux bilan» présenté par les responsables de l’Anoci, Abdou Latif Coulibaly alors journaliste d’investigations, actuel ministre de la Promotion de la Bonne Gouvernance, sort un contre-bilan accablant, résumé dans un ouvrage intitulé «Contes et mécomptes de l’Anoci» (216 pages, Editions Sentinelles). Basé sur des documents officiels de l’Agence elle-même, ce «document d’enquêtes» et «brûlot ou pamphlet» montre que beaucoup plus d’argent a été dépensé sur fond de «gaspillages et d’extravagances».
Dès l’entame de l’enquête, l’écrivain journaliste prend le contre pied du président du Conseil de surveillance et le directeur exécutif de l’Anoci, respectivement Karim Wade et Abdoulaye Baldé, de manière tranchée et sans ambiguïtés possibles. Contrairement aux 72 milliards F Cfa annoncés ci-haut pour les travaux réalisés dans Dakar, il est ressorti que «l’Anoci a dépensé pour l’organisation de la conférence islamique une somme totale de 205 milliards 211 millions F Cfa».
De même, alors que les responsables de l’Anoci se sont réjouit d’avoir pu mobiliser 432 milliards F Cfa, Abdou Latif Coulibaly révèle: «le décompte que nous avons pu établir à partir de leurs documents (ceux des dirigeants de l’Anoci) indique qu’une somme globale de 172 milliards F Cfa a été effectivement mobilisée (emprunt divers, dons et autres)». Et «les montants annoncés ont été en fait mobilisés par le biais de la coopération financière internationale qui, sous l’impulsion du ministère de l’Economie et des Finances, a utilisé les réseaux classiques et traditionnels de la coopération mise en route depuis l’aube des indépendances».
SEULS TROIS PROJETS REALISES SUR NEUF… AVEC DEPASSEMENTS BUDGETAIRES
En guise d’illustration de ces écarts de gestion, l’on note seulement «3 projets réalisés sur 9 chantiers identifiés». Selon le rapport de contrôle de gestion de l’agence et celui donné par son directeur exécutif lors de la clôture de l’exercice 2006, le budget de l’exercice 2008 tel qu’adopté par le Conseil de surveillance en octobre 2007, ainsi que le rapport 2006 du commissaire aux comptes de l’agence (Cagec Suarl) présenté en décembre 2006 et dont le journaliste avait reçu copies, seuls trois (3) projets ont été réalisés sur neuf chantiers identifiés au départ, soit 1/3 de ce qui avait été arrêté. Il s’agit de la corniche Ouest, la route de la mosquée de la Divinité, la Voix de dégagement Nord (Vdn).
Une particularité, ces trois travaux ont tous connu des dépassements budgétaires (par le truchement de dépenses additionnelles). Le cas de la corniche Ouest est, à ce titre, emblématique. «Au départ, le marché de la corniche Ouest qui était fixé à l’origine à 22 milliards F Cfa, a été réalisé pour un coût global de 40 milliards de FCfa», soit un surplus de plus de 95%. «Le laxisme et le laisser-faire de l’autorité de régulation des marchés publics dans ce cas d’espèce et dans le cas de tous les autres marchés de l’Anoci, ont certainement permis une spoliation à grande échelle du Trésor public», déplore-t-il.
Quid des extravagances, gaspillages et surfacturations? Dans le rapport présenté à la fin de l’exercice 2006 par le directeur exécutif de l’Anoci, Abdoulaye Baldé, le journaliste met à nu ces surfacturations. A titre d’exemple, une lampe (luminaire) facturé à… 8 millions F Cfa installée dans le bureau de Karim Wade, des appareils photos qui ont coûté 8 et 9 millions F Cfa à l’Anoci, l’habillement des hôtesses et des autres personnels d’appui acheté au total à 400 millions F Cfa, etc. «Le plus choquant de toutes ces dépenses, aura sans conteste été les 750 millions de F Cfa consacrés à l’aménagement et l’ameublement des locaux du siège de l’Anoci, les 1er, 2ème et 10ème étages de l’immeuble Tamaro dans le centre-ville de Dakar».
FRACTIONNEMENT DE MARCHES, VIREMENT DOUTEUX…
Toutefois, précisait Abdou Latif Coulibaly, «sans pouvoir établir la preuve d’un enrichissement personnel, au bénéfice d’un seul responsable de ce gaspillage d’argent public sans précédent dans notre pays, force est de reconnaître aujourd’hui que les auteurs de ce gaspillage organisé sont tout sauf de bons gestionnaires, soucieux avant tout d’utiliser de façon rationnelle les deniers de la nation confiés à leur garde».
Néanmoins, cette dilapidation a été facilitée par l’utilisation de plusieurs techniques de dépenses dont «les marchés éclatés», les virements de crédit, etc. le tout en toute « illégalité » au regard des textes régissant les marchés publics. Car, renchérissait le journaliste, les travaux de l’Anoci ont été, contrairement à ce qui a été déclaré par les tenants du pouvoir, financés «pour l’essentiel» avec les deniers du contribuable (Trésor public, emprunts, etc.), «ce qui n’était pas le cas pour le sommet de l’Oci de 1991». Et d’ajouter: «vous verrez dans les semaines à venir qu’on a dépensé beaucoup plus que ce qui est révélé dans ce livre».
NEUF MILLIARDS POUR L’EXTENSION DE L’AEROPORT LSS
Les «Contes et mécomptes» se poursuivent de plus bel. De nouveaux éléments d’informations indiquent que neuf (9) autres milliards sont à ajouter à la cascade de milliards. A en croire le journaliste, ces 9 milliards auraient servi à l’extension de l’aéroport Léopold Sédar Senghor, précisément à travers la construction d’un aérogare. Tout en s’étonnant des sommes décaissées à l’aéroport de Dakar, il affichait tout son scepticisme quant à la réalité des dépenses annoncées. 400 millions ont été prévus pour l’achat de tentes pour l’accueil des hôtes du Sommet. Un pactole jugé énorme, relativement au coût de ces matériels. Les 9 milliards ont pu être mobilisés, grâce à…un prêt engagé par l’Asecna, dans une banque de la place.
20 MILLIARDS POUR LE TUNNEL-GROTTE
Face à la presse, le Consortium d’Entreprises (CDE), maître d’ouvrage des travaux de voirie sur la Corniche Ouest, réalisés à l’occasion du Sommet de l’Oci en 2008 à Dakar, déclarait que ces derniers ont coûté 27 milliards F Cfa dont une partie consacrée à l’assainissement, la voierie et l’électrification. De l’avis du directeur de l’Exploitation du CDE, Cheikh Sarr, sur l’axe qui s’étend du Bloc des Madeleines à la Place de Bienvenue (Mermoz), sur plusieurs kilomètres, dans la ville, le tunnel à lui seul a coûté 9 milliards CFA hors taxes, soit 11 milliards F Cfa au total. D’une longueur de 500 mètres dont 300 couverts, le tunnel est équipé d’un dispositif de surveillance situé du côté de la mer et qui permet, grâce à une dizaine de caméras, de renvoyer les images sur tout ce qui se passe dans et sur l’ouvrage, notamment.
Mais paradoxalement, face aux députés, les ministres de l’Économie et des Finances, et des Infrastructures, ont révélé en 2009, que ce tunnel avait finalement coûté… 20 milliards de francs Cfa et 150 millions de F Cfa par an au titre de son entretien. Ce qui est inacceptable pour un ouvrage (Soumbébioune) qui, à chaque fois qu’il pleut, est transformé en une piscine pendant l’hivernage.
«MUSICA»: 8 MILLIARDS POUR UN BATEAU HOTEL
Il serait difficile de parler de l’Oci sans évoquer la location du bateau-hôtel de luxe «Musica», qui avait jeté ses amarres au Port autonome de Dakar. Un « hôtel flottant » loué au coût vertigineux de 8 milliards FCfa… pour 8 jours. A l’époque, l’ANOCI avait fait croire que les frais payés par les personnes hébergées sur ce bateau de luxe compenseraient largement le coût de la location. Il s’est avéré que ces dernières qui avaient occupé à moitié les 1275 cabines du Musica, n’ont déboursé aucun franc. Pire, ils ont été logés, nourris et blanchis aux frais du contribuable sénégalais.
Un gros scandale que l’Ige (Inspection générale d’Etat) avait mis à nu, dernièrement en bouclant le dossier et transmis au Parquet, au grand dam des responsables du Port autonome impliqués dans cette opération des plus illégales.
Il convient de noter également l’achat de 160 véhicules de marque Mercedes que l’Agence en charge de l’organisation avait achetées à «Sénégal Auto» (concessionnaire) à 20 milliards F Cfa. Cette affaire est d’autant plus grave que l’agence a passé la commande de la Mercedes CI 63 Amg, la plus chère au monde, à un montant de 200 millions F Cfa, y compris les frais de livraison. Ce «festival des milliards» qui a échappé à tout contrôle est malheureusement loin de s’arrêter à l’Anoci. Nous y reviendrons.
Ibrahima BALDE et I. DIALLO
source: http://www.sudonline.sn/retour-sur-les-lieux-du--krim-_a_16136.html
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