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Par Guy Marius Sagna
La classe politique en général (« pouvoir » comme « oppositions ») et les alter-systèmes en particulier ont un grand problème : le processus électoral. Pour le « pouvoir » c’est, quelque soit le nombre d’inscrits, être majoritaire. Que ses militants et sympathisants dans ses fiefs s’inscrivent, reçoivent leur carte et votent massivement. En d’autres termes que le processus électoral se déroule normalement. Pas si normalement que ça. Car au besoin il faut mobiliser l’administration centrale et déconcentrée et la mettre au service du parti. Et qu’au soir de l’élection qu’on puisse dire « Vive Macky ! ». Pour les « oppositions » il s’agit de se battre pour qu’il n’y ait pas un processus électoral au faciès, à la localité selon qu’on est étiqueté militant ou fief des « oppositions » ou du « pouvoir ». Il s’agit contre la toute-puissance de l’Etat-parti qui a à sa disposition policiers, gendarmes, militaires…de trouver l’alchimie qui ferait que les populations fatiguées s’approprient le combat pour « des cartes pour tous ».
Mais ce que certains au niveau des « oppositions » y compris parmi les alter-systèmes oublient c’est que la lutte pour des élections démocratiques ne saurait être déconnectée de la situation générale du pays, et de l’histoire de notre pays depuis au moins 1960. D’ ailleurs, tel système néocolonial tel système électoral. Les populations ne sont pas dupes. Elles se disent légitimement que se battre pour des élections démocratiques c’est se battre pour une caste oligarchique de politiciens qui veulent devenir bourgeoisie bureaucratique à la place de l’actuelle bourgeoisie bureaucratique au « pouvoir ». Car en réalité à qui profiterait un système électoral dans les conditions actuelles du système semi colonial sinon aux collabos du pouvoir ou des « oppositions » ? A quelques exceptions près l’écrasante majorité de la classe politique sénégalaise a été du « pouvoir » et des « oppositions ». Le peuple a noté que cette écrasante majorité de la classe politique a des principes électoraux à géométrie variable selon qu’elle est au « pouvoir » ou dans les « oppositions ». Dans les « oppositions » elle est contre le scrutin majoritaire ou le « raw gaddu » et pour le scrutin proportionnel intégral ; pour le bulletin de vote unique ; pour la baisse du montant de la caution ; Quand elle est au « pouvoir » elle opère un changement à 360°. Pourquoi pendant douze ans n’ont-ils pas bétonné le processus électoral ? Pourquoi avant d’être défénestrés du gouvernement par Wade puis par Macky ne se sont-ils pas battus pour ça ? Qu’est-ce qui a changé pour qu’après avoir perdu le pouvoir ils se soient convertis à la religion du bulletin unique, de la baisse de la caution qu’ils avaient portée à 65 millions en 2012 ? La classe politique qui est à la périphérie du « pouvoir » elle se tait (PIT, RTAS…). Préférant ne pas se prononcer sur ces questions qui ne méritent pas de se fâcher avec le président de la république et son parti et risquer une exclusion du « paaco » ou du « compal ».
Le peuple n’accepte qu'au Sénégal que les femmes et hommes politiques les prennent pour des dindons dont ils peuvent se jouer comme ils veulent selon qu'ils sont au pouvoir ou dans l'opposition. De plus en plus de citoyens depuis au moins 2011 disent NON à cela. C'est une profonde aspiration qui doit être prise en charge. Et les citoyens en ont fait une question centrale. "Touche pas à ma constitution", "Wade Wax Waxeet", "Gor ca wax ja", "Niani bagn na", "Ps des valeurs", "République des valeurs"…montrent la centralité, aujourd'hui au Sénégal, de la question des valeurs en politique. De la question de la parole de l'homme et de la femme politique qui ne vaut RIEN au Sénégal.
Devant cette situation le peuple se demande à quoi bon se battre pour des élections démocratiques, risquer grenades lacrymogènes, coups de matraques, garde à vue, présentation au juge…pour ça. L’auteur de ces lignes n’ose pas jeter la pierre à ce peuple rendu si sage par plus de 50 ans d’expérience d’une classe politique parasitaire, caractérisée par la transhumance, l’accaparement d’avantages indécents et insultants, la couardise, l’apatridie, son anti nationalisme, son antidémocratisme, sa versatilité, sa vénalité…Voilà pourquoi malgré le bordel pré-électoral de 2017 et le chaos électoral (ou KO électoral) qui s’en est suivi le peuple regarde, observe, dort ou attend d’être convaincu. Et les « oppositions » de chercher les combinaisons chimiques qui feraient d’elles des charmeurs de serpents. Des charmeurs de peuple. Mais ce peuple à la peau dure. Il n’est pas si amnésique que cela. On ne peut le tromper tout le temps. Le « pouvoir » et une partie des « oppositions » cherchent à le tromper encore. Les alter-systèmes cherchent à le mobiliser. Les « oppositions » conservatrices qui ne cherchent qu’à être bourgeoisie bureaucratique à la place de la bourgeoisie bureaucratique et les alter-systèmes sont ensemble dans l’Initiative pour des Elections Démocratiques (IED). Le peuple les voit et n’arrivant pas à faire la différence entre front démocratique et coalition électorale se dit qu’ils sont tous pareils. Que faire ?
Pour les alter-système il convient assurément d’être dans ces cadres des « oppositions » en veillant à relever le double défi interne et externe. Renforcer ces cadres. Refuser que ces cadres ne soient utilisés aux fins de propagande d’une ou de plusieurs des composantes, d’un ou de plusieurs candidats à l’élection présidentielle. S’assurer du fonctionnement démocratique de ces cadres. Se battre pour que ces cadres aillent le plus loin possible pour des avancées les plus profondes en faveur du peuple. Mais le semblant d’unanimisme autour du rejet du ministre de l’intérieur, de l’exigence des cartes d’électeur…ne doivent pas nous bercer d’illusions et oublier que nous sommes différents même sur ces revendications. Certains n’iront pas jusqu’au bout sur la question de la caution et souhaitent même secrètement qu’elle soit assez élevé pour imposer le « yobalema » aux autres. D’autres n’iront pas jusqu’au bout sur le bulletin unique. Et ce que ces cadres ne peuvent dire, les alter-système doivent le dire en leur nom à l’extérieur et refuser d’être ligotés par le discours des pro-système. Révéler ces revendications qu’ils ne veulent pas entendre mêmes si elles blessent leurs âmes politiciennes pour faire venir des pensées de révolution démocratique au sein du peuple. Le danger pour les alter-système pourrait être que dans les perspectives réelles ou supposées d’alliances en direction de la présidentielle de ne pas poser toutes les bonnes questions et de s’autocensurer.
Et c’est sur ce dernier point qu’il y a aussi un problème véritable. En réalité la lutte pour des élections démocratiques est la lutte pour une démocratie des acteurs politiques des « oppositions » d’une période donnée et pas pour plus de démocratie pour le peuple du moins qu’incidemment. La lutte pour des élections démocratiques est une lutte qui met aux prises le « pouvoir » qui veut garder son fromage y compris en ne respectant pas les règles du jeu électoral ou en le taillant sur mesure pour sa victoire programmée et les « oppositions » qui veulent des conditions minimales électorales pour accéder au pouvoir. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’aveu du ministre de l’intérieur Aly Ngouille Ndiaye. « J’ai la ferme intention de travailler pour que le Président Macky Sall gagne au 1er tour l’élection présidentielle du 24 février 2019. Pour cela, d’abord, je ferai inscrire tous ceux qui veulent voter pour Macky Sall. Je m'emploierai pour qu'ils récupèrent leur carte d'électeur et je les aiderai à aller voter pour Macky Sall. Et quand je le dis, vous pouvez me croire. Car même si je n’ai pas duré dans le champ politique, je ne m’engage jamais dans le vide ». La colère légitime du peuple pouvant combler les insuffisances anti démocratiques du système. Ce que le système électoral oligarchique refuse aux « oppositions » la grande colère du peuple et le jeu des coalitions le lui rendront au centuple : tel est le secret de toutes les deux alternances de 2000 et de 2012. C’est pourquoi il faut rire des « pouvoirs » et même de cette partie des « oppositions » qui prétendent que le système électoral sénégalais est bon. En fait pas à toutes les « oppositions ». Mais à la partie des « oppositions » qui fait partie du système, qui a eu à gérer ce pays de manière anti démocratique, qui a pu se faire un trésor de guerre et un carnet d’adresses par la magie des fonds politiques ou des caisses d’avance.
Pourquoi le pouvoir des électeurs et donc du peuple ne se limite qu’à trois jours (élections municipales, élections législatives et élection présidentielle) ? Pourquoi n’est-il pas inscrit que le député, le conseiller municipal…sont révocables par leurs électeurs selon telles modalités et pas seulement une fois tous les cinq ans? Pourquoi au lieu de faire payer des cautions censitaires ne ferions-nous pas le choix sinon de supprimer du moins de réduire les salaires et avantages budgétivores des députés, conseillers municipaux et président de la république afin de s’assurer que celles et ceux qui se présentent le font pour servir et non se servir ?
Aujourd’hui encore se pose le débat sur le bulletin unique.
"Ce sont ceux qui ont organisé des conférences nationales. Ensuite il n’est pas encore prouvé que le bulletin unique soit moins cher que le bulletin pluriel. Jusqu’à 15 candidats, le bulletin unique est plus cher que le bulletin pluriel. Il s’y ajoute beaucoup d’ente nous au Sénégal n’ont jamais pris un stylo entre leurs mains" a déclaré récemment le ministre de l’intérieur Aly Ngouille Ndiaye le dimanche 25 février 2018.
Ce que nous attendons du président Macky Sall et de son ministre de l’intérieur ce n’est pas de dire qu’il n’est pas prouvé que le bulletin unique est moins cher que la formule actuelle. Il est attendu d’eux qu’ils donnent les coûts des deux options. Et puisqu’il ne veut pas le faire, faisons le à sa place.
Les 47 bulletins des 47 listes de candidats lors des dernières élections législatives de 2017 ont coûté au peuple : 20 FCfa l’impression X 7.500.000 bulletins de vote X 47 listes = 7.050.000.000 FCfa.
Le bulletin unique aurait coûté au peuple du Sénégal tout au plus :
50 FCfa l’impression X 7.500.000 bulletins de vote = 375.000.000 FCfa.
Si le bulletin unique avait été appliqué lors des dernières législatives, il aurait fait économiser au peuple du Sénégal : 7.050.000.000FCfa – 375.000.000 FCfa = 6.675.000.000FCfa.
Six milliards six cent soixante quinze mille franc Cfa c’est plus que les 6,56 milliards dont le plan triennal 2016-2018 de la stratégie nationale de protection de l’enfance a besoin. Le directeur des droits de la protection de l’enfant et des groupes vulnérables disait que le premier défi était celui de la mobilisation des ressources. Six milliards six cent soixante quinze mille franc Cfa c’est la réparation de 33.375 fistules obstétricales qui affectent 5.000 femmes au Sénégal avec 400 nouveaux cas par an. Six milliards six cent soixante quinze mille franc Cfa c’est presque les « près de 7 milliards de francs Cfa » que l’Agence française de développement a donné à notre Etat-mendiant pour remplacer 200 abris provisoires en Casamance. Six milliards six cent soixante quinze mille franc Cfa c’est au moins 33 forages multi-villages. Refuser le bulletin unique c’est contribuer à la mortalité des enfants de moins de 5 ans avec des maladies diarrhéiques, à la souffrance des femmes qui traînent des fistules…
Les 24 bulletins des 24 listes de candidats lors des élections législatives de 2012 ont coûté : 20FCfa l’impression X 5.368.783 X 24 = 2.577.015.840 (nombre de bulletin limité au nombre d’inscrits). Le bulletin unique aurait coûté : 50FCfa l’impression X 5.368.783 = 268.439.150 FCfa. Il nous aurait fait économiser : 2.577.015.840 – 268.439.150 = 2.308.576.690 Fcfa.
Il est attendu d’eux qu’ils ne se réfugient pas derrière leur propre turpitude anti nationale qui fait que nous avons une population à 54% analphabètes dont 62% de femmes.
Le bulletin unique c’est aussi l’impossibilité de dire à l’électeur de sortir de l’isoloir avec les autres bulletins afin de s’assurer qu’il a voté pour vous et de lui remettre ainsi l’argent qui a acheté sa conscience. C’est l’assurance d’un vote libre. La démocratie n’est-ce pas d’ailleurs de réunir les conditions où le citoyen dit ce qu’il pense clairement sans aucune pression en espèces sonnantes et trébuchantes ?
Avant, les classes exploiteuses et collabos n’avaient pas trop besoin d’acheter des électeurs. Les représentants des classes dominantes orientaient les votes en refusant son secret au temps où il n’y avait pas d’isoloir. Des sénégalais se sont battus pour que le vote soit secret avec l’isoloir. Parmi les revendications démocratiques qui nécessitent une lutte pareille il y a le bulletin unique.
Mais admettons même que ce bulletin unique soit plus cher. S’assurer d’un vote libre des citoyens est plus important qu’assurer au président de la république plus de 8 milliards par an pour entretenir ses alliés et agrandir sa basse-cour ?
Mais il me semble que la classe politique en général, la traditionnelle en particulier, ne peut pas être conséquente sur cette question. Trop d’intérêts en jeu : les mesdames et messieurs 10% mais également l’achat de votes comme stratégie de conservation du pouvoir.
C’est pourquoi le peuple doit s’emparer de cette question du processus électoral qui est aussi un des éléments par lesquels il est maintenu dans l’oppression en imposant des alternances sans alternative. C’est d’ailleurs un des rares gages que ses intérêts seront pris en charge. Il faut casser ce face à face qui risque d’être stérile, vain, et insipide entre ce « pouvoir » et ces « oppositions » entre lesquelles il y a une société civile qui joue les médiations. La société civile, la décisive, c'est-à-dire le peuple n’a pas à jouer les médiatrices. Son rôle est d’exiger. Exiger « bultin unik legi ! », exiger « sama kart », exiger…Le rôle des alter-système est de susciter un débat sur les véritables enjeux.
Terminons par les propos du candidat Macky Sall avant qu’il soit élu.
« Nous, nous avions une revendication politique. Cette revendication qui a été d’abord celle de Benno Siggil Senegal avant d’être endossée et prise en charge par le mouvement des forces vives, Mouvement du 23 juin, pour récuser le ministre de l’intérieur Ousmane Ngom et récuser le ministre de la justice Cheikh Tidiane Sy pour leur attitude par rapport au processus, par rapport au dialogue politique. Alors qu’est-ce que fait le président de la république ? Il surprend tout le monde, il dit « je vais retirer les élections à Ousmane Ngom ». En réalité, Ousmane Ngom reste le maître, en tout cas du ministère de l’intérieur. Il a la haute main sur les élections puisque non seulement l’administration territoriale, qui est le bras armé de l’Etat, dans le bon sens - c’est une administration républicaine – c’est elle qui organise matériellement le vote. Cette administration relève de l’autorité du ministre de l’intérieur Ousmane Ngom. La DAF elle-même qui est la direction de l’automatisation du fichier a été transférée. Mais tout le monde sait que le directeur de l’automatisation, commissaire Diallo nommé par Ousmane Ngom qui a la haute main sur cette direction, même si on dit que cette direction va chez monsieur Cheikh Guèye, tout le monde sait que monsieur Cheikh Guèye n’aura absolument pas les coudées franches pour pouvoir mettre un homme qu’il faut à la place qu’il faut par rapport à cette direction centrale qui gère le fichier électoral et en même temps le fichier national des cartes d’identité nationale. Je pense qu’il aurait été plus simple, si le président voulait effectivement aller dans le sens de la revendication, qu’il changeât le ministre de l’intérieur Ousmane Ngom. C’était plus simple. Il y a n positions où il peut continuer à servir la république et la nation tout en créant un climat d’apaisement. Mais là c’est un non-événement, c’est une diversion, j’allais même dire une farce de mauvais goût puisque nous ne sommes pas là pour jouer. Nous voulons aller vers des élections apaisées et aujourd’hui le président nous sert en fait une farce. Donc il n’y a absolument rien par rapport à la revendication qui a été faite. Et nous continuons à poursuivre…En plus, le ministre chargé des élections, il est encore dans les locaux du ministre de l’intérieur. Ce dernier est ministre d’Etat quand lui vient d’être fraîchement nommé ministre. Lui qui était sous sa tutelle. Comment voulez-vous dans ce contexte psychologique et politique que monsieur Cheikh Guèye ait les coudées franches pour gérer les élections ? »
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Dakar, le 28 février 2018
Guy Marius SAGNA email: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. Tèl: 77 524 94 41