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« Les indépendances africaines sont indépendantristes » disait, avec amertume, l’écrivain et mathématicien libano-guinéen, William Sassine. L’Afrique qui est formée d’Afriques (plusieurs Afriques en une), est évidemment une constellation d’Etats n’ayant ni une odyssée commune ni une physionomie unique. D’où les variétés d’indépendances et les disparités de destins entre la cinquantaine de pays souverains ou présumés souverains. Ce qui fait un tableau diablement contrasté, tant au plan des cheminements qu’à celui des aboutissements, après un demi-siècle de décolonisation pacifique ou de libération par les armes.
Entre le Sénégal et les Sénégalais colonisés jusqu’à la moelle épinière, et l’Algérie et les Algériens départementalisés et francisés, les différences de sorties (historiques) de tunnels sont nettes. Après trente minutes de dialogue – un court tête-à-tête entre Léopold Sédar Senghor et Charles de Gaulle dans la ville française de Bayeux – le Sénégal a obtenu son indépendance en douceur, sur un plateau d’argent. A contrario, c’est à l’issue de huit années de guerre meurtrière (28 000 militaires français morts et 1000 000 de civils et de combattants algériens tués) que l’Algérie a humé l’air de la liberté, deux ans après le Sénégal qui a arrangé ou négocié la sienne. Ici, l’indépendance est le fruit d’une discussion, là-bas, la souveraineté est un butin de guerre. Par voie de conséquence, le fossé politique entre les deux pays est profond, les différences psychologiques entre les dirigeants des deux Etats sont considérables. Bien que la géographie fixe Alger et Dakar, sur le même continent, en prenant le soin de placer le Sahara (articulation ou arthrose ?) entre l’Algérie et le Sénégal.
Le Laser a fait le choix de confiner et d’affiner l’analyse des indépendances dans l’ex-Empire colonial français que Paris a volontairement balkanisé avant de le décoloniser, à la grande fureur des Présidents Léopold Senghor et Modibo Keita, attachés au regroupement des ex-colonies dans un cadre fédéral qui aurait, de façon cohérente, rééquilibré les espaces et les ressources. En un mot, une émancipation collective et efficiente des territoires des anciennes AOF et AEF. D’où la prometteuse mais mort-née Fédération du Mali. Malheureusement, les égoïsmes des élites politiques peu amoureuses de leurs patries respectives (chacun voulant être Président d’une micro-république économiquement non viable) ont été fouettés et exploités à dessein, par l’ex-Puissance tutélaire suffisamment habile pour reculer, afin de mieux sauter sur d’éternelles et faciles…proies. Ainsi, les joujoux et les sucettes sont octroyés à travers des signes extérieurs de souveraineté que sont les hymnes, les drapeaux, les ambassades etc.
Bonjour les indépendances en rafales de 1960, avec leurs lots de fêtes, de réceptions et d’allocutions qui voilent doucereusement les yeux ! En effet, le piège de la décolonisation qui n’est pas synonyme de libération, n’a pas été instantanément perçu. Après la défaite de Dien-Biên-Phu et au lendemain de la conférence de Bandoeng (deux évènements retentissants aux ondes de choc géopolitiquement chargées d’ébranlements) les colonisateurs, assez visionnaires, ont changé leurs fusils d’épaule. Les pays qui avaient colonisé l’Afrique, sans demander la permission ni afficher la pitié, ont subitement découvert les vertus d’un crépuscule hâté du colonialisme. A cet effet, la grammaire fut appelée au secours : le préfixe « dé » accolé à colonisation, donna joliment la décolonisation indissociable de l’émancipation…formelle. Le tour de passe-passe sémantique est joué et bien joué. Les colonisés d’Afrique subsaharienne – à l’opposé du Vietnamien et de l’Algérien – n’ont pas besoin de déclencher des luttes armées qui sont de terribles laboratoires du nationalisme ardent. Un tour de piste à Paris (cas de Léon Mba du Gabon) et une brève visite à Bayeux auprès du Général de Gaulle (cas de Senghor du Sénégal) ont changé superficiellement les destins des territoires d’outremer, en les installant dans « l’indépendance dans l’interdépendance », selon la formule magique du poète Léopold Sédar Senghor. Autrement dit, la coopération franco-africaine qui n’est rien d’autre que « l’association du cavalier français et de son cheval africain » selon la réplique courroucée de Sékou Touré.
Qui a gagné au change ? En tout cas, la France a donné et bien donné du change. Par conséquent, Paris n’a pas perdu…au change. Sans jeu de mots. Main basse sur l’uranium du Niger, à gogo sur le site d’Arlit, dans la région d’Agadez. Un pillage opéré, successivement par le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) et AREVA, qui a permis à la France de boucler, à faible coût, le programme de ses essais nucléaires. Pour émanciper puis arrimer Niamey dans le pré-carré en gestation, il a fallu élimer le nationaliste Djibo Bakary et installer le fantoche Diori Hamani. Opération rondement menée par Jacques Foccart. Quatorze ans après, lorsque le Président Diori a voulu diversifier les clients de son uranium (contacts commerciaux avec Israël et le Canada) la France a téléguidé le coup d’Etat du Colonel et futur Général Seyni Kountché. Des péripéties similaires ont été enregistrées en Centrafrique où le Colonel Jean-Bedel Bokassa a été propulsé puis congédié ; tandis que l’ex- Président David Dacko balayé pour flirts poussés avec la Chine, en 1965, est remis en selle par l’opération BARRACUDA menée, sans gêne, par l’armée française qui a pris le contrôle de l’aéroport d’un pays présumé indépendant depuis 19 ans. On est en 1979.
Ces mœurs d’une coopération franco-africaine attentatoire à la souveraineté des Etats fraichement et euphoriquement « indépendants » (fixez le regard sur les guillemets !) sont restées vivaces jusqu’à la chute du Mur de Berlin. La guerre froide entre l’Est et l’Ouest ayant longtemps été un alibi géostratégique pour parrainer les dictatures civiles (Tombalbaye, Ahidjo, Bongo etc.) et valider l’épidémie de coups d’Etat militaires soigneusement télécommandés : les Généraux, Eyadema, Bokassa, Kountché, Malloum, Lamizana…La liste est longue. Du coup, l’année 1989 qui est le début de la liquéfaction du camp socialiste, est apparu comme un tournant dans l’odyssée des indépendances. Ce n’est donc pas un hasard, si François Mitterrand a prononcé le fameux Discours de La Baule, en 1990. L’hégémonie des Occidentaux étant sans contrepoids sur le continent noir, Paris pouvait se permettre de sermonner ses affidés africains (on a bien décrit le Discours comme le Sermon de La Baule) en les aiguillonnant vigoureusement sur le double chemin de la démocratie et de la bonne gouvernance. Le ton comminatoire de l’injonction et les représailles brandies contre les dictateurs récalcitrants ont choqué deux chefs d’Etat trop fiers pour obtempérer et obéir servilement à la directive élyséenne : Hissène Habré et Moussa Traoré. Ils ont été renversés respectivement en décembre 1990 et en mars 1991. Un trimestre d’intervalle entre les deux renversements. Allumez une torche pour chercher l’indépendance et la souveraineté, avant de les fêter !
Cinquante-huit après la confection des beaux drapeaux et la mélodie entonnée des hymnes nationaux, les fondamentaux d’une indépendance africaine totalement vidée de sa substance, n’ont pas beaucoup changé. Par contre, les paramètres ont été renouvelés. Le communisme ne rôde plus, l’armée cubaine n’est plus en balade en Angola et en Ethiopie. Le nouvel ennemi qui justifie les opérations SERVAL, BARKHANE et SABRE, l’érection d’un chapelet de bases, l’embrigadement des Etats pauvres dans une alliance militaire sous perfusions financières (G5 Sahel) et, surtout, l’érosion convenue des souverainetés nationales, s’appelle le djihadisme ou l’islamisme. On planifie et exécute la destruction de l’Etat en Libye. L’opération France-OTAN installe le chaos programmé qui attire les djihadistes, les rebelles, les condottiere et les opposants désireux de faire le coup de feu pour mille motifs. L’agenda de trente ans de convulsions saharo-sahéliennes est ainsi établi et déroulé. Le développement économique passe au second plan. La montée en puissance des Forces de Défense et de Sécurité éclipse et gèle tout. Des chefs d’Etat africains comme IBK ont la conviction que le Mali est la digue qui protège l’Europe du déferlement des terroristes.
Débile illusion ! Pendant que le Président malien et sa squelettique armée veillent sur la digue anti-terroriste, la France détache Kidal et déstabilise, à doses homéopathiques, tout le Sahel, pour mieux le vassaliser. Les relations tissées entre des Touaregs de toutes obédiences (Ansardine, GATIA, MNLA) et la Direction du Renseignement Militaire coiffé par le Général Jean-François Ferlet, sont éloquentes à bien des égards. Qui a invité, il y a quelques mois, les célèbres Généraux Gamou et Meydou, deux officiers Touaregs atypiques, à visiter la France ? La France n’a-t-elle pas maintenu le contact avec le terroriste Iyag Ag Ghali, via sa femme Anna Bicha Walett qui est une binationale de père français et de maman touarègue ? Protection militaire du Sahel ou Protectorat politique sur le Sahel ? Le Niger est l’exemple achevé d’une souveraineté déchiquetée par la présence d’une multitude d’armées étrangères (unités française, américaine, allemande etc.) bizarrement incapables de le protéger des incursions terroristes. La volonté de créer un deuxième Djibouti (Djibouti en Afrique de l’Ouest) est tellement visible et choquante que l’Opposition et la Société civile hurlent et protestent dans les rues de Niamey, contre l’essaimage d’armées étrangères qui attirent les terroristes comme l’aimant attire le fer. « In-dé-pen-dance tcha-tcha… » chantait, en 1960, Joseph Kabasélé, lead vocal de « L’AFRICAN JAZZ » et maitre de la rumba congolaise. Cinquante-huit après la production de ce disque, c’est manifestement : « In-dé-pen-dance sa-bo-tée, sou-ve-raine-tée ha-chée… »