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Alioune Ndiaye, présentateur et producteur du «Grand rendez-vous» : «A la fin de l’année, j’arrête l’émission. C’est un échec financier…»

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L’OBS – C’est à cœur ouvert que l’animateur vedette de l’émission «Grand Rendez-vous» s’est confié à L’Obs. Géant dans sa veste noire assortie d’un T-shirt blanc, le producteur Alioune Ndiaye, nous ouvre les portes de son entreprise avant de se lâcher dans l’interview au cours de laquelle il a lâché un gros lièvre : Faute de sponsors, il va arrêter Grand Rendez-vous à la fin de l’année. Faisant un bilan des trois ans passés à la 2Stv, l’homme d’affaires aux cheveux poivre et sel et à la barbe grisonnante revient sur le départ de Tounkara et l’arrestation en France de son chroniqueur, Stelio Giles Robert alias Kémi Séba.  

Votre émission le «Grand Rendez-vous» va bientôt souffler sa 3ème bougie. Quel bilan en faites-vous ?

Au début, c’était dur. C’est une co-production entre «Al Demba» Production et la 2Stv. C’est moi qui fabrique l’émission, je gère les chroniqueurs et les paie. Je gère aussi les invités, le public…la 2Stv ne gérait que le support technique. La première saison, je me rappelle qu’on a dépensé plus de 30 millions FCfa parce que chaque émission nous coûtait 500 000 Fcfa, sans compter les salaires des gens d’«Al Demba». La première saison a coûté 30 millions Fcfa, sans aucune entrée d’argent, aucun sponsor. La seconde, on a essayé de diminuer les charges. Je continuais à payer les chroniqueurs, mais on a réduit le public. Il y avait quelques petits sponsors qui venaient, mais il y avait toujours des pertes. A partir de la fin de la deuxième saison, on a changé de chroniqueurs et à la troisième saison, je ne payais plus les chroniqueurs parce qu’on n’avait plus les moyens. On avait très peu de sponsors et j’en avais parlé aux chroniqueurs, mais ils y trouvaient leur compte car c’était enrichissant pour eux. C’était une expérience qu’ils avaient envie de vivre. C’est ce qui leur a permis de résister. Mais là, on est franchement arrivé à bout. Le bébé a grandi, a commencé à marcher, mais n’arrive pas à courir.

Apparemment, le bilan est négatif…

Je ne dirais pas. Peut-être sur le plan financier oui. L’émission n’est pas rentable, mais je pense que c’est une expérience qui a été très enrichissante pour tous. Sur le plan purement professionnel, je crois que c’est une expérience bénéfique, mais sur le plan financier c’est autre chose. C’est pourquoi, je pense qu’à la fin de l’année qui coïncide avec la fin du contrat avec la 2Stv, nous allons arrêter.

Pourquoi ? Parce  que ça ne rapporte pas d’argent…

C’est surtout par rapport à toute l’équipe, parce que je ne suis pas seul. C’est une équipe qui est derrière. Si l’on ne parvient pas à gérer les gens qui travaillent dans mon émission, ça devient plus problématique. Si ce n’était que moi à la rigueur, mais il y a toute une équipe et c’est difficile de continuer comme ça. On arrête, mais on n’a pas le choix.

C’est une des émissions les plus suivies en ce moment, avez-vous pensé aux téléspectateurs ?

Chaque année, je dis que je vais arrêter. Il n’y a que les téléspectateurs qui me motivent. Si ce n’étaient pas eux, j’allais arrêter depuis. A chaque fois que je décide d’arrêter, dans la rue des gens m’encouragent et me disent que c’est un bon produit. Parfois, il faut aussi trouver du temps pour tout ce travail. C’est tellement à l’opposé de ce que je fais d’habitude. Mes clients, la première fois qu’ils m’ont vu à la télévision étaient trop surpris… (Il rigole) J’ai de moins en moins de temps et je n’aimerais pas que la qualité de l’émission se détériore. Je préfère arrêter lorsque l’émission est à son meilleur niveau avant que la lassitude ne gagne les téléspectateurs.

Qui se charge du sponsoring, c’est vous ou la télévision ?

Non. Notre boulot en tant que producteur est de fabriquer l’émission, de donner chaque semaine une émission à la 2S, c’est ce que l’on fait donc. Le reste, je pense que c’est du ressort de la direction commerciale. Je ne dirais pas qu’il n’y a jamais eu de publicité, mais disons que sur toute l’année, il y a des publicités qui ne parviennent pas à faire tourner la machine. Les sponsors sont plus enclins à aller vers tout ce qui est Entertainment, folklore, variétés. Dans tous les pays du monde, c’est l’audimat qui fait qu’une émission reste ou disparaisse. C’est la dictature de l’audimat. Le paradoxe est que notre émission, si ce n’est pas la plus suivie, c’est l’une des plus suivies. Une émission comme celle-là ne pourrait pas disparaître, car les sponsors devraient se bousculer. Tous les gens qui ont eu à nous sponsoriser ne l’ont pas regretté, car c’est une émission qui est suivie. Mais au Sénégal, j’ai l’impression que les choses marchent à l’envers. Au lieu que les sponsors essaient de voir leur cible, les émissions qui leur donneront plus de visibilité, j’ai l’impression qu’ils font des choix qui ne répondent pas à l’orthodoxie de gestion. Je ne comprends pas. J’essaie de comprendre, mais…

Envisagez-vous d’arrêter la production seulement à la 2Stv, ou de l’arrêter tout simplement ? Pas de bisbilles avec El Hadj Ndiaye ?

Non du tout ! C’est un grand-frère et il nous a laissé les coudées franches depuis le début. «Le Grand Rendez-vous», c’est la dernière-née de beaucoup d’émissions qu’on avait produites et qu’on n’avait pas encore le temps de diffuser. «Al Demba» a produit beaucoup d’émissions. Nous avons d’autres types d’émissions qu’on pourra proposer, mais toutes nos autres émissions sont culturelles et auront peut-être les mêmes problèmes de sponsoring. Comme je le disais, la télé n’est pas notre métier. J’ai une société d’intérim que je dirige depuis 20 ans et une société de bâtiment que l’on dirige depuis 10 ans, je suis aussi le président du Syndicat des entreprises temporaires, donc c’est ça mon métier, la télévision ne l’est pas. On me dit souvent : le journaliste. Mais, je n’ai jamais fait de journalisme dans ma vie. J’ai une formation scientifique, en informatique, j’ai fait Mba récemment, peut-être en 2011, la télé c’est peut-être quelque chose que j’aimais faire. Déjà en 1994, je pensais faire une émission culturelle qui n’était pas loin de ce que l’on fait actuellement.

Aujourd’hui, on peut s’attendre à vous voir sur une autre chaîne de télévision…

Peut-être. Pourquoi pas ? Il ne faut jamais dire jamais, mais pour le moment, ce n’est pas quelque chose à quoi je pense particulièrement.Ce n’est pas que je n’ai pas de proposition…Mais les télévisions ont peur du «Grand Rendez-vous». Ils ont peur des grosses productions. Et, ils ont raison d’avoir peur. Ils savent ce qu’il faut sur le plan technique pour produire une émission pareille.

«Tounkara en avait peut-être marre de faire le méchant…L’arrestation de Kémi Séba est arbitraire»

 

Durant ces 3 ans de diffusion, il y a eu une parade de chroniqueurs. Tounkara est parti, Sokhna Benga aussi,  pourquoi ?  

C’est la rançon du succès parce que le «Grand Rendez-vous», c’est un tremplin. On a une certaine visibilité lorsqu’on est là-dedans et les chroniqueurs peuvent avoir d’autres propositions. Sokhna Benga est allée au Cnra (Conseil national de la régulation de l’audiovisuel), Tounkara a voulu terminer sa carrière en faisant autre chose, peut-être parce qu’il en avait marre de faire le méchant. Il a voulu changer de registre parce qu’il était trop catalogué. Il y a aussi Mamadou Thiam qui est à «Servir le Sénégal (la fondation de la Première Dame, Marième Faye)».

Donc les chroniqueurs avancent, mais pas vous…

Peut-être que ça n’apporte rien au plan financier, mais humainement, ça rapporte beaucoup. Et moi, ce que je voulais c’était avoir un présentateur qui ne se met pas trop en avant pour qu’il n’y ait pas de problèmes d’égo sur le plateau. Je ne devais pas présenter l’émission, mais c’est le profil que je n’ai pas pu trouver car la télévision, je ne dirais pas que c’est le règne de la mégalomanie, mais de l’égo. Parfois c’est difficile de manager tout ça et je me suis dit qu’en attendant de trouver quelqu’un je vais la présenter. Le pari était que le «Grand Rendez-vous» survive à tout le monde parce que quand Tounkara est parti, beaucoup ont dit que c’est mort, mais moi j’étais sûr que ce n’était pas mort. Il est parti non pas parce que je lui ai demandé de s’en aller car on ne peut pas avoir quelqu’un comme Tounkara et lui demander de partir. Il voulait donner une autre direction à ce qu’il fait à la télé. Il avait envie de faire des choses qu’il aimait le plus car c’est une chose qui lui est venue comme ça. C’est-à-dire qu’il est venu naturellement faire le chroniqueur, il ne pensait pas que les choses auraient ce succès et qu’il deviendrait un phénomène national.

 Après Tounkara, il y a eu Stelio Giles Robert alias Kémi Séba, pourquoi ce choix ? 

Je ne le connaissais pas avant qu’il ne vienne présenter son dernier livre sur la négritude. Il était invité à la fin de la deuxième saison, on a bavardé, j’ai vu son background, en plaisantant je lui ai dit qu’il ferait peut-être un bon chroniqueur, l’idée a fait son chemin et à la troisième saison, il a intégré l’équipe. Actuellement, on voit qu’il a des déboires avec la justice. Il est incarcéré de manière arbitraire en France pour des problèmes que je dirais très légers. Je pense que c’est une question d’autorisation de sortie de territoire. Quand il est venu au Sénégal, il était sous le coup d’une interdiction de sortie de territoire. Le plus drôle est qu’il est retourné en France après, mais on ne l’a jamais arrêté. Pourquoi l’arrêter maintenant au moment où il a sorti un livre qui s’appelle «Supranylisme». C’est parce qu’il était en train de faire une tournée et il gênait. Il s’apprêtait à aller au théâtre de la Main d’Or de son ami Dieudonné, mais je pense que c’est absolument ridicule. Il est beaucoup moins dangereux lorsqu’il est dehors, qu’en prison. Ils ne gagnent rien à le retenir. Lorsque l’ambassadeur du Sénégal devrait parler aux autorités françaises, lui qui suit l’émission, il pourrait leur dire que Kémi Séba est moins dangereux quand il est ici et qu’il est à la télé.

Vous avez fait des diligences auprès de certaines autorités afin d’obtenir la libération de Kémi ?

Il n’est pas en mesure de voir ses avocats. Sa femme et ses enfants sont présentement au Sénégal. J’en profite pour lui adresser tous mes encouragements et je prie le Bon Dieu pour qu’elle retrouve vite son mari. C’est un peu difficile et c’est elle qui me donne des nouvelles de Kémi. C’est une condamnation qui est tombée alors qu’il était au Sénégal. Donc, c’est aujourd’hui au juge d’application des peines de voir comment réduire cette peine, au vu de son comportement et des activités qu’il a  au Sénégal. Tout ce qu’on peut faire, c’est interpeller l’ambassadeur de la France au Sénégal afin qu’il intervienne auprès des autorités françaises pour qu’il revienne au pays et reprenne sa place dans «Grand Rendez-vous».

Comment avez-vous vécu la nouvelle de son arrestation?

Je ne suis jamais surpris avec Kémi. On savait que c’est quelque chose qui pouvait se produire à tout moment. On en parlait à chaque fois. Quand il allait à Paris, je lui disais souvent qu’il courait des risques et il en était conscient. Il n’a pas commis de crime puisqu’il ne vendait pas de drogue et il n’a tué personne. Ce n’était pas méchant. Ce sont des inculpations complètement légères et fallacieuses. A tout moment, on pouvait lui reprocher d’avoir quitté le pays.

Kémi était peut-être à la recherche de buzz pour attirer l’attention car il savait qu’il risquait une arrestation avec la condamnation qui pesait sur lui ? 

On parle toujours de lui de toute façon qu’il soit là ou en prison. Je ne pense pas qu’il ait voulu attirer l’attention. Je pense qu’il était dans la promotion normale de son livre, il avait une tournée européenne avant d’aller aux États-Unis et au Canada, avant de revenir au Sénégal.

«Kémi, un jeune inoffensif, voulait faire de l’Afrique sa base. C’est comme un petit-frère qui a ses idées que je partage souvent à 75%.»

Kémi était-il en cavale au Sénégal ?

Il n’était pas menacé du tout, on lui avait juste dit de ne pas sortir du territoire, ce qu’il n’a pas respecté. Il voulait revenir en Afrique. Il a eu envie de faire de l’Afrique sa base. C’était ça son idée. A un moment donné, il a voulu venir au Sénégal, il a eu une invitation et il est venu de la manière la plus normale et officielle.

Etiez-vous au courant de ses condamnations pour incitation à la haine ?

Parfaitement. Comme je vous dis, je ne le connaissais pas.Avant de l’inviter à mon émission, je me suis renseigné sur lui, mais comme je vous l’ai dit tantôt, cela ne m’intéressait pas. C’est le problème des Français. Toute cette crainte et cette paranoïa française sont liées à une frange de la population qui ne comprend peut-être pas certaines choses. Mais, moi je vois en Kémi un jeune inoffensif. C’est comme un petit-frère qui a ses idées que je partage souvent à 75%.

Partagez-vous ses croyances sur la suprématie de la race Kémite ?

Non. Il n’est pas suprématiste. Il est communautariste. Je suis Africain et Panafricaniste et je partage beaucoup de ses idées panafricanistes. J’ai une bonne lecture de la géopolitique mondiale et sur ce point, on se comprend beaucoup.

Et cette nouvelle équipe ?

On va reprendre pour 3 mois et on va essayer de respecter nos engagements avec la 2Stv. Le contrat se termine en fin décembre. Je pense qu’il y aura de nouvelles têtes.

Qui va sauter ?

Personne ne saute. Nina anime l’émission «Femme africaine moderne (Fam)». On attend Kémi et on espère qu’il recouvrera bientôt la liberté. Son incarcération est totalement ridicule. En attendant, on aura un nouveau chroniqueur qui va le remplacer.

Qui ?

Ce sera une surprise.

En tant que producteur, comment analysez-vous le monde de la production au Sénégal ?

Au Sénégal, les gens aiment la facilité. Il faut faire des efforts pour pouvoir produire des émissions de qualité. Il y a des télés qui ont de bons concepts et qui n’ont pas parfois les moyens. La plupart des émissions n’ont pas d’âme. Le Sénégal est très en retard sur le plan de la télévision. On est complètement en rade en matière de conception d’émissions. On gagnerait à réduire le nombre de télés et à faire de bonnes émissions. On a un problème avec les grilles des programmes.

T. MARIE LOUISE NDIAYE

source: http://www.gfm.sn/alioune-ndiaye-presentateur-et-producteur-du-grand-rendez-vous-a-la-fin-de-lannee-jarrete-lemission-cest-un-echec-financier/