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Le mois de novembre à l’Institut français de Dakar, c’est le mois du documentaire. A l’affiche, dans la soirée d’avant-hier, mercredi 5 novembre, « Les vérités du fou » de Cheikh Ahmadou Bamba Diop. Le film, qui date de 2014, dure 52 minutes pendant lesquelles on marche sur les pas d’un drôle de personnage, mi- fou, mi- poète. Ce que l’on apprend de Thierno Seydou Sall, ce sont ses mots-ceux des autres aussi-qui nous le disent. Parle, et je te dirai que tu es…
Quand, dès les premières images de ce film documentaire, la réalisatrice franco-sénégalaise Laurence Gavron demande à Thierno Seydou Sall s’il est vraiment fou, le poète, que la question n’a pas l’air de surprendre encore moins d’embarrasser, ne nie pas. Oui, il a fréquenté le service psychiatrique de l’hôpital Fann il y a un peu moins de 40 ans, pour des maux de tête, et quelques délires. On apprendra plus tard que quelques ennuis sans trop d’importance comme il dit, alors qu’il était au Canada, l’avaient finalement conduit auprès des psychiatres de l’hôpital de Thiaroye. Toujours est-il que c’est à ce moment-là que commence sa vie d’artiste.
Le personnage n’a jamais vraiment le ton neutre ou anesthésié, car il déclame souvent plus qu’il ne dit. Normal quand on est poète, et un poète errant de surcroît, le verbe porté par le vent. De lui, Joe Ouakam dit que ses pérégrinations sont celles d’un « homme d’esprit », c’est un voyage à la Rimbaud. Du nom de ce poète français du 19e siècle, Arthur de son prénom, adolescent fugueur, jeune adulte bohème et éternel « vagabond ».
Ce que montre le film, c’est que la folie de Thierno Seydou Sall est quelque part une posture volontaire et à la limite instrumentalisée. Il dit d’ailleurs qu’il a «simulé la folie pour mieux être (lui)-même ». Le poète est toujours un peu sur la corde raide, toujours un peu funambule et jamais tout à fait serein.
Comme dirait le Zarathoustra de Nietzsche, il a «fait du danger son métier». Il a horreur de la pensée confortable, des discours lisses et polis. La folie, comme il dit, ça vous donne des vibrations, c’est une décharge électrique. Il aime cet état de transe permanent, lui qui se défend pourtant d’être «le seigneur de la folie». Certaines anecdotes à son sujet ne seraient d’ailleurs que légende, mais lorsqu’il dit qu’il est «un grand lucide», c’est à peine crédible.
Pour ceux qui le connaissent, comme l’auteur-compositeur Badara Seck, Thierno Seydou Sall interroge «les contradictions et les tabous de nos sociétés». Le ton est léger, la forme désinvolte et tranchante, mais c’est toujours sérieux. Toujours direct aussi, peut-être l’influence de l’écriture automatique des surréalistes dont il se réclame.
Le Dr Ibrahima Wane, professeur de Lettres à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), qui dit l’avoir connu bien avant de le fréquenter, pense que Thierno Seydou Sall ressemble à sa poésie : cru, agressif, iconoclaste. S’il ne s’encombre pas de subtilités, il a du respect pour quelqu’un comme Cheikh Hamidou Kane dont il a vécu, comme il dit, « L’aventure ambiguë». Le Fou du roman le mettait d’ailleurs «en transe». L’écrivain pense que le poète est un refoulé de lui-même (de Cheikh Hamidou Kane) et de tous ces personnages ambigus qui tiennent à leurs valeurs tout autant qu’ils veulent s’ouvrir à l’autre. Pour eux, l’écriture est une «thérapie».
Du poète, on aurait pu s’attendre à des textes hermétiques ou à une pensée cadenassée, codée. Son style est à la fois métaphorique, imagé et accessible, avec beaucoup d’emprunts à l’actualité. Et du film, on aurait pu penser que ce serait plus la lecture d’un discours que le portrait du «poète errant», mais c’est les deux finalement. Thierno Seydou Sall est un personnage qui rit des autres et de lui, drôle même malgré lui parfois, toujours un peu-beaucoup décalé, parfois incompris. «Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.»
PORTRAIT - CHEIKH AHMADOU BAMBA DIOP
Cheikh Ahmadou Bamba Diop, le réalisateur du film documentaire « Les vérités du fou », est aussi producteur et entrepreneur social. En 1998 déjà, il est le secrétaire général de l’antenne régionale de l’Association sénégalaise pour la paix, la lutte contre l’alcool et la toxicomanie (ASPAT). L’année d’après, en 1999, il participe à un atelier de formation sur le film documentaire, puis en 2001, il se perfectionne aux techniques audiovisuelles et à l’écriture de scenarii. Trois ans plus tard, il est membre du comité d’organisation du Festival du film de quartier. Il faudra attendre 2010 pour qu’il ait sa propre structure de production, kerdoffproductions. Et 2014 pour « Les vérités du fou ».
Source: http://www.sudonline.sn/on-peut-tout-se-permettre-quand-on-est-un-peu-fou_a_21541.html