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L’OBS – Logée en plein cœur de la capitale sénégalaise, la Zawiya El Hadji Malick Sy célèbre cette année, ses 110 ans. Dans cette dernière livraison de notre dossier consacré au Maouloud, le vice-président de l’Organisation islamique «JAMRA», Mame Mactar Guèye, nous fait l’historique de ce haut lieu de culte de la Tijaniya, dont la construction, en pleine période coloniale, n’a pas été de tout repos pour le saint homme de Tivaouane ! Entretien.
Pouvez-vous, en quelques mots, nous présenter El Hadji Malick Sy ?
Il est le fils unique de Sokhna Fawade Wéllé et de Mame Ousmane Sy. Dès son jeune âge, Maodo, comme on l’appelle affectueusement dans la Confrérie Tidjane, est mû par une quête insatiable du Savoir. Il maîtrisa très tôt la Science coranique, sous la houlette de son oncle maternel, Alpha Mayoro Wéllé, lequel est l’un des éminents disciples du grand érudit soufi et fondateur de l’empire Toucouleur, Cheikh Oumar Foutiyou Tall.
En 1873, alors âgé de 18 ans, après avoir été initié à la «Tarikha» (voie) Tidjane, Maodo entreprit un périple spirituel à travers le Djolof, le Walo, le Gandiol, le Fouta Toro et la Mauritanie, pour parfaire sa maîtrise du «Fikh» (jurisprudence islamique), de la «Sunnah» (la Tradition prophétique) et du «Tafsir» (l’exégèse). Avant de s’installer à Saint-Louis pour y vulgariser la «Tarikha».
El Hadji Malick Sy, dit-on, était un grand bâtisseur de «Zawiya». D’abord, qu’est-ce qui différencie ces deux lieux de culte que sont la Mosquée et la Zawiya ?
Vous avez bien fait de souligner cette différence. En effet, une Mosquée n’a pas la même mission spirituelle qu’une Zawiya. Etymologiquement, cette appellation tire son origine du mot arabe «inzawa», qui signifie : «Se retirer de». En l’occurrence, se soustraire spirituellement des préoccupations matérielles et mercantiles de ce bas-monde, aux fins de mieux contempler la splendeur du Tout-Puissant à l’intérieur de soi-même.
Lors d’une visite au Mausolée de Cheikhouna Ahmada Tidjan (fondateur de la Tidjaniya), que j’ai eu le privilège d’effectuer à Fès au Maroc, en compagnie du défunt Grand Serigne de Dakar, El Hadji Bassirou Diagne, j’ai entendu dans un sermon, un Imam utiliser l’analogie suivante, pour bien faire comprendre le rôle de la Zawiya. Il a comparé celle-ci à une tortue.
Laquelle, dès lors qu’elle est menacée de l’extérieur, a pour seule moyen de défense et de préservation de sa vie, non pas l’instinct de fuite, mais le repli sur elle-même, par la dissimulation de ses quatre pattes et de sa tête dans sa solide carapace protectrice.
Contrairement donc à une Mosquée, généralement affectée à l’accomplissement des prières canoniques, la Zawiya est, en sus, le lieu de prédilection pour la retraite spirituelle. Sous la direction des mystiques soufis, les «Talibés Cheikh» (disciples de la Tidjaniya) ont la latitude d’y approfondir leurs études coraniques et de s’y adonner à la méditation sur la Toute-Puissance d’Allah.
Qu’est-ce qui avait poussé El Hadji Malick Sy à mettre en place ces Zawiyas? Quel rôle ont-elles joué face au pouvoir colonial?
Après avoir effectué son premier pèlerinage à La Mecque en 1889 et avant de s’installer définitivement, en 1894, à Tivaouane, pour en faire le centre de rayonnement spirituel de la Tijaniya au Sénégal, Maodo s’était d’abord attaché à terminer les chantiers de la Zawiya de Saint-Louis, en 1893, pour ensuite se lancer dans la construction d’une deuxième à Tivaouane, en 1904.
Bien que prêchant la non-violence, Seydil Hadji Malick Sy ne suscita pas moins la suspicion de l’autorité coloniale, en raison des foules que ses prêches drainaient à travers le pays et la sous-région. Maodo fit plusieurs fois, l’objet, entre 1893 et 1895, de plusieurs « demandes d’explications » qui finissaient souvent par des convocations aux fins d’interrogatoires, à la Gouvernance de l’Aof (Afrique occidentale française), alors basée à Saint-Louis.
Poursuivant son programme de vulgarisation de la Tijaniya, il opta alors stratégiquement pour la démultiplication des «Moukhadam» (mandataires du Khalife, initiateurs à la pratique du «Wird», l’invocation des noms divins). Il en forma dans un premier temps, pas moins de 400. Parmi lesquels, on distingue Elimane Sakho de Rufisque (père du défunt prédicateur El Hadji Ibou Sakho), Tafsir Abdou Cissé de Pire (père du Khalife de Pire, El Hadji Moustapha Cissé), Makhtar Diop Goumba Diop (père de Hadja Maréme Diop Makhtar et de Aminata Diop), Thierno Aliou Kandji de Diourbel, etc.
Sans oublier les «Moukahdam» plénipotentiaires, représentant Seydil Malick Sy à l’étranger, comme El Hadji Ndary Mbaye (Gabon), El Hadji Amadou Boyo Guèye (Côte-d’Ivoire), etc. C’est au moment de boucler sa mission de construction de la troisième Zawiya, destinée à la ville de Dakar, que El Hadji Malick Sy Maodo se heurta à d’innombrables écueils administratifs.
Les autorités coloniales ne semblaient pas en effet, disposées à lui laisser les coudées franches pour implanter ce haut lieu de culte en plein centre-ville. Qui plus est, à quelques centaines de mètres seulement du Palais du Gouverneur, actuel Palais de la République. Celui-ci était alors en plein chantier, sous la supervision du ministre des Colonies, Gaston Doumergue.
Car le pouvoir colonial de l’Hexagone avait pris la décision de transférer le siège du Gouverneur général de l’Aof de Saint-Louis à Dakar. Les travaux devaient durer cinq bonnes années, de 1902 à 1907. Aussi, en dépit du soutien de taille d’un condisciple influent, Thierno Saïdou Nourou Tall (petit-fils de Cheikh Oumar Foutiyou Tall), qui l’épaulait dans ses démarches administratives, celles-ci se révélèrent infructueuses, tant l’autorité coloniale paraissait frileuse de voir s’ériger un lieu de culte musulman à quelques encablures seulement de ce centre décisionnel politique d’envergure de la France d’Outre-Mer qu’était le Palais du Gouverneur.
La Zawiya a finalement été construite, en dépit des réticences des colons. Que s’est-il passé ?
Quand Maodo s’est vu successivement refuser par les colons le terrain dit de «Sans fil» (actuel siège de l’Asecna sur l’avenue Jean-Jaures) et celui du «Cinéma Le Paris» (qui comprenait aussi l’actuel site de l’Hôtel Teranga), un de ses adeptes de la première heure s’offusqua de ce dilatoire que la puissance coloniale faisait injustement endurer à son guide spirituel.
Il s’agit du notable lébou et grand propriétaire foncier, El Hadji Mbaye Guèye, disciple et «Moukhadam» de Maodo. El Hadji Mbaye Guèye se résolut à relever le défi colonial, en cédant gracieusement à son maître une bonne partie de son patrimoine, en extrayant de ses titres fonciers, n° 263 et 976, le site qui devait permettre à Maodo d’ériger la 3e Zawiya à Dakar, en plein Centre-Ville, au cœur du quartier huppé du Plateau, à l’intersection de la rue Thiers (actuelle Assane Ndoye) et de l’avenue Maginot (actuelle Lamine Guèye).
Ce fut d’abord une grande case en paille et en terre cuite qui fut, en 1905, aménagée pour faire office de Mosquée pouvant juste accueillir quelques dizaines de fidèles. Cette case se mua, en 1909, en une modeste baraque en bois (voir photo). Avant d’être bâtie en dur en 1927 (après le rappel à Dieu de Maodo en 1922). C’est n’est qu’en 1975 – alors que la Zawiya commençait à présenter de sérieux signes de vétusté, qu’un bienfaiteur de l’Islam, El Hadji Djily Mbaye, consentit à la reconstruire entièrement, en lui donnant la forme que nous lui connaissons aujourd’hui.
El Hadji Fallou FAYE
source: http://www.igfm.sn/mame-mactar-gueye-le-pouvoir-colonial-a-tout-mis-en-oeuvre-pour-compromettre-la-construction-de-la-zawiya-el-hadji-malick-sy/