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La crise de la dette ne peut être résolue qu’avec un marché plus stable et plus liquide des obligations d’État africaines, affirment Daniel Cohen, président de Finance for Development Lab, et Ibrahim Elbadawi, directeur général de l’Economic Research Forum, dans un rapport publié conjointement par les deux organisations.
Les gouvernements africains ont du mal à obtenir des emprunts et des investissements pour mieux assurer leur redressement après la crise sanitaire, et mieux s’adapter à l’augmentation du coût de la vie. Les niveaux de la dette souveraine sont insoutenables dans certains pays. Et même les pays dont les fondamentaux sont solides souffrent d’un choc de liquidité que les dispositifs financiers actuels ne sont pas en mesure de gérer.
Lorsqu’il y a un problème, la première chose qui se produit dans le monde est que les gestionnaires de portefeuille retirent leurs fonds des marchés émergents, puis des marchés frontières. Nous ne pouvons pas nous permettre de voir ce genre de comportement qui ferait dérailler pour la deuxième fois la croissance des pays émergents.
Il faudrait à l’Afrique un marché plus mature des dettes souveraines. Un tel marché peut être réalisé en combinant des outils spécifiques dans le cadre du mécanisme africain de liquidité et de stabilité. Un tel mécanisme doit renforcer la stabilité des marchés financiers locaux, lutter contre les fluctuations des prix des matières premières et injecter davantage de liquidités sur le marché de la dette souveraine africaine, réduisant ainsi les coûts de financement.
Pourquoi le besoin d’un mécanisme de liquidité et de stabilité est-il si urgent maintenant ?
Daniel Cohen : Le point de départ est le fait que nous comprenons tous qu’une crise majeure est à venir. Il se peut que ce soit une répétition de ce qui s’est passé dans les années 1980, lorsque Paul Volcker, alors président de la FED américaine, a augmenté les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation et que la plupart des pays d’Amérique latine se sont retrouvés en défaut de paiement car ils avaient des prêts commerciaux indexés, le choc a donc été immédiat et a créé une crise financière.
Les pays d’Amérique latine avaient emprunté massivement sur le marché international et, avec la hausse des taux d’intérêt aux États-Unis, les remboursements ont fortement augmenté. En conséquence, plusieurs pays d’Amérique latine n’ont pas pu rembourser ou assurer le service de leurs prêts et se sont retrouvés en défaut de paiement ; ce qui a entraîné une stagnation économique de dix ans.
Cette fois, le portefeuille de prêts des pays émergents est plus diversifié, avec beaucoup d’obligations à taux fixe, et nous avons un an ou deux avant que la situation ne devienne incontrôlable – ce qui correspond au moment où le pic de refinancement aura lieu et qui se situera autour de 2024. C’est pourquoi il est important maintenant d’établir un diagnostic afin de trouver les bons remèdes.
Le deuxième élément qui a motivé notre réflexion et notre appel à l’action est la discussion autour des DTS (droits de tirage spéciaux). L’année dernière, le FMI a mis 650 milliards de dollars sur la table pour aider les pays économiquement vulnérables à lutter contre la pandémie et la récession économique ; on attendait beaucoup de l’utilisation de cet argent.
Au final, les résultats ont été décevants. Nous connaissons tous les chiffres ; l’Afrique a pu accéder à 33 milliards $, ce qui est minime par rapport à ce qui était prévu. Et une grande partie de cet argent finira là d’où il vient, dans les coffres du FMI. Il s’agissait d’une occasion unique de changer les règles du jeu ; il y a donc un sentiment d’occasion manquée.
Ibrahim Elbadawi : L’Afrique manque d’un filet de sécurité financier pour faire face à une crise aussi importante. Il est également nécessaire d’améliorer la solvabilité et, bien entendu, de procéder à des réformes internes.
Néanmoins, nous pensons que le risque africain est exagéré car, compte tenu de fondamentaux similaires à ceux d’autres pays et d’autres régions, le risque de l’Afrique semble être perçu comme plus élevé que justifié.
Un autre point que nous voulions aborder est le risque accru de hausse et de volatilité des prix des matières premières. Il serait très important de couvrir ce risque. Ce sont là quelques-unes des considérations sur lesquelles nous nous sommes concentrés – notamment la question de la liquidité par opposition à la solvabilité –, mais toutes sont fondamentales en termes d’accès de l’Afrique au financement.
Pourquoi craindre une répétition de la crise des années 1980 ?
Daniel Cohen : C’est l’exemple qui me vient à l’esprit mais nous ne sommes pas du tout le même ordre de grandeur ! Au cours des dix dernières années, une énorme quantité de liquidités a été injectée dans le monde, ce qui a entraîné un pic d’inflation. L’impact s’est fait sentir sur les marchés financiers, où les prix des actifs ont augmenté, et non sur les prix des biens ou les salaires.
Nous nous retrouvons soudain dans une situation de miroir dans laquelle les salaires et les prix des produits de base augmentent et l’outil dont disposent les banques centrales consiste principalement à drainer ces liquidités.
Ce que l’on constate immédiatement, c’est qu’au-delà de la hausse des taux d’intérêt, qui, encore une fois à ce stade, n’est pas exceptionnelle en termes réels si l’on tient compte de l’inflation, on constate immédiatement que les pays les plus vulnérables, les pays mal notés et les pays dont l’image aux yeux des investisseurs est considérée comme risquée, voient leurs spreads augmenter bien au-delà de la hausse des taux d’intérêt eux-mêmes, et au-delà de leur propre portefeuille de dettes en quelque sorte.
Dans le cas des années 1980, nous avions eu une augmentation réelle des taux, une augmentation énorme ; celle-ci est plus modérée et pourtant elle semble produire les mêmes effets.
Lorsqu’il y a un problème, la première chose qui se produit dans le monde est que les gestionnaires de portefeuille retirent leurs fonds des marchés émergents, puis des marchés frontières. Nous ne pouvons pas nous permettre de voir ce genre de comportement qui ferait dérailler pour la deuxième fois la croissance des pays émergents.
Quelle est votre réaction à l’annulation de la dette de l’Afrique par la Chine, et à l’allocation de DTS ?
Ibrahim Elbadawi : Nous voyons là une évolution très importante annoncée par le ministre chinois des Affaires étrangères concernant l’annulation de la dette et le refinancement à hauteur de 10 milliards $, à partir des DTS.
La seule chose que je voudrais vraiment souligner ici, c’est que l’on pourrait espérer qu’il s’agisse d’une réponse coordonnée à la crise d’une manière qui s’étendrait réellement et profiterait aux pays africains qui sont en réelle difficulté. Nous aurions souhaité que cette réponse soit canalisée par des institutions telles que la Banque africaine de développement.
@ABanker