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Aux deux tiers de l’exécution d’un projet ambitieux visant à rendre le Sahel plus vert, les progrès sont bien lents : seulement 4 % d’arbres ont été plantés sur les terres. Les pays sahéliens peuvent-ils inverser la tendance ?
Dans le désert du nord du Sénégal, à sept heures de route de la capitale Dakar, une transformation tranquille est en cours. Dans une réserve naturelle clôturée de 1 000 hectares, les oryx, les tortues, les singes et les oiseaux migrateurs sont revenus après une longue absence, pour le plus grand plaisir des chercheurs sénégalais et français. Il en va de même pour un éventail étourdissant d’insectes que l’on n’avait pas vus dans le désert poussiéreux du Ferlo depuis des décennies.
À quelques kilomètres de là se trouve une série de jardins communautaires, où les femmes sont payées pour cultiver toute une série de légumes, notamment des laitues, des aubergines et des tomates. Au moment de la récolte, elles peuvent les rapporter chez elles pour nourrir leur famille ou les vendre au marché pour en tirer un bénéfice. Cela fait une grande différence ici, où la plupart des ménages subsistent grâce au millet et au lait.
« Cela fonctionne bien, tout le monde a du travail ici », juge Samba Sall, responsable d’une plantation à Koyli Alpha, un minuscule village situé à la périphérie de la région du Sahel au Sénégal. S’étendant sur toute la largeur de l’Afrique au sud de l’étouffant désert du Sahara, le Sahel est l’une des régions les plus rudes du monde.
« Nous devons briser le cycle de la pauvreté », insiste Ellisar Baroudy, spécialiste de la Banque mondiale. Qui se dit « sûre que d’ici à 2030, nous n’atteindrons peut-être pas les objectifs, mais nous commencerons à changer les choses ».
Les éleveurs locaux de l’ethnie Peul en profitent également : lors des années particulièrement chaudes et arides, lorsque leurs troupeaux de chèvres et de vaches risquent de mourir de faim, les fermes leur donnent l’herbe qu’ils stockent pendant les années plus tempérées. Selon les experts, sans cela, certains éleveurs détruiraient les clôtures des jardins et enverraient leur bétail à l’intérieur.
Autour de Widou, un autre village poussiéreux de faible altitude qui, selon les anciens, était autrefois entouré de grands arbres, des jeunes arbres plantés par des bénévoles en 2008 mesurent aujourd’hui trois mètres de haut.
Ces petits projets relativement réussis ne sont pas isolés. Ils font plutôt partie de la contribution du Sénégal à ce qui est peut-être le projet environnemental le plus audacieux que le monde ait jamais vu : une ceinture végétale de près de 7 800 kilomètres, s’étendant sur toute la largeur de l’Afrique, du Sénégal sur l’océan Atlantique à Djibouti sur la mer Rouge, qui doit être plantée d’ici à 2030.
Une vision audacieuse
Ce vaste projet vise à lutter contre le changement climatique, à renforcer la sécurité alimentaire, à réduire les conflits et les migrations et à créer des millions d’emplois locaux. Son nom : la Grande muraille verte.
Pourtant, aux deux tiers du projet, même ses plus fervents défenseurs admettent que les progrès sont bien trop limités, puisque seulement 4 % des terres disponibles ont été plantées jusqu’à présent. Dans le nord du Sénégal, les projets offrent des solutions hyperlocales plutôt qu’une solution miracle. Néanmoins, les partisans du projet insistent sur le fait que la Grande Muraille Verte pourrait encore relancer les économies en difficulté du Sahel et mettre de la nourriture sur des millions de tables.
Mais la région étant aujourd’hui en proie à des chocs économiques majeurs, notamment la pandémie du Covid-19 et l’impact économique de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ainsi que l’aggravation des effets du changement climatique, leur optimisme n’est-il pas erroné ? Quinze ans après le lancement du programme, beaucoup commencent à se demander si l’Afrique verra un jour sa grande muraille verte.
La muraille a été conçue en 2007 par l’Union africaine et les gouvernements régionaux dans le cadre d’un plan ambitieux visant à freiner l’avancée des sables du Sahara, alors que l’on craignait une désertification généralisée dans le Sahel, autrefois florissant. Mais l’idée remonte aux années 1970, lorsque des sécheresses successives ont incité les nations nouvellement indépendantes, en particulier en Afrique de l’Ouest, à réclamer une solution audacieuse.
Bien que le projet ait reçu le soutien de l’Union européenne, de l’Union africaine, de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement, il reste une initiative africaine, chacun des pays participants – Sénégal, Mauritanie, Burkina Faso, Mali, Nigeria, Niger, Tchad, Soudan, Éthiopie, Érythrée et Djibouti – coordonnant ses propres projets de plantation avec l’aide d’ONG. Les premières graines, des acacias rustiques et résistants à la sécheresse du Sénégal, ont été semées à Widou en 2008.
Si les choses allaient mal dans les années 1970, elles sont encore plus périlleuses aujourd’hui. Au cours des dernières décennies, le surpâturage, les mauvaises pratiques agricoles et le changement climatique ont dégradé une grande partie des terres arables du Sahel, les transformant en kilomètres de maquis rouge.
Une mosaïque de programmes
Sur de vastes étendues, la couche arable fertile a disparu, peut-être pour de bon. Les éleveurs de bétail s’attaquent aux quelques arbres restants pour nourrir leurs grands troupeaux, dégradant encore plus le paysage et menaçant la productivité agricole, la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance fragiles. En effet, dans toute la région, on estime qu’environ 80 % des terres ont été gravement dégradées au cours des dernières décennies.
En Afrique subsaharienne, on estime aujourd’hui que 500 millions de personnes vivent sur des terres en voie de désertification. La situation est particulièrement difficile au Sahel, où des millions de personnes vivant dans des villages poussiéreux manquent de nourriture et d’opportunités économiques. Dans le nord du Sénégal, où la situation est moins désespérée que dans les régions difficiles d’accès du Mali, du Tchad et du Burkina Faso, de jeunes hommes sont contraints de parcourir des kilomètres en charrette tirée par des ânes pour trouver de l’eau.
C’est là qu’intervient la Grande muraille verte. Conçue à l’origine comme une solide ceinture de végétation traversant onze pays, mais transformée depuis en une « mosaïque » de programmes imbriqués d’agriculture, de protection de la faune et de reforestation, le projet de la Grande Muraille verte espère restaurer 250 millions d’acres de terres dégradées dans toute la région appauvrie. S’il est achevé, ce réseau pourrait séquestrer chaque année quelque 250 millions de tonnes de dioxyde de carbone de l’atmosphère, ce qui permettrait de lutter efficacement contre le changement climatique en Afrique, qui subit de plein fouet les effets du réchauffement de la planète. Il permettrait également de créer un nombre impressionnant d’emplois verts – 10 millions –, selon ses fondateurs.
« Le programme de la Grande Muraille verte est la réponse clé à la crise climatique », estime toujours Georges Bazongo, directeur des programmes de l’ONG Tree Aid, qui participe au projet dans toute la région.
Les effets secondaires pourraient être encore plus transformateurs, selon les défenseurs de la cause. En sortant des millions de personnes de la pauvreté et en garantissant la sécurité alimentaire, le projet pourrait atténuer les conflits et la violence dans le Sahel, qui est devenu un point névralgique de la guerre contre le terrorisme. Il pourrait également empêcher des dizaines de milliers d’hommes, jeunes pour la plupart, de tenter la dangereuse traversée vers l’Europe.
Des pays vulnérables
Des millions d’arbres créeraient de nouveaux microclimats, favorisant les précipitations, ce qui pourrait réinventer l’agriculture dans la région. Le projet pourrait stimuler la biodiversité au Sahel, faisant de la région un centre de recherche scientifique dans des domaines allant de la microbiologie des sols à l’anthropologie en passant par la botanique.
En outre, en endiguant le terrorisme, en créant des emplois, en augmentant l’offre alimentaire et en réduisant la pauvreté, la Grande Muraille verte pourrait être un coup de fouet pour les économies sahéliennes fatiguées, dont la croissance a été affectée par des insurrections violentes, des hausses de prix des produits de base et des chocs économiques mondiaux. Aujourd’hui, les pays de la région, en particulier les pays du G5 Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad et Mauritanie), voient la pauvreté s’aggraver, mais ne disposent pas de la croissance économique et de la stabilité politique nécessaires pour inverser la tendance.
En outre, le Tchad, le Niger et le Mali figurent parmi les sept pays les plus vulnérables au changement climatique. Selon les économistes, la population du Sahel devrait doubler au cours des vingt prochaines années pour atteindre 160 millions de personnes. Les pays devront donc accélérer leur croissance et donner la priorité à l’adaptation au changement climatique.
Tout semble réuni pour que la Grande Muraille verte réussisse : la volonté politique de onze gouvernements africains, des milliards de dollars de promesses de financement, un soutien local croissant et des centaines d’ONG et de bénévoles désireux d’apposer leur nom sur le projet le plus ambitieux du monde en matière de climat. Pourtant, les progrès réalisés par le programme depuis 2008 sont peu réjouissants.
Selon un rapport d’avancement datant de 2021, seuls 4 % de la Grande Muraille verte ont été achevés. Dans les pays déchirés par les conflits et la violence, comme le Mali et le Burkina Faso, où des pans entiers du territoire sont contrôlés par des militants, le travail n’a pas vraiment commencé. Le Tchad a planté 1,1 million de jeunes arbres, alors qu’il aurait été l’un des principaux bénéficiaires du financement du projet.
Le Sénégal, en tête depuis le début, a reboisé plus de 90 000 acres, plantant environ 12 millions de jeunes arbres, selon les statistiques officielles, mais on se demande combien d’entre eux ont survécu dans leur environnement désertique difficile depuis 2008, en particulier ceux situés dans les zones fréquentées par les éleveurs nomades.
Il y a cependant quelques signes de progrès réels. Des oiseaux et des mammifères migrateurs reviennent dans des régions abandonnées depuis longtemps. Des chercheurs français et africains évoquent la possibilité d’avancées scientifiques concrètes grâce à la muraille.
Des défis subsistent
Certains des arbres plantés offrent une bouée de sauvetage aux populations locales pauvres. L’Acacia Sénégal, par exemple, peut être récolté pour la gomme arabique, un stabilisateur utilisé dans les boissons gazeuses, les bonbons et les médicaments. La datte du désert, Balanites Aegyptiaca, a de nombreuses utilisations, notamment l’huile de cuisson, la médecine traditionnelle et les cosmétiques.
Selon les experts, la Mauritanie est devenue une autre figure de proue du programme, tandis que l’Éthiopie, qui a commencé ses efforts de reboisement avant nombre de ses pairs, aurait planté un nombre impressionnant de 5,5 milliards de semis sur 151 000 hectares de nouvelles forêts.
De sérieux défis subsistent, dont le principal est l’accès au financement des projets. Voici deux ans, le président français Emmanuel Macron a promis un financement multilatéral supplémentaire de 14 milliards d’euros, s’ajoutant aux milliards déjà promis, mais les ONG et les chercheurs affirment qu’à ce jour, l’argent n’est pas arrivé.
Sans financement adéquat, le projet restera lettre morte, affirme Haidar El Ali, ancien directeur de l’agence sénégalaise de la Grande Muraille verte. Il est exaspéré par le manque de progrès. « La Grande Muraille Verte ne peut pas être rapide ou bonne parce que les grandes organisations n’aident pas vraiment. Elles font une étude, elles organisent une conférence, mais rien sur le terrain », s’agace-t-il. « Les grandes organisations ne sont pas la solution. La solution est obligatoirement locale. »
En attendant, comme chaque pays participant dispose de son propre budget pour la Grande Muraille verte, étroitement surveillé par une agence spécialisée, on ne sait pas exactement combien a été dépensé et pour quoi depuis 2008. Selon un rapport publié en 2021 par la FAO, les pays ont déclaré n’avoir dépensé que 200 millions de dollars pour la Grande Muraille verte depuis le début du projet, une somme dérisoire compte tenu de l’ampleur de son ambition et des milliards promis pour la soutenir.
Dans le désert du Ferlo, au Sénégal, le manque d’accès à l’eau et les faibles précipitations font que certains projets ne voient jamais le jour. Autour de Widou, les projets utilisent des stations de pompage des eaux souterraines construites par les Français dans les années 1950, avant que le Sénégal ne devienne indépendant. Ces stations ont désespérément besoin d’être modernisées. Lors de la visite d’African Business, des femmes frustrées étaient assises à l’ombre des arbres, entourées d’un sol desséché et incapables de planter sans eau.
Il est temps d’agir
En 2021, dans un rapport d’avancement, des ministres et des fonctionnaires des Nations unies ont affirmé que le projet était à l’origine de 350 000 nouveaux emplois et de 90 millions $ de recettes. Dans l’ensemble, les pays ont déclaré avoir planté 4 millions d’hectares entre 2011 et 2021. Mais pour atteindre l’objectif de 2030, plus de deux fois cette superficie devra être restaurée chaque année, pour un coût estimé à 4,3 milliards $ par an.
Les partisans acharnés du projet affirment que tout progrès dans le reverdissement du Sahel est un motif de célébration. Pourtant, si le projet doit permettre de lutter efficacement contre le terrorisme, le changement climatique, la pauvreté, la faim et les migrations dangereuses au cours de la prochaine décennie, les progrès doivent être accélérés, et rapidement.
Il y a également un impératif économique, les économies fragiles de la région ont subi le double coup de massue économique du coronavirus et de la guerre en Ukraine, qui ont tous deux fait grimper en flèche le prix des denrées alimentaires et des carburants importés. Ces tensions sont survenues alors que la région était déjà confrontée à l’instabilité politique, à la fragilité économique et à des conditions météorologiques extrêmes, ce qui a encore aggravé l’impact sur certains des ménages les plus pauvres.
« L’incidence élevée de l’insécurité alimentaire en Afrique est due à une combinaison de défis structurels tels que la fragilité, le changement climatique, la dégradation de l’environnement, les niveaux élevés de pauvreté et la faible productivité agricole », nous explique Ellysar Baroudy, de la Banque mondiale.
Qui prévient : « Dans certains pays, les prix de l’huile, du riz, du sucre, du blé et d’autres produits transformés importés ont déjà augmenté de 20% à 50 %. L’augmentation du prix des engrais provoquée par la guerre menace également la crise persistante de la sécurité alimentaire. Plus de 32 millions de personnes sont déjà en situation d’insécurité alimentaire et nutritionnelle aiguë en Afrique de l’Ouest et d’autres viendront s’y ajouter si aucune mesure n’est prise. »
Un coup d’œil sur l’état des économies sahéliennes souligne cette nécessité. L’économie du Burkina Faso est largement basée sur l’agriculture, bien que les exportations d’or sont un soutien utile au pays.
Même si l’économie a commencé à se remettre de la pandémie en 2021, les faibles précipitations ont entraîné une baisse de 4,1 % dans le secteur agricole.
Le Mali, dirigé par une junte militaire et soumis aux sanctions de la CEDEAO, se porte encore plus mal que son voisin en difficulté. Selon les économistes, la production de coton, de céréales et d’or pourrait stimuler la croissance en 2023 grâce aux prix élevés des matières premières, mais les prix élevés des denrées alimentaires et de l’énergie pourraient anéantir ces gains.
Même le Sénégal, bastion de la stabilité dans la région, voit sa reprise économique minée par le conflit en Ukraine, qui devrait affecter la consommation et l’investissement en raison des prix élevés de l’énergie et des denrées alimentaires. La découverte d’impressionnantes réserves de pétrole et de gaz pourrait être une aubaine, mais les projets énergétiques ne devraient pas contribuer immédiatement à renflouer les caisses de l’État.
Une tempête parfaite ?
Avec l’accélération du changement climatique, le Sahel, en proie à des difficultés, se dirige vers une tempête parfaite. La région a à peine contribué à la crise climatique, mais elle en ressent les effets. En effet, on estime que le Sahel s’est réchauffé de 1°C depuis 1970, soit près de deux fois la moyenne mondiale.
La Grande muraille verte, malgré son manque de progrès, pourrait-elle aider les économies en difficulté de la région, atténuer les effets du changement climatique et sortir des millions de personnes de la pauvreté ? Ellisar Baroudy est optimiste. « Nous avons besoin d’interventions transformatrices qui renforcent la résilience des écosystèmes, responsabilisent les populations et contribuent à des économies durables. La Grande muraille verte apporte ces solutions et c’est pourquoi la Banque mondiale s’est engagée à investir 5,6 milliards $ entre 2020 et 2025 », explique-t-elle.
« Grâce à cet engagement, une soixantaine de projets seront mis en œuvre dans divers secteurs qui, ensemble, favorisent le développement durable : productivité de l’agriculture, infrastructures résistantes au climat, restauration des terres, chaîne de valeur et marchés locaux, et autonomisation pour doter les agriculteurs, les femmes et les jeunes des compétences adéquates. » Les projets, affirme-t-elle, « créeront des corridors de croissance où des emplois seront créés, des activités diversifiées et des revenus générés ».
Les visites effectuées par NewAfrican dans des fermes, des réserves et des zones de plantation dans le nord du Sénégal confirment l’idée que la Grande muraille verte peut être transformatrice au niveau local. Mais si elle doit sortir les économies régionales du marasme, cela ne suffira pas. Au lieu de cela, des mesures rapides doivent être prises à grande échelle pour relancer le programme en perte de vitesse, y compris la fourniture des fonds promis et un meilleur contrôle de la manière dont l’argent est dépensé.
Malgré les maigres progrès réalisés à ce jour, les partisans du projet, inspirés avant tout par son audace, conservent l’optimisme qui a caractérisé le projet dès son lancement.
« Nous devons briser le cycle de la pauvreté », insiste la spécialiste de la Banque mondiale. Qui se dit « sûre que d’ici à 2030, nous n’atteindrons peut-être pas les objectifs, mais nous commencerons à changer les choses ».
@NA
Source / https://magazinedelafrique.com/societe/la-grande-muraille-verte-est-elle-en-danger/