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S’exprimant sur la Loi 12/2010 qui instaure une réforme de la propriété foncière, le directeur exécutif de Initiative prospective agricole et rurale (Ipar), Cheikh Oumar Ba, juge nécessaire une prise en compte des intérêts de tous les acteurs concernés par la réforme, mais aussi d’éviter que la question juridique prenne le dessus sur les dimensions sociologique, culturelle et politique. Entretien.
Qu’elles sont les pièges à éviter dans la conception de la nouvelle réforme foncière?
Il ne faut pas faire la réforme pour quelques catégories d’acteurs. Elle doit être générale. Il faut une réforme dans laquelle tous les Sénégalais se reconnaissent. Elle ne doit être perçue comme une façon de vendre les terres des paysans à des investisseurs. S’il en est ainsi, on bloque le processus. On ne doit pas aussi percevoir la réforme comme une remise en cause de l’ordre étatique. C’est-à-dire, des populations qui ont vécu sur une terre depuis des millénaires, on ne doit pas leur dire: «maintenant vous n’avez plus le droit d’occuper votre propriété, car les terres vont être privatisées». Il faut arriver à un consensus national sur les enjeux et la finalité de la réforme.
Par ailleurs, il importe de ne pas privilégier la question juridique. Le foncier n’est pas seulement un élément juridique ou économique. Il est aussi sociologique, culturelle et politique. Depius 1996 plusieurs réformes foncières ont été entreprises par les autorités, mais aucune d’elles n’a abouti car, le plus souvent, dans la mise en œuvre, on a mis que des juristes. On’a privilégié la dimension juridique plutôt que la finalité de la réforme. Une réforme, c’est pour corriger des distorsions.
On parle de réformes foncières, pourquoi est t-il nécessaire de changer la loi existante?
Ce qu’il faut dire, c’est que cette loi avait été conçue dans un contexte de 1964 où le Sénégal venait de prendre son indépendance. Le Sénégal avait un projet qui, justement, nécessitait une réorganisation. Aujourd’hui, avec l’évolution démographique, la croissance urbaine, les activités économiques et la libéralisation économique, on se rend compte que la loi n’est pas adaptée au contexte de l’heure. Si on prend l’exemple des femmes, la loi n’interdit pas à la femme d’accéder à la terre. Malgré tout, les femmes ont des problèmes à accéder à des terres de qualité. La loi telle qu’elle est, a fait son temps. Aujourd’hui il faut l’adapter au contexte actuel. Si on veut sécuriser les populations locales, créer un espace pour l’investissement productif et prendre en compte l’évolution politique et économique du Sénégal, on doit adapter la loi avec les conditions actuelles de mise en œuvre.
Parmi les faiblesses de la loi actuelle, il y a aussi, ce qu’on appelle la capacité de mise en valeur. Cette notion n’est pas définie comme le prévoyait la loi. Elle n’est définie par aucun texte. Les procédures prévues pour un constat de mise en valeur permettant de transformer en droit d’affectation, en bail ou en titre foncier, sont hors de porté des populations. La deuxième difficulté, c’est qu’à partir de 1972, on ne parlait plus de résidence, mais d’appartenance à la communauté locale. Or aujourd’hui, même avec cette appartenance, la plupart des acquisitions de terre à grande échelle ont été l’œuvre de personnes qui sont extérieurs à la communauté rurale. La question de résidence ou d’appartenance à la communauté pose problème. La troisième limite est que la loi ne permet pas une sécurisation ni pour les paysans ni pour les investisseurs. Malgré tout, il est nécessaire de reconnaitre que cette loi a été importante. La principale force est que cette loi datant de 1964 a permis de préserver la paix sociale au Sénégal. Si aujourd’hui on parle de réforme foncière, c’est parce qu’on a des terres qui existent encore et qui sont dans le domaine national. Si cette loi n’avait pas préservé le potentiel en terre du Sénégal, on n’aurait même pas de quoi réformer. Si on avait donné toutes les terres du Sénégal à des privés, aujourd’hui on n’aurait même pas quelque chose sur quoi on pouvait créer le développement dont on a besoin en tant que pays.
Avec la mise en œuvre de l’acte 3 de la décentralisation, qu’elle sera le rôle des communes dans l’attribution des terres?
Là où on en est avec l’acte 3 de la décentralisation, il n’y pas d’incidence majeure sur la réforme. On est à la dimension politique de l’acte 3. On n’est simplement à la communalisation intégrale. Cela deviendra intéressant quand on parlera des pôles régionaux de développement. Dans cette deuxième phase de l’acte 3, au moment où on parlera de la dimension économique des régions, comment faire pour valoriser les richesses, préserver certaines parties pour qu’elles ne soient pas transformer en domaine habitable? C’est dans ce cas, qu’il va falloir articuler la réforme foncière avec l’aménagement du territoire.
source: http://www.sudonline.sn/il-ne-faut-pas-faire-la-reforme-fonciere-pour-quelques-categories-d-acteurs_a_23123.html