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Mahfoudh Ould Bettah, ancien ministre de la Justice : « La Mauritanie vivra bientôt une implosion»

Mauritanie
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MauritanieL’absence notoire de vision en matière de politique économique, la faillite des secteurs de l’éducation et de la santé, combinées à une instrumentalisation de la justice et un déni flagrant des acquis démocratiques constituent aujourd’hui, entre autres maux, le ferment d’une implosion imminente en Mauritanie. Pis, au regard de la paralysie qui frappe les rouages politiques et socio-économiques du pays, le pouvoir tatillon de Nouakchott a fini de démontrer son incapacité à satisfaire les aspirations légitimes du peuple. C’est, en tout cas, le sombre tableau peint par Me Mahfoudh Ould Bettah, le président de la coordination démocratique de l’opposition (Cod).

 Dans l’entretien qu’il nous a accordé, cet ancien Bâtonnier de l’ordre des avocats de Mauritanie revient également sur le blocage du dialogue politique, les prochaines échéances électorales, etc.

 

Wal Fadjri : Pouvez-vous nous présenter la coordination de l’opposition démocratique ?

Mahfoudh Ould Bettah : La coordination de l’opposition démocratique, comme l’indique son nom, est un regroupement des partis de l’opposition de la Mauritanie. Elle compte actuellement neuf partis politiques. Certains sont très anciens et très enracinés sur le champ politique mauritanien. Notamment des formations politiques comme l’App, le Rfd. D’autres sont plus récents. A travers cette coalition, nous avons créé ce qu’on appelle la coordination des forces de l’opposition qui fait aujourd’hui face à l’actuel pouvoir.

 

En termes de stratégie, qu’est-ce que vous avez pu apporter en tant que responsable de cette entité dans le sens d’une unification efficiente des différentes approches prônées par les membres ?

 

La coordination de l’opposition s’articule autour d’un objectif qui est essentiel : celui de relever le défi de la démocratie dans ce pays. Je ne prétends pas que, au sein de notre coordination, nous sommes d’accord sur tout. Il arrive parfois que certaines formations politiques arrivent à exprimer leurs spécificités et je pense que, pour l’essentiel, les partis de la coordination de l’opposition demeurent donc très unis. En ce qui me concerne, j’ai introduit un certain nombre d’actions qui me semblent vraiment être utiles pour notre coordination. Notamment, j’ai initié une démarche auprès du pouvoir dans le sens d’une prise en compte du droit de l’opposition mauritanienne à accéder aux médias publics. J’ai interpellé la Haute autorité de la presse et de l’audiovisuel (Hapa). Et à ce niveau, j’avoue que nous avons obtenu des promesses très fermes, puisque la démocratie constitue aujourd’hui le champ public de la presse et que cette presse doit très prochainement ouverte à tous les partis de l’opposition mauritanienne. J’ai également été reçu, dans le cadre de mes responsabilités de président de la coordination, par le Premier ministre actuel. Nous avons donc beaucoup discuté des conditions de dialogue. Et nous attendons que le pouvoir, après cette première prise de contact, prenne un certain nombre de mesures en vue de faciliter le climat dans lequel devrait donc se dérouler ce dialogue dans notre pays.

 

Comment s’organise aujourd’hui la coordination de l’opposition démocratique en perspective des prochaines échéances électorales ?

 

La coordination envisage d’exprimer des positions communes. Nous exigerons un code électoral consensuel qui permet de s’assurer de la transparence et de la crédibilité des prochaines élections. Nous allons donc rapidement mettre toutes les actions pour que nous parvenions à cet objectif qui nous semble très essentiel. Mais, je dois vous dire que, avant cela, nous exigeons des pouvoirs en place un certain nombre de mesures qui vont donner un minimum de crédibilité au comité de dialogue et surtout à l’assouplissement d’un certain nombre de positions prises par le pouvoir vis-à-vis de l’opposition. Puisque nous avons l’impression que, jusqu’à présent, le pouvoir est toujours dans sa propre logique de pouvoir autoritaire lié à l’existence d’une opposition politique dans un cadre démocratique. Nous allons donc travailler à ce que ce code électoral soit un code essentiel pour que nous puissions aller aux élections législatives prochaines. Des élections qui seront transparentes, qui ne seront pas truquées et surtout des élections très apaisées.

 

‘Le pouvoir de Aziz a fait un semblant d’élection pour se donner une légitimité sur le plan international qu’il ne mérite nullement’

 

Que recouvre pour vous le concept de dialogue politique ? Pourquoi l’opposition et le pouvoir n’arrivent-ils pas à s’entendre au moins sur les questions d’intérêt national alors que la Constitution dispose pourtant d’un statut pour le chef de l’opposition ?

 

J’avoue qu’il y a eu des avancées s substantielles en ce qui concerne le cadre institutionnel dans lequel s’exerce l’activité des forces politiques dans ce pays. Notamment, pendant la période de transition entre 2005 et 2007. Il avait, en ce temps, été prévu un statut spécial pour le chef de file de l’opposition. Mais, après le coup d’Etat de 2008 qui avait vu l’arrivée au pouvoir de l’actuel chef de l’Etat, des institutions qui ont été mises en place ont été purement et simplement ignorées ; les textes qui avaient aussi été pris pendant toute cette transition ont été complètement foulés au pied et mis au placard par les tenants du pouvoir actuel. Le manque de consensus et d’accord entre l’opposition et le pouvoir en place, sa responsabilité qu’il cherchait auprès du pouvoir qui a signé les accords de Dakar comme vous le savez. Des accords qui avaient prévu une élection présidentielle faite d’ailleurs dans des conditions tout à fait chaotiques sur le plan de la transparence, de la crédibilité… Mais, que l’essentiel de l’opposition avait reconnu la légalité dans l’espoir que le reste des dispositions de l’accord de Dakar soient enfin abordées dans un cadre de dialogue inclusif. Ces points, j’avoue que le pouvoir en place de Mohamed Ould Abdel Aziz n’a jamais accepté de les aborder. Il a même renié publiquement son engagement qu’il avait pourtant souscrit à Dakar en présence de la communauté internationale. C’est cette position-là qui affecte aujourd’hui la sérénité du débat politique dans le pays. C’est cette position-là donc qui empêche toutes les forces vives de ce pays de convenir d’un consensus de l’ensemble des questions essentielles concernant l’avenir de la Mauritanie. Evidemment je ne conteste pas que l’actuel pouvoir sorte parfois des propos de nature à exprimer une certaine disponibilité de sa part au dialogue. Mais je dois dire que cela reste de la poudre aux yeux. Nous n’avons pas entrevu auprès du pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz de réelles volontés de dialogue pour que le pays sorte du pouvoir autoritaire qu’il conduit depuis 103 ans. Le pouvoir actuel n’est pas du tout différent du pouvoir militaire que nous avions obtenu où un chef d’Etat a été porté à la tête de l’Etat par un coup d’Etat. Et le pouvoir actuel, dirigé par Mohamed Ould Abdel Aziz, n’est pas du tout différent du pouvoir militaire que nous avions connu.Ce pouvoir a fait un semblant d’élection pour se donner une légitimité sur le plan international qu’il ne mérite nullement.Pour l’essentiel, le régime que nous avons en place reste et demeure un régime très autoritaire. Ce qui est vraiment révolu aujourd’hui.

 

Sur le plan économique et social, une certaine grogne est de plus en plus perceptible face à la détérioration du pouvoir d’achat des ménages. Qu’est ce qui explique, selon vous, cette situation difficile pour les populations mauritaniennes ?

 

C’est la gestion désastreuse du pays. C’est aussi cette incompétence de ceux qui ont aujourd’hui en charge les secteurs de l’économie. C’est la faillite de tous les secteurs de l’économie. Si on y ajoute la crise internationale, on trouve une explication tout à fait évidente de la situation difficile et honteuse dans laquelle se trouvent tous les ménages du pays. Il y a un effondrement sans précédent des revenus de nos ménages suite à cette crise économique. Une crise qui est très profonde mais également accompagnée d’un chômage très endémique surtout dans toutes les catégories de jeunes du pays. Il s’y ajoute cette hausse vertigineuse des prix. Toutes choses qui font que les populations sont désemparées et sont trop pressées de se séparer de ce régime dictatorial qui a vraiment prouvé ses limites en deux ans de gestion d’un Etat. Le pouvoir a certes auparavant voulu donner l’impression qu’il s’occupait de la situation du Mauritanien lambda avec cette mise en place des boutiques de solidarité. Mais, là aussi, l’échec était très patent. Puisque tout le monde sait que cette expérience a échoué parce qu’elle n’avait pas la vocation de toucher l’ensemble de la population. Ensuite, c’est que, assez souvent, ces boutiques que l’on considérait comme des boutiques de solidarité ne sont pas approvisionnées en marchandises de telle sorte que les populations avaient du mal à trouver les denrées souhaitées et qui étaient excessivement chères contrairement aux prix faciles annoncés par les tenants du pouvoir. A cet effet, nous avons rencontré beaucoup de commerçants qui se sont sentis ignorés par la gestion de ces magasins. Une injustice évidente, ont-ils laissé entendre parce que le choix des commerçants auxquelles ces boutiques ont été accordées était purement politique. Et je suis persuadé que si des mesures de baisse des prix des denrées ne sont pas appliquées, et que le régime en place continue de tout politiser pour s’éterniser au pouvoir, il est évident que sous peu la Mauritanie vivra bientôt une implosion. Ce que nous ne souhaitons pas. Et pour ne pas y arriver, il urge qu’il y ait un dialogue et que ce régime descende ses pieds sur terre. L’actuel président de la République et son équipe doivent savoir qu’ils sont toujours en phase d’apprentissage. Ils viennent tous d’être portés, pour la première fois de leur vie, à la tête d’une République. Qu’ils n’aient pas donc honte de solliciter conseil. Quand on ne sait pas où l’on va, on retourne d’où on était venu. (…) Si cela continue, nous risquons d’arriver comme je l’ai dit à un soulèvement populaire. Puisque, ventre affamé n’a point d’oreille, selon notre adage.

 

Quels sont, aujourd’hui, les grands chantiers de la coordination démocratique de l’opposition ?

 

C’est d’assurer une alternance pacifique dans ce pays. C’est de confiner l’armée dans sa mission première de défense du territoire mauritanien. C’est de lui assigner, donc, d’arriver à un pouvoir civil et légitime. Nous pensons très sérieusement que le peuple mauritanien est en train de cesser d’accepter de se confiner dans la résignation et qu’il y a des potentialités énormes à démettre le pouvoir pour exiger du régime en place une concession nécessaire pour gagner ce défi d’arriver à mettre en place des institutions républicaines. Le peuple mérite, quand-même, ce respect-là. Et nous faisons, chaque jour que Dieu fait, plus pour changer l’image peu reluisante de notre pays qui a perdu toutes ses valeurs.

 

‘En Mauritanie, les pauvres sont devenus davantage des prolétaires, c'est-à-dire plus pauvres’

 

En son temps, vous aviez toujours refusé de reconnaître Mohamed Ould Abdel Aziz comme étant le président élu démocratiquement. Et aujourd’hui vous exigez un dialogue avec ce dernier. Cela veut dire que vous le reconnaissez finalement ?

 

Je dois dire que les partis de l’opposition ont, pour l’essentiel, à deux exceptions près, reconnu la légalité du régime en place. Ce, en prenant acte de la décision prise par le Conseil constitutionnel qui a donc validé les élections de 2009. Ceci étant dit, certains partis ont considéré que la légitimité doit être une conquête permanente (…). Et puisque il y a aujourd’hui un besoin urgent, il me semble important que tous les acteurs politiques du pays se retrouvent autour d’une table de négociation pour régler les choses essentielles. A savoir, sortir le pays de ce marasme économique créé par les nouveaux dirigeants et tous ces dictateurs qui étaient là et ont fini de ruiner notre pays.


Durant toute sa campagne électorale Mohamed Ould Abdel Aziz s’était affublé du slogan ‘le candidat des pauvres ’. Deux ans après, qu’en est-il ?

 

Tout ce qu’il faisait, ce n’était que du populisme. Je me rappelle que ce thème avait auparavant été utilisé par le roi du Maroc. Et je pense que les pauvres sont devenus, en Mauritanie, davantage des prolétaires c'est-à-dire plus pauvres. Les riches se sont véritablement appauvris également. De ce point de vue-là, j’accepte qu’il est le vrai candidat des pauvres. Aujourd’hui, sur le plan économique et social, le pouvoir actuel a ramené ce pays dans les bas-fonds. Le chômage est endémique, la pauvreté est systématique. Les Mauritaniens s’expatrient de plus en plus parce qu’il n’y a plus d’issue. L’horizon reste sombre pour tous ces jeunes qui empruntent maintenant la mer. Dans tous les secteurs de l’économie (la pêche, l’agriculture, l’élevage, l’industrie, etc.) rien ne va. Et ce n’est pas moi qui le dis. Ce sont ces jeunes, ces femmes, ces personnes âgées qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Jamais la Mauritanie n’a connu une situation économique et sociale comparable à celle que le peuple vit aujourd’hui.

 

SOURCE:  Wal Fadjri