Cette contribution à la connaissance des fondements et des conséquences immédiates de la convention du 12 mai 1886, évoquera principalement, la construction de la Guinée-Bissau et l’intégration de la Casamance à la colonie du Sénégal, deux actes indissociables. La Guinée-Bissau n’avait qu’une seule frontière avec les colonies françaises du Sénégal et de la Guinée, établie par la convention du 12 mai 1886. L’accession de ces deux pays à l’indépendance lui conféra ses deux frontières actuelles puisque la limite franco-portugaise n’avait plus cours.
Appelé d’abord côte africaine de Guinée par les navigateurs portugais qui abordèrent le littoral ouest africain dans la première moitié du XVème, puis Guiné do Cabo Verde lorsque le Portugal confia son administration au Cap Vert, ensuite Guinée « portugaise » quand il s’est libéré de cette tutelle en 1879 et enfin Guinée Bissau par les nationalistes qui déclenchèrent la guerre de libération nationale en janvier 1963 sous la bannière du Paigc1, ce petit pays de 36 125 km2 coincé entre le Sénégal et Guinée Conakry n’a été porté sur les fonds baptismaux qu’avec le commencement du conflit qui allait le conduire à l’indépendance 10 septembre 1974.
De sa longue histoire, nous ne retiendrons que quelques aspects : son cheminement avec le Cap Vert jusqu’à sa desannexion, la question de Bolama et les conditions de délimitation avec le Sénégal, au regard des rivalités que le Portugal et la France entretenaient le long du fleuve Casamance.
De la fin du XVème siècle à la desannexion de la Guinée du Cap Vert de l’archipel du Cap Vert, ces deux colonies portugaises ont été intimement liées sur les plans administratif,
politique, économique et religieux. Si l’archipel était le moteur de l’union, il dépendait aussi largement de la Guinée qui lui procurait grâce au commerce l’essentiel de ses ressources et d’où lui venaient les hommes qui le peuplaient.
La prépondérance du Cap Vert était aussi nette dans le domaine religieux depuis la création en janvier 1532 par le pape Clément VII du diocèse du Cap Vert et de Guinée dont l’évêque résidait à San Thiago. La Guinée et Ziguinchor cessèrent alors de relever du diocèse de Funchal au profit du Cap Vert. Des moines capucins établis au Cap Vert se rendirent à Farim, Geba et Ziguinchor pour y construire des églises. Sur le plan administratif, le Portugal n’était présent jusqu’au début du XVIIème siècle que dans deux capitaineries logées dans la partie littorale et son arrière pays, terres comprises entre les fleuves Casamance et Nunez alors qu’il prétendait être le propriétaire de toute la région comprise entre le fleuve Sénégal au moins dans le nord et la Sierra Léone au sud.
La capitainerie du Cap Vert comprenait six sous capitaineries : Ziguinchor, Cacheu, Farim, Bissau, Geba et Bolama. En réalité, il n’y avait jusqu’au XVIIème siècle aucune administration portugaise digne de ce nom dans la capitainerie de Sierra Léone et celle du Cap Vert ne s’exerçait que superficiellement et temporairement dans certaines sous-capitaineries alors que l’autorité du Portugal n’était que nominale voire absente dans d’autres. L’union luso-hispanique (1580-1640) bloqua pendant tout le temps qu’elle dura la progression du Portugal sur la côte de Guinée.
Jusqu’à la désannexion, la Guinée resta sous les ordres de l’archipel du Cap Vert. Elle en souffrit sur tous les plans et cette longue dépendance la paralysa. Son gouverneur résidait au Cap Vert et ne la visitait que deux fois par an si la sécurité régnait en mer, si aucune urgence n’impliquait sa venue sur le continent et si les populations insoumises du littoral voulaient bien ignorer sa présence. Or toutes ces conditions se conjuguèrent rarement pendant cette longue période de dépendance de la Guinée vis-à-vis de l’archipel.
Le 16 mai 1832, le Portugal se donna une nouvelle organisation administrative qui s’appuyait sur la décentralisation du territoire et sur une administration démocratique du pays. Cette loi entra en vigueur dans la colonie du Cap Vert et de Guinée en 1834. Elle transforma le district de Guinée en comarca (canton) dirigé par un sous-préfet (sub prefeito) dépendant du préfet (prefeito) du Cap Vert et les anciennes capitaineries qui la constituaient, Cacheu et Bissau, se muèrent en concelhos (arrondissements ou municipalités) dirigés par le provedor ou administrateur.
Chacune de ces autorités avait à ses cotés une junte de confiance du peuple ou junta de confiança do povo élue pour promouvoir les intérêts de l’unité territoriale concernée et surveiller l’utilisation des biens publics. Huit ans plus tard, la Guinée retrouva sa situation administrative antérieure avec sa partition en deux districts, celui de Cacheu et celui Bissau, chacun ayant à sa tête un gouverneur subalterne dépendant du gouverneur du Cap Vert. Le 7 décembre 1852, les deux districts furent à nouveau réunis au sein d’une même administration provinciale, qui eût Bissau comme capitale.
Cette ville était aussi la résidence du gouverneur qui était tenu de se rendre deux fois l’an à Cacheu qui n’avait plus qu’un gouverneur de praça qui avait sous ses ordres Ziguinchor et ses dépendances en Casamance ainsi que les places de Bolor et Farim. Les changements du statut administratif et
politique de la Guinée du Cap Vert furent nombreux entre la fin du XVème siècle et la desannexion en 1889. De tels changements dans le découpage administratif et dans le commandement civil et militaire ne militaient pas en faveur d’une stabilité et d’une bonne administration de la colonie.
Les préfets et les gouverneurs se succédaient à un rythme rapide et les métropolitains tout comme les capverdiens se méfiaient de cette terre « maléfique » et malarienne, que les fièvres avaient rendue célèbre, comme dévoreuse d’hommes, si éloignée de Lisbonne et de Praia ses métropoles avec lesquelles elle était très mal reliée. La Guinée du Cap vert était laissée à l’abandon entre les mains d’autorités qui manquaient de moyens pour l’administrer convenablement. Elle était exploitée par des négociants capverdiens négriers, par des préfets et des gouverneurs sans scrupules, tous impliqués dans la traite atlantique des noirs orientée surtout vers le Brésil et le Cuba.
Ses autorités étaient donc peu soucieuses d’asseoir et de consolider le pouvoir et l’influence du Portugal sur cette côte de Guinée du Cap Vert. La Guinée fut durant cette longue période, non pas une colonie compacte mais surtout un ensemble d’établissements épars confronté à l’insubordination et aux révoltes incessantes des peuples côtiers, subissant le comportement inadmissible des négociants et des maisons de commerce étrangères ainsi que les instruisions des anglais à partir du Cap Sainte Marie et de la Sierra Léone et des Français à partir de Gorée et de Saint-Louis.
De 1853 à 1878, la Guiné do Cabo Verde vécut ses dernières années de colonie d’une colonie. Pendant ce quart de siècle, le Portugal eut à faire face à la concurrence que lui livraient la France en Casamance et l’Angleterre à Bolama tout en cherchant à consolider ses acquis sur la côte. Les difficultés de la Guinée ne pouvaient pas disparaitre tant qu’elle demeurait la colonie d’une colonie, l’archipel restant un relais entre elle et la métropole et les comptoirs qu’elle abritait. Il fallait onze jours aux malles pour relier la côte de Guinée au Portugal et, en l’absence du télégraphe, la solution du plus petit problème administratif réclamait un délai de 45 jours2.
Les gouverneurs du Cap Vert eux-mêmes négligeaient la Guinée qu’ils assimilaient à un fardeau pour les finances de l’archipel et à un mouroir pour les enfants des îles qui y séjournaient pendant la durée de leur service militaire. Les fonctionnaires et les militaires affectés en Guinée ne s’y rendent que lorsqu’ils avaient épuisé toutes les démarches qu’ils entreprenaient pour faire rapporter leurs affectations. Très peu nombreux étaient les fonctionnaires et les militaires qui demandaient à servir dans ce pays et c’était toujours contre leur gré qu’ils allaient travailler dans cette « mangrove » des barbares3 dont les fièvres emportaient rapidement les métropolitains et les capverdiens.
Ces agents civils et militaires étaient mal logés et se tenaient constamment sur le qui-vive redoutant par-dessus tout, l’adversité des peuples autochtones au sein desquels ils vivaient et qui se rebellaient sans cesse contre l’autorité portugaise « jusqu’en 1880, aucun Portugais, gouverneur militaire, explorateur ou négociant ne s’était aventuré à plus quelques dizaines de kilomètres de la côte »4. Les Soldats venaient essentiellement de l’archipel parce que l’armée ne recrutait pas parmi les indigènes qui supportaient mal d’être commandés et se révoltaient au moindre motif et à n’importe qu’elle occasion. Sur le plan économique, la Guinée souffrait du manque d’initiatives locales et les acteurs principaux dans ce domaine étaient les Cap-Verdiens et surtout les agents des maisons de commerce français, et pendant très longtemps la traite négrière dépeupla la côte guinéenne.
Voila ce qu’était la Guinée, la colonie d’une colonie, voire une sous colonie. Le désastre et l’humiliation des soldats portugais devant les Floup (diola) de Bolor, le 30 décembre 1878, amena les autorités métropolitaines à l’évidente conviction, que pour mieux gérer, faire face aux peuples côtiers et consolider et étendre leur influence, la seule décision qui s’imposait consistait à donner à la Guinée son autonomie. Le 18 mars 1879, un décret desannexa le district de la Guinée de la province du Cap-Vert. La Guinée devenait une province à part entière sous les ordres d’un gouverneur complètement indépendant du gouverneur général installé à Praia.
Entre la dexannexion de la Guinée et la signature de la convention franco-portugaise de délimitation des territoires voisins français et portugais, le Portugal eût comme préoccupation principale la constitution d’une véritable colonie qui rassemblerait à l’intérieur de limites précises l’ensemble de ses positions. Le Portugal avait réglé son différend avec l’Angleterre à propos de la question de Bolama, mais il se heurtait contre la France sur les bords du fleuve Casamance. Or seul un accord avec ce pays pourrait lui permettre de rassembler ses espaces de souveraineté, villes, terrains, estuaires et îles.
En 1886, la Guinée réellement portugaise se réduisait :
- au préside de Ziguinchor, à la praça (place) de Cacheu et au préside de Farim sur le rio San Domingos ou rio Cacheu ;
- à la villa de Bissau, l’ilot du Roi, au préside de Géba sur le rio Géba ;
- à l’île de Bolama et à une demi-lieue de terre dénommée colonie du rio Grande de Buba sur le fleuve du même nom ;
- « aux simulacres de souveraineté » exercés en commun avec les chefs africains, à savoir Bolor sur les rives du rio Grande, Bolama, le village de Santa Cruz de Buba ouvert au fond de la rivière en 1876.
- aux points abandonnés de San Belchior, Xima, Fa et Corubal.
Voici ce qu’était la Guinée en 1878 et ses composantes étaient restées les mêmes en 1886.
Pourtant, cette Guinée si petite et si morcelée faillit perdre une place importante au plan stratégique et du fait des potentialités qu’elle pourrait offrir dans les domaines de l’agriculture, de la pêche de l’exploitation du bois et même du commerce parce qu’elle attirait les peul et les manding de l’intérieur qui venaient y vendre différents produits de leurs pays respectifs et acheter ce que les navires européens apportaient. Boulam ou Bolama était cette place que des anglais tentèrent de coloniser et que des Américains destinèrent à l’implantation des noirs affranchis. Entre 1791 et 1870, la Questao de Bolama ou la Question de Bolama fut au cœur des relations luso-britanniques et impliqua les Etats Unis d’une part, parce que des sociétés américaines projetaient d’y installer des noirs affranchis, et d’autre part, parce que la solution de la question allait venir du président Ulysse Grant.
La Question de Bolama ou la Questo de Bolama
Pendant 79 ans, elle fut au cœur des relations anglo-portugaises, mais entre 1818 et 1834, des Américains furent tentés de faire de l’île de Bolama une terre de colonisation. Cinq périodes peuvent être distinguées dans l’évolution de cette question qui fût résolue par le président des Etats Unis d’Amérique, Ulysse Grant.
Le début de la question de Bolama. Mai 1791- Novembre 1793
L’initiateur de la création de la colonie britannique de Bolama fut Henri Dalrymple qui avait servi dans la garnison anglaise de Gorée en 1790. Quand il retourna à Londres il suscita l’installation d’une colonie à Bolama parce que l’île s’y prêtait bien d’après les renseignements qui lui parvenaient de la côte de Guinée. En novembre 1791, des investisseurs et des candidats à la colonisation constituèrent une société pour la réalisation du projet et affrétèrent en avril 1792 deux navires qui arrivèrent en mai à Bolama avec 275 personnes à bord.
Les Anglais qui n’avaient pas l’autorisation du Portugal furent ainsi attaqués par les autochtones. Cependant ils s’installèrent difficilement malgré leurs cadeaux, la corruption à laquelle ils se livraient et les achats de terrains qu’ils effectuaient. Finalement, les maladies et les difficultés quotidiennes réduisirent considérablement leur nombre. Ils ne furent plus que dix quand le 19 novembre, le chef de l’expédition, le lieutenant Beaver abandonna l’entreprise. Celui-ci et cinq colons s’embarquèrent pour la Sierra Leone, les cinq autres regagnèrent l’Angleterre.
La nouvelle tentative de recolonisation de Bolama : 1794-1816.
A peine deux ans après l’échec de Dalrymple et de Beaver, des hommes d’affaires anglais remirent à jour le projet de colonisation de Bolama. Celui-ci échoua du fait des tensions nées en Europe à la suite de la Révolution française qui avait ralenti les relations commerciales entre le vieux monde et l’Afrique. En 1814, de nouveaux colons arrivèrent à Bolama et installèrent une maison de commerce que le gouverneur de la Sierra Léone voulut faire protéger par un détachement de soldats. Le gouvernement britannique s’opposa à l’envoi des soldats et les colons anglais furent expulsés de l’île par les Bissagos en 1816. Après le départ de colons, le gouvernement britannique s’orienta vers une action de colonisation de la Sierra Léone, sans cependant renoncer à Bolama.
A suivre
Pr Amadou Fadel KANE
Géographe, auteur d’une thèse d’Etat sur les questions de frontalières en Afrique de l’ouest
source: http://www.sudonline.sn/la-frontiere-senegalo-bissau-guineenne-guineenne-celebre-ses-cent-trente-ans_a_30079.html