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APPEL URGENT - Mauritanie - Détention arbitraire et torture de défenseurs des droits de l'homme

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Mauritanie

M.  Michel Forst

Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme

Haut Commissariat aux droits de l’homme

Office des Nations Unies à Genève

8-14 Avenue de la Paix

1211 Genève 10

 

EMAIL : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser., Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser., Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser., Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

Copie à :       Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et conséquences ; Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Genève, le 21 juillet 2016

 

 

 

 

APPEL URGENT

 

Concerne :    Mauritanie – Arrestations, détentions arbitraires et torture de défenseurs des droits de l’homme

Réf. Alk :          2016-148 ; 2016-149 ; 2016-150 ; 2016/155 ; 2016/156 ; 2016/157 ; 2016/158 ; 2016/159 ; 2016/160 ; 2016/161 ; 2016/162 ; 2016/166 ; 2016/167

 

Monsieur le Rapporteur spécial,

Nous avons l’honneur de porter à votre attention la présente communication relative au cas de MM. Amadou Tidjane Diop, Balla Touré, Hamady Lehbouss, Ahmed Amarvall, Khattry M’Bareck, Mohamed Daty, Jemal Beylil, Ousmane Anne, Ousmane Lô, Abdallahi Matallah Seck, Moussa Biram, Abdallahi Abou Diop et Mohamed Jaroullah, militants au sein de l’ONG « Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste » (IRA), organisation de lutte contre l’esclavage fondée en 2008.

Nous nous référons à :

  1. M. Amadou Tidjane Diop, né le 16 février 1969, arrêté le 30 juin 2016 ;
  2. M. Abdallahi Matallah Seck, né le 31 août 1971, et résidant à Nouakchott, arrêté le 30 juin 2016 ;
  3. M. Moussa Biram, né en 1967, arrêté le 1er juillet 2016 ;
  4. M. Jemal Samba Beylil, né en 1982, résidant à Nouakchott, arrêté le 30 juin 2016 ;
  5. M. Balla Touré, né le 18 avril 1970, résidant à Nouakchott, arrêté le 1er juillet 2016 ;
  6. M. Khatri Rahel M’Bareck, né en 1983, arrêté le 3 juillet 2016 ;
  7. M. Hamady Lehbouss, né en 1964, résidant à Arafat, arrêté le 3 juillet 2016;
  8. M. Ahmed Hamdy Amarvall, né en 1966, résidant à Arafat, arrêté le 3 juillet 2016 ;
  9. M. Mohamed Daty, né en 1980, arrêté le 8 juillet 2016 ;
  10. M. Ousmane Anne, né le 6 août 1980, arrêté le 8 juillet 2016 ;
  11. M. Ousmane Lô, né en 1963, arrêté le 8 juillet 2016 ;
  12. M. Abdallahi Abou Diop, né en 1986, résidant à Nouakchott, arrêté le 9 juillet 2016 ;
  13. M. Mohamed Jaroullah, né le 12 janvier 1973, arrêté le 3 juillet 2016 ;

De plus, nous avons reçu des informations crédibles selon lesquelles 40 autres personnes membres de la communauté haratine[1] ont été  interpellées dans le cadre de la même vague d’arrestations. Il apparait que ces personnes n’ont pas été en mesure de contacter un avocat et nous n’avons de la sorte pas pu connaître leurs noms et leur situation actuelle.  

Contexte général

Malgré la promulgation en 2007 d’une loi criminalisant l’esclavage, celui-ci a continué d’être pratiqué dans le pays, et une certaine impunité subsiste[2]. C’est dans ce contexte que l’IRA est devenue l’une des organisations principales dans la lutte pour une abolition effective de l’esclavage en Mauritanie.

Ces dernières années, l’IRA a été victime de représailles de la part des autorités mauritaniennes qui ont constamment refusé d’accorder une accréditation à l’organisation et ont procédé à la poursuite et à l’arrestation de plusieurs de ses membres dans le passé y compris M. Dah Biram, président et fondateur de l’ONG le 11 novembre 2014[3]. Alkarama avait alors soumis son cas à l’attention du Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme afin d’enjoindre aux autorités mauritaniennes de mettre un terme à cette détention. Il fut libéré le 19 mai 2016[4].

Arrestations

Entre le 30 juin et le 9 juillet 2016, les membres de l’IRA ont fait l’objet d’une vague d’arrestations suite à des rassemblements en soutien aux habitants de la gazra Bouamatou – un quartier très défavorisé de Nouakchott – le 29 juin 2016 lors de l’expulsion de centaines d’habitants de ce quartier. Des altercations entre des personnes venues soutenir les familles expulsées et les forces de sécurité avaient alors éclaté, et les forces de sécurité avaient procédé à des dizaines d’arrestation.

Dès le lendemain, des policiers en civil procédaient à des arrestations de membres de l’IRA, au motif qu’elles les soupçonnaient d’avoir participé à ces débordements, en l’absence d’éléments à charge ; ces personnes affirment ne pas s’être rendus à ce rassemblement, dont ils ignoraient même l’existence. Le 30 juin 2016 au matin, MM. Amadou Tidjane Diop, vice-président de l’IRA, et Abdallahi Matallah Seck, coordinateur de la section de l’IRA à Sebkha, étaient arrêtés chez eux.

Le vendredi 1er juillet au matin, M. Balla Touré, secrétaire aux relations extérieures de l’IRA, était arrêté à son domicile ; le même jour, M. Jemal Beylil, militant, était violemment arrêté dans sa boutique de la commune du Ksar, devant ses collègues, et M. Moussa Biram, militant également, était arrêté à son domicile dans la soirée.

Le dimanche 3 juillet, MM. Hamady Lehbouss – conseiller du président de l’IRA, Ahmed Hamdy Amarvall – trésorier de l’IRA – et Mohamed Jaroullah étaient arrêtés à leur tour par des policiers en civil, lorsqu’ils revenaient d’une conférence de presse chez M. Dah Biram, et alors même que M. Jaroullah se trouvait hors du pays le 29 juin 2016 lors des émeutes, et n’était rentré que le 1er juillet à Nouakchott.  Le même jour, au matin, la police avait procédé à l’interpellation de M. Khatri Rahel M’Bareck, coordinateur du comité de la paix, devant la Banque mauritanienne pour le commerce international (BMCI), avenue Gamal Abdel Nasser, à Nouakchott.

Le 8 juillet 2016, M. Mohamed Daty, greffier, était arrêté à la sortie du tribunal et MM Ousmane Anne et Ousmane Lô étaient interpellés ensemble, de nuit, dans la rue. Enfin, le lendemain, M. Abdallahi Abou Diop était arrêté sur son lieu de travail, devant ses collègues, et frappé par les policiers procédant à l’interpellation.

Durant leurs gardes à vue respectives, les activistes ont rapporté à leurs avocats avoir été détenus dans des conditions indignes, séparément, dans des lieux inconnus de leurs familles et de leurs avocats et sans pouvoir communiquer avec ceux-ci. Ils ont par ailleurs fait l’objet de divers transferts d’un lieu de détention inconnu vers un autre, les yeux bandés.

Interrogés la nuit, privés de sommeil et d’accès à des sanitaires et à des douches, ils n’ont pas eu la possibilité de consulter un médecin. M. Amadou Abou Diop qui souffre d’une pathologie cardiaque grave n’a pas pu suivre son traitement durant la garde à vue. Lorsqu’il a finalement été emmené à l’hôpital, il s’est vu prescrire des analyses qui n’ont toujours pas été réalisées.

MM. Abdallahi Mataala Seck, Balla Touré et Moussa Biram ont subi des actes de torture physique durant la période de garde à vue. Afin qu’ils avouent la planification et la participation aux affrontements du 29 juin 2016, MM Abdallahi Matallah Seck, Moussa Biram et Abdallahi Abou Diop devaient rester mains et pieds attachés dans le dos, dans des positions douloureuses, durant plusieurs heures consécutives, ou attachés et suspendus par des cordes ; les agents conduisant les interrogatoires serraient les menottes au maximum, si bien qu’à l’issue de la garde à vue, ces trois détenus présentaient des lésions aux mains et aux poignets. M. Moussa Biram présentait également des traces de coups sur les pieds et les mains.

Lors des interrogatoires, M. Abadou Tidjane Diop a été entièrement déshabillé, insulté et menacé de mort s’il n’avouait pas sa participation aux affrontements contre la police. Au cours des rares repas qui lui ont été servis, sa nourriture était mélangée à du sable, et les agents refusaient de lui donner de l’eau.

Les demandes d’expertises formulées par leurs avocats ont néanmoins été rejetées par le procureur, alors même que les sévices auraient été infligés selon les victimes, par des commissaires de police, un officier de la Direction de la sûreté de l’Etat et des brigadiers du commissariat.

Les familles des victimes ont tenté d’obtenir des informations sur les raisons de leurs arrestations et sur leurs lieux de détention mais se sont heurtées à des refus systématiques de la part des autorités et ont été informées qu’elles subiraient des représailles si elles s’entretenaient avec des organisations non-gouvernementales ou des medias étrangers. De même, des membres du Mécanisme national de prévention de la torture (MNP) institué par la loi 034/2015 sont entrés en contact avec la Direction régionale de la sûreté de Nouakchott Ouest et le commissariat de police Ksar I, afin de procéder à des visites des lieux de détention, conformément à leur mandat ; ils ont ensuite saisi par écrit le Procureur de Nouakchott Ouest. Les autorités n’ont donné aucune suite à leurs requêtes.

 

Etat actuel de la procédure

Après avoir été détenus au secret pendant des périodes allant de deux à 12 jours, les 13 victimes et dix des autres personnes arrêtées suite aux altercations du 29 juin ont été présentées au Procureur dans la nuit du lundi 11 au mardi 12 juillet 2016, aux alentours de 4h du matin. A cette occasion, elles ont pu s’entretenir avec leurs avocats respectifs pour la première fois depuis leur arrestation.

Le parquet a décidé d’ouvrir une enquête de flagrance, alors qu’aucun des prévenus n’était présent lors du rassemblement litigieux. Les 13 activistes sont à présent détenus à titre préventif à la maison d’arrêt de Dar-Naïm et devraient être jugés le 3 août des chefs d’attroupement armé (art. 101 à 105 du Code pénal), de violences à l’égard d’agents de la force publique (art. 213 et 214 du Code pénal), de rébellion (art. 191 du Code pénal) et d’appartenance à une organisation non enregistrée, l’IRA.

Les 13 militants de l’IRA et sept autres détenus partagent actuellement une même cellule au sein de la maison d’arrêt de Dar Naim. Depuis les interpellations, les familles n’ont pu leur rendre visite qu’une seule fois, à l’issue de leur garde à vue.

Requêtes

S’agissant en tout état de cause d’une situation relevant de votre mandat, et conformément à la Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies n° 53/144 du 9 décembre 1998 et à la Résolution 2000/61 de la Commission des droits de l’homme, nous avons l’honneur de vous demander, Monsieur le Rapporteur Spécial, de bien vouloir intervenir d’urgence auprès des autorités mauritaniennes.

L’arrestation et l’actuelle détention de MM. Amadou Tidjane Diop, Balla Touré, Hamady Lehbouss, Ahmed Amarvall, Khattry M’Bareck, Mohamed Daty, Jemal Bleyile, Ousmane Anne, Ousmane Lô, Abdallahi Matallah Seck, Moussa Biram et Mohamed Zarouhoullah ont pour but de les empêcher d’exercer leurs activités de défense des droits de l’homme et s’inscrivent dans une campagne générale d’entrave et de répression des autorités mauritaniennes à l’égard des militants antiesclavagistes. Elles contreviennent par voie de conséquence à la responsabilité et au devoir de l’Etat de protéger, promouvoir et rendre effectifs tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales[5].

Dès lors que les faits donnant lieu aux poursuites ne sont étayés par aucun élément matériel, et que ces activistes sont arbitrairement détenus et ont subi des actes de torture pour des activités tombant sous leur droit à la liberté d’association, prévu à l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, nous vous demandons d’exhorter les autorités mauritaniennes à abandonner les poursuites et à les libérer immédiatement.

Nous vous demandons également de rappeler aux autorités mauritaniennes leurs obligations de cesser tout acte de persécution à l’encontre des militants qui appellent au respect des libertés civiles et politiques dans le pays, et d’apporter des clarifications sur le sort des quarante autres personnes arrêtées suite aux mêmes évènements.

Nous avons donc l’honneur de vous soumettre le présent cas qui relève de votre mandat et vous prions, Monsieur le Rapporteur spécial, de croire à notre haute considération.

 

Me Rachid Mesli,

Directeur juridique

 

 



[1] Les Haratines, ou « Maures noirs », sont les principales victimes de la pratique de l’esclavage en Mauritanie. Historiquement réduits en esclavage par les Maures blancs (arabo-berbères), ils avaient été progressivement affranchis suite à une loi de 1905, mais ont continué d’être victimes de discrimination, de marginalisation et d’exclusion car ils étaient toujours perçus comme appartenant à la caste servile.

[2] Conseil des droits de l’homme, 15e session, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences, Mme Gulnara Shahinian – Mission en Mauritanie, 24 août 2010, A/HRC/15/20/Add.2, §11.

[3] Comment on Mauritania by Rupert Colville, Spokesperson for the UN High Commissioner for Human Rights, http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=16341&LangID=E (consulté le 21 juillet 2016).

[4] Alkarama, Mauritanie : Libération des militants antiesclavagistes Biram Ould Abeid et Brahim Ould

Bilal Ramdane, 20 mai 2016, http://fr.alkarama.org/component/k2/item/2020-mauritanie-liberation-des-militant- antiesclavagistes-biram-ould-dah-abeid-et-brahim-ould-bilal-ramdane (consulté le 21 juillet 2016)

http://fr.alkarama.org/component/k2/item/2020-mauritanie-liberation-des-militant-antiesclavagistes-biram-ould-dah-abeid-et-brahim-ould-bilal-ramdane?Itemidhttp://fr.alkarama.org/component/k2/item/2020-mauritanie-liberation-des-militant-antiesclavagistes-biram-ould-dah-abeid-et-brahim-ould-bilal-ramdane?Itemid= (consulté le 21 juillet 2016).

[5] Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et de protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, A/RES/53/144, 8 mars 1999, articles 1, 2, 5 et 6.

 

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