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Mamadou Mouth Bane est journaliste, Directeur de publication du quotidien «DakarTimes», spécialiste en sécurité, criminalité et lutte contre le terrorisme. Il est aussi l’auteur du livre «Crimes organisés dans le Sahel : l’utilisation du numérique et politiques de prévention», édité par l’Harmattan et sera bientôt mis sur le marché. Dans ce qui suit, il donne son avis sur l’information livrée par le site «01net.com » disant que «la DGSE a livré des ordinateurs vérolés au Sénégal ». Entretien…
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Le site 01net.com a révélé que la DGSE française a offert du matériel informatique vérolé au Sénégal en 2002. Équipement qui aurait permis aux services secrets français d'espionner le Sénégal depuis 2004. Pour vous l'information est-elle fiable ?
Lorsque j’ai lu sur le site «01net.com, que la DGSE a livré des ordinateurs vérolés au Sénégal j’ai souri. Ce n’est pas parce que l’information n’est pas fiable. Elle peut l’être comme elle peut ne pas l’être. Mais c’est sa caducité qui m’a poussé à sourire si on sait les relations étroites qui existent entre la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE), la Direction Générale de la Sécurité Intérieure ( DGSI) de la France et l’Etat du Sénégal. Je tiens à préciser que les pays partenaires du Sénégal nous offrent souvent des dons. Combien de fois la France, les Usa ont offert des dons en nature à notre pays. Mais, les agents des services de renseignement sont très prudents. Ils n’utilisent pas n’importe quel outil informatique dans leur travail professionnel. Cela fait partie de leur formation en tant qu’agent de renseignement. Tous les outils utilisés dans le service doivent être contrôlé et certifié d’abord pour éviter des incursions malveillantes.
Le renseignement technique est le haut lieu de l’espionnage. Même les clés USB peuvent contenir des agents malveillants. À mon avis, la DGSE française n’a pas besoin d’offrir des ordinateurs pour espionner le Sénégal. Ceux qui le disent ignorent que la DGSE a un «Point focal » à la Délégation Nationale du Renseignement (DNR) du Sénégal dirigée par l’Amiral Diene Faye. Ce «Point focal » est un agent de renseignement qui représente la France dans notre dispositif. Les français sont aussi au Rondon et ils collaborent avec les services du Ministère de l’Intérieur. Ont-ils besoin alors de nous espionner ? Je ne pense pas. Les Français, les Américains, les Russes et Israéliens connaissent tout de nous et de nos dirigeants. Ils peuvent maintenant mettre en place un dispositif technique pour savoir ce que le Sénégal entretient comme relation avec leur rival. C’est-à-dire que les français aimeraient savoir ce que Macky Sall fait avec les américains, les russes et les israéliens. Les américains aussi veulent savoir ce que le président Sall fait avec les autres. Mais la France et les Usa ont des méthodes plus sophistiquées qu’offrir des ordinateurs pour avoir des informations sur nous. Je vous dis que les communications du Président Macky Sall sont écoutées. Et devinez par qui ? Je ne le dirai jamais.
L’ancien patron de la DGSE Alain Juillet, français, disait que «tous les chefs d’Etat africains sont placés sous écoute de même que les entreprises africaines». L’espionnage économique et industriel est devenu l’arme de l’intelligence économique.
Les services de sécurité sénégalais ont-ils été très naïfs sur ce coup, si l'information est avérée, en se laissant offrir un matériel informatique dans un contexte d'espionnage électronique ?
La DGSE française peut offrir des ordinateurs vérolés à l’Etat du Sénégal, mais rien ne dit que ces outils ont été utilisés dans le système. On peut accepter un cadeau sans l’utiliser. Et je sais que nos services de renseignement sont assez vigilants pour ne pas commettre certaines erreurs. En général, des services de renseignement n’utilisent pas les cadeaux offerts par des collègues ou des partenaires. Ce sont des pratiques élémentaires. Je me rappelle, un ancien patron de la cellule de lutte anti terroriste du Sénégal me disait : «les ordinateurs que nos amis du Fbi m’offrent je les donne à mes enfants ». Dans le monde d’aujourd’hui, le renseignement technique a trop évolué avec les nouvelles technologies. Je me rappelle les USA avaient envoyé au Moyen Orient des millions d’ordinateurs clonés pour lutter contre le terrorisme. C’était des machines conditionnés avec des logiciels qui permettaient aux services de renseignement américains d’avoir des informations sur l’utilisateur. Ils avaient envoyé ces ordinateurs en Irak, Iran, Egypte, Arabie Saoudite, Yémen, Palestine etc… Au-delà des ordinateurs, il y a aussi des Clefs USB espions capables de détruire un système informatique ou de capter des informations. Donc mêmes nous les journalistes, nous devons éviter d’utiliser n’importe quel outil informatique surtout lorsqu’on n’a pas confiance au généreux donateur.
Quelles pourraient être les conséquences d'une telle imprudence ?
Si les français veulent espionner l’État du Sénégal, nous n’avons pas les moyens de l’éviter. Pour la simple raison que la France a pris en contrôle tout notre écosystème informatique. Récemment, «DakarTimes » a révélé que la Direction Générale de la Sécurité extérieure (DGSE) et la Direction Générale de la Sécurité Intérieure de la France sont venus en aide à leurs alliés sénégalais dans le cadre de la sécurité et du renseignement. Les services sénégalais n’étaient pas assez outillés et c’est ainsi que les autorités françaises ont décidé de participer au développement des moyens techniques d’interception du Sénégal. La première étape de ce partenariat est passée d’abord par la formation des agents du Ministère de l’Intérieur sous Abdoulaye Daouda Diallo et sous Aly Ngouille Ndiaye. Par la suite, il était prévu la construction d’un Centre d’interception à Dakar. L’équipement de ce centre est confié à la société électronicienne Thalès spécialisée dans le domaine numérique et électronique aussi bien pour les pays que pour les entreprises. Allez faire des recherches pour connaître les références de Thalès. Ce projet était géré par la DGSE française. En outre, la DGSI avait envoyé des experts auprès du Ministère sénégalais de l’Intérieur pour s’occuper de la formation de la police sénégalaise. Il faut signaler le rôle important qu’aurait joué l’ambassadeur français Christophe Bigot qui fut aussi à la DGSE. Ce projet est très important pour la sécurité nationale face aux menaces terroristes, mais aussi dans un cadre global de lutte contre la criminalité transfrontalière. À ce projet s’ajoute l’école de cybersécurité qui sera ouverte au Sénégal et qui s’ouvrir à tous les pays du G5 Sahel. Vous avez compris alors pourquoi j’avais souri quand j’ai entendu parler d’ordinateurs offerts au Sénégal. Vous parlez d’ordinateur, on vous installe une école…
Vu que l'information provient d'Intellipedia lié au monde du renseignement américain n'est-on pas en train d’assister à la prolongation de l'adversité entre services de renseignement occidentaux en Afrique ?
J’ai parlé tout à l’heure de l’école de cybersécurité. Vous savez avec cette école de cybersécurité qui sera équipée de machines high-tech, les français vont, à partir de Dakar, créer une intégration numérique dans le Système informatique de nos États. Et cela, sous le manteau de la coopération. Et avec France Télécoms et la Sonatel, la France a accès à toutes les portes d’entrée d’internet sur notre territoire national. Ni l’ADIE, ni l’Artp ne peuvent déjouer une incursion des services français dans notre système. Ils en assurent le tutorat.
Vous pensez que les russes ou les américains vont accepter que les français ouvrent leur école de cybersécurité au Sénégal sans répondre ? Ces pays savent qu'une telle école peut être une base de cyber-espionnage. Cette école sera une délocalisation de l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI) de la France et des services de renseignement techniques de la France. Sur ce plan, les français anticipent sur des projets russes de ce genre en Afrique, surtout au Sénégal. Parce qu’il y a une grande école informatique basée à Dakar dont on soupçonne qu'elle est financée par les russes. Donc pour revenir à votre question, il ne s’agit pas d’imprudence, mais le problème c’est que nous n’avons pas les moyens d’assurer notre propre sécurité numérique face à des puissances mondiales comme la France, la Russie et les Usa. Pour cela, nous sommes obligés d’accepter leur soutien dans ce domaine avec tous les risques.
La presse française a dit que l’Afrique est surveillée. D’ailleurs ce n’est même plus un secret. La presse occidentale a révélé l’existence du « Big Brother’s de la surveillance globale », mis en place par des pays de l’Otan pour espionner des Chefs d’Etat et des personnalités politiques africaines avec ces équipements de pointe. Il existe «un centre d’écoute sous le contrôle de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) situé au niveau de la station d’atterrissage de Penmarc’h en Bretagne, région de France » révèle la presse française dans une enquête de «L’Obs » reprise par bfmtv.com. Ces confrères ont ajouté que «des spécialistes y interceptent les communications électroniques transitant notamment par le câble sous-marin ACE (Africa Coast to Europe). Cas typique de la mutualisation des équipements en Afrique, cette infrastructure de transmission a la particularité de connecter tous les pays de la côte occidentale africaine à l’Europe». Le journal français «L’Obs» a indiqué «que la collecte des données s’effectue au niveau de la station d’atterrissage d’Orange, l’opérateur français de télécommunications leader en Afrique». Au su de tout cela, vous pensez que la DGSE a besoin d’offrir des ordinateurs pour espionner ? Alors que de l’extérieur, ils peuvent faire des incursions dans notre système.
Écoutez, nous sommes un pays pauvre et l’espionnage numérique c’est aussi une question de moyen financier. Aux Usa, des concours de hackers sont organisés dans les grandes universités et ce sont les meilleurs qui sont recrutés par l’Agence Nationale de Sécurité (NSA) des Usa. Alors qu’au Sénégal, nous connaissons souvent des failles dans notre système de cryptage des communications des services de l’État. Ce débat pose alors la problématique de la sécurité des Systèmes informatiques de l’État. Je vous remercie…