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Dans cet entretien, le fondateur d’Africajom Center par ailleurs directeur d’Amnesty International en Afrique de l’Ouest analyse la victoire du Président Macky Sall au premier tour, lors du scrutin du 24 février dernier. Alioune Tine revient aussi sur les chantiers attendus du Président Sall mais aussi sur la percée du président du Pastef, Ousmane Sonko, candidat malheureux à la présidentielle. Comment analysez-vous la victoire de Macky Sall, dès le premier tour ?
Plusieurs facteurs expliquent la victoire de Macky Sall au premier tour. D’abord, sa forte motivation politique de gagner cette élection au premier tour était pratiquement une obsession politique pour lui comme pour beaucoup de présidents africains qui, au cours de leurs premiers mandats, rêvent d’un coup K.O. En 2007, c’était le cas du Président Abdoulaye Wade dont il a bien retenu la leçon en tant que Premier ministre et Directeur de campagne. Ensuite, il a pensé de façon très méthodique sa stratégie et il s’est donné les moyens juridiques, politiques, institutionnels et financiers de la mettre en œuvre sans état d’âme. Sur le plan juridique, avec une Assemblée nationale acquise, il a modifié le Code électoral et fait adopter la loi sur le parrainage. Il a pu neutraliser par la Justice deux adversaires redoutables, l’ancien ministre d’Etat Karim Wade et l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall. Enfin, il a affiché de façon spectaculaire son bilan sur les infrastructures et sur les mesures sociales. La démocratie sénégalaise, les libertés fondamentales et les droits de l’homme en ont ressenti les contrecoups. Pour cela, faut-il cependant le considérer comme un génie politique ? Il n’a pas également lésiné sur les moyens pour attirer vers lui les transhumants dotés d’une clientèle politique, sans compter d’autres segments de la société dont les plus influents sont les marabouts, les imams et les évêques. Notez enfin une campagne à l’américaine.
Quels sont les chantiers attendus de Macky Sall sur le plan démocratique, de la justice, de la gestion transparente ?
C’est la réforme des institutions qui est une urgence depuis l’élaboration du Pacte Républicain en 2006, les Assises nationales en 2009 et la CNRI en 2012. Car, les aspirations profondes des Sénégalais pour des changements effectifs s’étaient exprimées de façon claire et massive contre la réforme institutionnelle autorisant un troisième mandat pour le président Wade. Il est évident que tout le monde attendait du président de la République des réformes structurelles qui seraient une véritable rupture par rapport au système politique institué par Senghor depuis 1963. Nul mieux que Macky Sall aujourd’hui, dans le cadre de son deuxième et dernier mandat, n’est mieux placé pour mettre en œuvre des réformes capables de moderniser et de faire évoluer de façon sensible la démocratie et les institutions de la République, pour le Sénégal, mais également pour le continent et la planète en quête d’un deuxième souffle démocratique. Réformer d’abord l’institution présidentielle avec l’hyper-présidentialisme macrocéphale et anthropophage qui bouffe et assujettit toutes les institutions. Il est donc absolument nécessaire d’encadrer les pouvoirs exorbitants du président de la République et de mettre un terme à l’Etat-Parti avec un président de la République, chef d’Etat et chef de parti. Il faut également que le président de la République avec ses pouvoirs, soit responsable sur le plan politique et pénal comme c’est le cas dans les grandes démocraties. Réformer ensuite la Justice avec le respect scrupuleux de l’indépendance et du principe de l’inamovibilité des juges du siège, mettre fin à la participation de l’Exécutif au sein du Conseil supérieur de la magistrature, émanciper le Procureur de la République des fourches caudines du Garde de Sceaux, ministre de la Justice, supprimer le Conseil constitutionnel qui ne répond plus à sa fonction et, à la place, créer une Cour constitutionnelle. Depuis le 23 Juin 2011, les Sénégalais ont rendu obsolète le type de Parlement et d’institutions que nous avons encore aujourd’hui avec des Parlementaires qui ne sont pas au service du peuple et de l’intérêt général mais, au service exclusif du président de la République. Il faut consacrer un mode de désignation des députés qui favorise le lien et la redevabilité entre le député et les citoyens, garantir une meilleure représentation des jeunes, des femmes et des personnes vivant avec un handicap. Renforcer l’indépendance et l’efficacité des Autorités administratives Indépendantes, recruter leurs principaux responsables par appel à candidatures et les déconnecter totalement de l’autorité présidentielle. Procéder à la rationalisation des partis politiques et promouvoir l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité au cœur de la politique. II faut aussi mettre la question de l’accès à l’information et la transparence et la redevabilité de la gestion de deniers publics dans tous les domaines de la vie politique, économique, sociale et institutionnelle. Mais fondamentalement, replacer le citoyen sénégalais au cœur des préoccupations de la gouvernance, du développement durable, de l’Etat de droit, de la démocratie et des droits humains. Ce qu’il faut faire, c’est un grand débat post-électoral.
Qu’est-ce qui expliquerait la percée d’Ousmane Sonko?
A mon avis, il y a deux choses qui expliquent la percée d’Ousmane Sonko. La première, Ousmane Sonko incarne symboliquement la représentation que la jeunesse se fait du «héros», du «guerrier» de par sa jeunesse, son courage politique et les valeurs qu’il défend, d’intégrité morale et de foi en Dieu, mais aussi en tant que victime d’attaques ciblées et répétées qui ont abouti à sa radiation de la Fonction publique qui, loin de le desservir, a suscité au contraire beaucoup de sympathie auprès de l’opinion publique sénégalaise. La deuxième, c’est la construction continue et progressive de son image par le réajustement de son discours, la diversité de son équipe de gestion formée de gens venant de tous les horizons et de tous bords. Mais le plus déterminant, c’est le soutien passionné de la jeunesse sénégalaise et de la diaspora. Il faut aussi ajouter à cela, la production intellectuelle (Sonko Solutions), ses critiques souvent pointues sur le pétrole, la corruption mais aussi les ripostes des militants et des hiérarques du pouvoir qui ont fini par en faire « l’ennemi politique n°1 ».