Coura Sèye, petite fille de Me Babacar Sèye se prononce : « Que ce soit Wade ou quelqu'un d'autre, aucun de ceux qui ont tué mon grand père ne sera tranquille »

Dakaractu : Le régime actuel est décidé à en découdre avec l'ancien Président de la République. Certains tenants du pouvoir entendent exhumer le fameux dossier de feu Me Sèye. Et comme vous avez certainement suivi l'actualité, ils ont pris la résolution de faire abroger la "loi Ezzan". Comment appréciez-vous cela?

Coura Sèye : Je salue cette exhumation du dossier au même titre que les autres membres de la famille. Nous avons le droit de savoir dans quelles circonstances notre défunt parent a été assassiné. Il est impérieux que le procès soit révisé, parce qu'au delà de la famille, l'opinion nationale comme internationale a le droit de savoir pourquoi et comment il a été tué. Moi, personnellement j'ai hâte d'être enfin édifiée sur le mobile de ce crime odieux.

Dakaractu : Faisons un retour dans le passé, je veux dire revenons sur les péripéties du meurtre de celui qui a été Vice Président du Conseil Constitutionnel. Qui vous a appris la mauvaise nouvelle de son assassinat?

Coura Sèye : (Ses yeux s'embuent de larmes, elle se tait un instant, étreinte par l'émotion, avant de s'exprimer dans un trémolo). J'étais sortie et c'est à mon retour à la maison que j'ai appris que Mame Babacar comme je le surnommais affectueusement... (Elle passe ses mains sur son visage pour encore pleurer)

Dakaractu : Comment avez vous vécu cette épreuve dans la famille? 

Coura Sèye : Cela a été pénible (elle se répète). Mais "sant Yallah!" Nous étions tous plongés dans un profond abattement, affligés... M'enfin (elle hausse les épaules). Mais, celle qui a été la plus affectée est certainement tante Yacine. Nous avons tous grandi sous la férule de feu Mame Babacar, mais elle était la plus proche de mon défunt grand père. Elle était comme son assistante. 

Dakaractu : Quelle image gardez-vous de votre regretté grand-père? Racontez-nous une anecdote qui reste vivace dans votre mémoire?

Coura Sèye : (Elle se tait un instant, comme pour se rappeler des souvenirs) L'homme était d'une simplicité désarmante. Discret je dirais plutôt secret; je peux dire que peu de monde connaissait ses habitudes, ses goûts ou ses hobbies. Il était calme et peu porté sur les mondanités. Je garde de lui l'image d'un homme humble, généreux, cultivé mais pieux comme pas possible. La dernière fois où je l'ai vu, je m'en rappelle comme si c'était hier; c'était le jour où ma tante Yacine avait mis au monde un de ses enfants...(Elle ne termine pas la phrase. Ses yeux étant encore humectés de larmes).

Dakaractu : Comment avez vous vécu les péripéties de la suite, je veux dire les condamnations de la bande à Clédor Sène, Pape Ibrahima Diakhaté, entre autres, qui ont été contre toute attente et à la surprise générale, graciés puis amnistiés par l'ancien Président Wade?

Coura Sèye : Je trouve le déroulement de la suite assez saugrenu, d'une bizarrerie déroutante. Je me pose encore des questions. Pourquoi cette "loi Ezzan"? Pourquoi amnistier de présumés coupables qui ont fait des aveux circonstanciés? Pourquoi des gens qui ont été identifiés puis arrêtés avant d'être condamnés à des peines de réclusion criminelle, ont été graciés par Wade aussitôt après son avènement au pouvoir? Pourquoi le régime Wade a t-il voulu effacer ce meurtre de la mémoire collective, car il s'agit de cela! Pourquoi, Pourquoi (elle se répète)...

Dakaractu : Dans l'ouvrage de notre confrère Abdou Latif Coulibaly qui a pour titre éponyme "Un meurtre sur commande", il est clairement écrit que "Me Wade est le commanditaire", aidé en cela par des seconds couteaux. Le partagez-vous?

Coura Sèye : Je ne peux ni confirmer ni infirmer, mais ce qui est constant, clair et net c'est que Wade a été arrêté, inculpé au même titre que d'autres pour atteinte à la sûreté de l’État et complicité d'assassinat. Ils ont par la suite été libérés avant d'être lavés à grande eau. Mais, il reste évident comme parlait le regretté Mame Abdou Aziz Sy, je cite : "que ce soit Wade ou d'autres, tous ceux qui ont été impliqués de près ou de loin dans ce meurtre, ne seront jamais tranquilles. Et leur fin dans ce bas monde sera aussi atroce que la manière dont ils ont abrégé la vie de mon grand père. 

Dakaractu : Il est malséant dans notre pays, particulièrement dans ces circonstances, de parler argent, mais il paraît que votre famille a été indemnisée par l'ancien Président Wade à hauteur de 600 millions CFA. D'ailleurs, notre confrère jadis journaliste d'investigation devenu ministre (NDLR: Latif Coulibaly), en a fait cas dans son fameux ouvrage relatif à ce meurtre de Me Sèye...

Coura Sèye : (elle coupe net) Peut être que d'autres membres de ma famille ont perçu une indemnité. En tout cas, je n'ai perçu aucun kopeck de cette indemnisation à laquelle vous faites allusion. Je ne vais quand même pas attendre plus de vingt ans après, pour m’intéresser à l'argent ou à une indemnisation. N'est-ce d'ailleurs pas que la commission d'instruction parlementaire mise sur pied à l'époque avait démenti cette faramineuse somme que vous avez avancée?  

Tout ce que nous réclamons c'est la révision de ce procès et que justice soit enfin faite! Ne serait-ce que pour la mémoire de l'illustre disparu. Je demande à ceux qui ont commis ce crime odieux de méditer sur cette vérité d'un grand penseur, William Shakespeare : "Qui masque ses fautes se voit, en fin de compte, démasqué par sa conscience."

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