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COLLOQUE ORGANISE PAR L’UNION DES MAGISTRATS SENEGALAIS (UMS)
Les 28 et 29 décembre 2017
Au King Fahd Palace
Thème : L’indépendance de la Justice au Sénégal
Etat des lieux et perspectives de réformesSous-thème : Le principe d’inamovibilité
Comment passer de la fiction à la réalité ?
La société sénégalaise, depuis plusieurs décennies, connait, à juste titre, un sempiternel débat remettant en cause, malgré les différents changements de régime politique, l’indépendance du pouvoir judiciaire. Ainsi, malgré les garanties constitutionnelles, une frange de plus en plus nombreuse doute de cette indépendance à cause d’une réelle inféodation quasi-endémique de la justice au pouvoir politique.
Par conséquent la question de l’indépendance du secteur de la Justice au Sénégal constitue, à n’en point douter, une question centrale du jeu démocratique et des perspectives républicaines. Ce qui exige de nous d’engager une profonde réflexion dans ce domaine. Au-delà de nos modestes personnes, celle-ci devrait impliquer tous les acteurs du secteur, mais également le peuple sénégalais, dans toutes ses composantes.
La situation fortement confuse qui secoue la Justice de notre pays découle, essentiellement, des incursions intempestives, dans le secteur, de tous les pouvoirs politique qui se sont succédé, à des intensités et degrés divers. Le pouvoir politique a toujours manifesté une défiance viscérale vis-à-vis du principe constitutionnel d’indépendance du pouvoir judiciaire.
Pourtant, celle-ci est posée, dès notre Ière République, en principe par la Constitution. En effet, l’article 59 de la Constitution du 26 août 1960 précisait déjà au lendemain de l’indépendance du Sénégal et ceci dans le cadre d’un régime parlementaire que « la justice est une autorité indépendante de l’exécutif et du législatif ». La constitution de 1963 qui est un héritage de la Constitution française de la Vème République a reposé le même principe. Elle a cependant dépassé la France dans ce domaine. En effet là ou la France parle d’autorité judiciaire, le constituant sénégalais opte déjà, à cette période, pour un pouvoir judiciaire indépendant. Les dispositions de l’article 80 de la Constitution du 17 mars 1963 stipulent que « le pouvoir judiciaire, indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire est exercé par la Cour suprême et les cours et tribunaux.
Les juges ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité de la loi ;
Les magistrats du siége sont inamovibles. Ils sont nommés après avis du Conseil supérieur de la Magistrature ».
Ces principes sont présents dans les différentes rédactions de la Constitution du Sénégal. C’est ainsi que l’article 88 de la Constitution indique que « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est exercé par le Conseil constitutionnel, la Cour suprême, la Cour des Comptes et les Cours et tribunaux ».
Dans ce domaine, il est généralement admis que les garanties essentielles de l’indépendance de la magistrature sont constituées par :
- le principe de l’inamovibilité ;
- l’existence d’un Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Le principe de l’inamovibilité constitue le point focal de notre analyse. Nous essayerons d’en examiner le sens d’une part, et d’autre part les voies et moyens pour passer de la fiction à la réalité.
- LE CONTENU DU PRINCIPE ET LES VIOLATIONS CONSTATEES :
Le principe de l’inamovibilité est une règle constitutionnelle. Il est posé par le troisième alinéa de l’article 90 de la Constitution. Cependant le principe ne concerne que les magistrats du siège. En effet, selon les dispositions du troisième alinéa précité, « les magistrats du siège sont inamovibles ». Par conséquent, ce principe ne concerne pas les magistrats du parquet.
Quel est le contenu théorique de ce principe ?
L’article 6 de la loi n°2017-10 du 17 janvier 2017 en apporte la réponse. Ses dispositions indiquent que « les magistrats du siège sont inamovibles.
En dehors des sanctions disciplinaires du premier degré, ils ne peuvent recevoir une affectation nouvelle, même par voie d’avancement, sans leur consentement préalable ».
Malgré la clarté de la rédaction de cet article, le principe de l’inamovibilité subit le plus de pressions et est sujet aux violations les plus fréquentes et les plus flagrantes.
C’est ainsi que divers stratagèmes sont utilisés par l’Exécutif pour noyer ce principe. Ce qui a fini de le transformer en fiction aux interminables. En effet, pour contourner la règle de l’inamovibilité, l’autorité politique utilise deux procédés :
- l’intérim ;
- la nécessité de service.
Entre ces deux c’est l’intérim qui viole le plus les dispositions de la Constitution et de la loi. Il peut être utilisé dans plusieurs cas. Mais le plus fréquent est la nomination d’un magistrat à un poste dont il n’a pas l’ancienneté ou le grade requis. Aujourd’hui, près de la moitié des magistrats sont à des postes où ils sont intérimaires. Ce qui les fragilise car les mettant dans une position où ils ne sauraient faire prévaloir la protection du principe de l’inamovibilité. En effet, l’intérim fait perdre le droit à l’inamovibilité. Ainsi, il est fréquent de voir un magistrat du siège exercer un intérim à Dakar ou Thiès alors qu’il est titulaire à Kédougou, Matam ou Kolda. C’est cela qui justifie la littérature scabreuse utilisée par le communiqué des réunions du Conseil supérieur de la magistrature : « est nommé… avec maintien à son poste actuel »
De la même façon, l’autorité politique utilise, à volonté, les nécessités de service pour passer outre l’inamovibilité des magistrats du siège.
La nécessité de service est pourtant bien encadrée par le statut des magistrats. Les dispositions du troisième alinéa de l’article 6 dudit statut sont très claires. Selon celles-ci « toutefois, lorsque les nécessités du service l’exigent, les magistrats du siège peuvent être provisoirement déplacés par l’autorité de nomination, après avis conforme et motivé du Conseil supérieur de la Magistrature spécifiant lesdites nécessités de service ainsi que la durée du déplacement.
Cette durée ne peut en aucun cas excéder trois ans ».
Donc, la nécessité de service ne peut être invoquée qu’avec un avis conforme et motivé du CSM. En plus, une telle affectation ne peut, en aucun cas, durer plus de 3 ans.
Ainsi, comme on le voit, la pratique de l’inamovibilité démontre à suffisance qu’il s’agit, sous nos cieux, d’une véritable fiction. Ce qui nous emmène à nous interroger sur les nécessaires passerelles pouvant nous permettre de passer de cette fiction à la réalité.
- COMMENT PASSER DE LA FICTION A LA REALITE
Sur cette question de l’inamovibilité, les magistrats devront être plus conséquents. Ils devront, également, être plus vigilants. En effet, ils devront, individuellement et, aussi, à travers l’Union des magistrats sénégalais (UMS), se mobiliser sur le plan juridique pour le strict respect du principe de l’inamovibilité. Dans ce domaine aucune concession, la plus petite qu’elle soit, ne donnée être donnée au pouvoir exécutif. En tout état de cause, les affectations en qualité d’intérimaires ou par nécessité de service telles qu’elles sont mises en œuvre actuellement doivent cesser. C’est simplement inacceptable. Pour cela, en cas de besoin, les magistrats victimes de ces violations constitutionnelles et statutaires devront faire des recours en annulation devant la chambre administrative de la Cour suprême. Ils devront même soulever dans ces cas l’exception d’inconstitutionnalité afin d’emmener le Conseil constitutionnel à statuer sur la question. Pour cela, ils doivent mettre à profit les nouvelles dispositions du statut des magistrats adopté en 2017. En effet, concernant les nécessités de service, l’article 6 de la loi organique n°2017-10 du 17 janvier 2017 portant statut des magistrats indiquent que « … Toutefois lorsque les nécessités de service l’exigent, les magistrats du siège peuvent être provisoirement déplacés par l’autorité de nomination, après avis conforme et motivé du conseil supérieur de la Magistrature (souligné par nous) spécifiant lesdites nécessités de service ainsi que la durée du déplacement.
Cette durée ne peut en aucun cas excéder (souligné par nous) trois ans ».
Pour ce qui concerne l’intérim, le statut des magistrats n’en définit que deux cas :
- 1er cas : selon l’article 3 du statut des magistrats « les magistrats de la Cour suprême, des cours d’appel et les chefs des juridictions hors classe ou de première classe sont nommés parmi les magistrats hors hiérarchie les plus anciens et, en cas de nécessité parmi les magistrats du premier grade en qualité d’intérimaire ».
Pour ce cas il s’agit de procéder au reprofilage des emplois afin que les anciennetés et grades requis soient redéfinis afin de les faire correspondre à la réalité du contexte actuel. En tout état de cause les bénéficiaires de ces postes, du fait de la nécessité qui l’impose, doivent en être des titulaires et non des intérimaires. Il faudrait une réforme dans ce cas précis afin que l’avis du CSM soit, comme pour la nécessité de service, un avis conforme et motivé.
- 2ème cas : l’article 91 du statut des magistrats est très précis : « Si le nombre de magistrats disponibles dans la juridiction ne permet pas de combler toutes les vacances d’emplois, le service peut être assuré par un intérimaire choisi parmi les magistrats des cours et tribunaux selon qu’ils soient du siège ou du parquet, par le Premier Président ou le Procureur général de la Cour d’Appel du ressort de ladite juridiction.
L’intérim ne saurait dépasser une période de six mois (souligné par nous) ».
Par rapport à ces questions, il est temps que les collègues rompent avec une vision carriériste et bassement opportuniste de leur fonction. Aucun magistrat n’a le droit de troquer le bénéfice du droit à l’inamovibilité pour des postes à Dakar ou environ. En effet, accepter une telle situation c’est épouser la facilité et la précarité.
En droite ligne de notre serment, chaque magistrat devra s’ériger en vaillante sentinelle de l’indépendance du pouvoir judiciaire et du principe de l’inamovibilité.
Aujourd’hui, les magistrats devront, devront sur ces questions, renforcer leur mobilisation afin que les affectations par intérim ou par nécessités de service soient exceptionnelles et ne sauraient constituer une porte ouverte à d’éventuelles violations du principe de l’inamovibilité.
Au-delà de ces considérations, il serait nécessaire de trouver, même si on ne pourrait parler d’inamovibilité à l’égard des magistrats du parquet, des garanties statutaires devant encadrer les affectations de cette catégorie de magistrats. En effet, il ne servirait à rien d’avoir un juge inamovible s’il a en face de lui un procureur pouvant être affecté et réaffecté au gré des humeurs du Garde des sceaux. Sans indépendance du parquet, on ne saurait parler d’indépendance de la magistrature.
Last but not the least, il faudrait une nouvelle configuration du CSM. Ceci est une nécessité urgente et absolue car le Conseil supérieur de la Magistrature (CSM) est passé, par de sournoises manœuvres de l’Exécutif, d’organe de garantie de l’indépendance du pouvoir judiciaire en un temple de servitudes et de clientélisme de mauvais aloi. Dans un système de respect des droits des magistrats, du principe d’inamovibilité, il serait nécessaire d’avoir un CSM de type nouveau avec les deux caractéristiques suivantes :
- le CSM ne devrait compter que deux membres de droit : le Premier Président de la Cour suprême et le Procureur général, près ladite Cour ;
- les magistrats élus devront en être majoritaires avec neuf représentants (trois du 1ergrade, trois du 2ème grade et trois de la hors hiérarchie) ;
- trois personnalités qualifiées choisies au niveau du barreau, de la société civile et des professeurs de droit.
Ces innovations ne peuvent voir le jour que s’il y a une forte mobilisation des magistrats sur la base de la cohésion et de l’unité la plus large possible.
Je vous remercie de votre aimable attention.
Aliou NIANE
Conseiller référendaire
à la Cour des Comptes
source:https://www.leral.net/Aliou-Niane-Le-Conseil-superieur-de-la-Magistrature-est-devenu-un-temple-de-servitudes-et-de-clientelisme-de-mauvais_a217681.html