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Quand le foot jongle la misère

Sports

L’OBS – Une Coupe du Monde au Brésil, ce n’est pas forcément au stade et à la plage. Malgré la contestation, certaines favelas vivent au rythme du Mondial. A Chapeu Mangueira par exemple. Seulement, la durée d’un match de foot est très courte pour faire oublier la misère. L’Obs est allé à la découverte de ce bidonville, autrefois rythmé par les crépitements des balles entre bandes rivales, mais qui tente aujourd’hui de se refaire difficilement une autre image.

 

Derrière des hôtels luxueux avec vue sur la mer, une ruelle d’un mètre s’ouvre entre deux grands et luxueux bâtiments. Elle s’étend sur 200 mètres de profondeur. Puis des escaliers, 110 marches, sur une pente raide. Des jeunes filles aux visages hermétiques et des hommes aux pas pressés les arpentent sans difficultés dans le sens contraire du ruissellement des eaux usées. Du haut de la colline des habitations en ruine, des maisons en briques. Bienvenu à la favela Chapeu Mangueira. Elle surplombe le quartier de Lemé à l’extrémité Est du district de Copacabana. Juste à l’entrée, un homme perché sur un long tabouret pose une dernière couche de peinture sur une partie de la façade de sa maison, l’autre est tapissée du drapeau brésilien. Sous ses pieds, du matériel éparpillé. Sa bâtisse fend la ruelle en deux. Judith Pinheiro, femme de ménage dans un des hôtels de la plage, bifurque à gauche et serpente un fatras de rues pour se rendre au bar «Do Davido». L’odeur de l’urine mêlée à l’alcool agresse les narines, mais ne dérange pas outre mesures de vieilles femmes autour d’une table en train de trinquer. Une langue étrange, des voix audibles. D’un autre côté, un chien monte la garde. Les branchements sauvages par-dessus la tête. Et des enfants qui s’entassent dans une chambrette au-devant de laquelle, deux jeunes filles discutent. Sous les crépitements des flashes, elles perdent leurs nerfs, balancent des insanités en gesticulant et s’éclipsent. La scène arrache un sourire aux garçons au pied du mur. Lara Monsores, journaliste brésilienne à «Estaddao », décrypte le message. «C’est parce que les médias ne cessent d’envoyer des messages négatifs sur les favelas.» Plus loin sur la montagne, une vue imprenable sur les paysages côtiers et le statut du Christ Rédempteur. L’image ressemble à un panorama de carte postale : la végétation, les rochers et les reliefs qui vont à la rencontre du ciel. Cette beauté irréelle côtoie des difficultés réelles. Au Brésil depuis le 04 juin pour suivre le Mondial, Raouf, supporteur algérien, plonge son nez dans l’odeur des favelas. «C’est dégueulasse. Les poubelles s’entassent partout. Il n’y a pas d’eau. On a vu la misère de très près : des enfants qui marchent pieds nus, des femmes avec des enfants dans la favela, les toits pas terminés. C’est hallucinant et triste. Ça fait mal. Ça fait aussi bizarre quand on voit le côté opposé.» De belles plages, des quartiers luxueux (Ipanama, Leblon,…), des stades de rêve et une ambiance de carnaval. La marchandise est vendable. Mais derrière le masque, on découvre le visage hideux du Brésil. Une pauvreté extrême. Ici, les gens n’ont que leur sourire à offrir. Et leur chaleur humaine.

 

 

Au rythme de la samba

A Chapeu Mangueira, le mouvement de contestation anti-mondial fond comme beurre au soleil. Le temps d’un match (Brésil-Mexique 0-0), la Favela vit au rythme de la samba. Une explosion de pétards accompagne la sortie des joueurs du Brésil. La rue se vide petit-à-petit, une bonne partie se retrouve sur une terrasse juchée sur la colline. Au tour du barbecue, de la bière, on regarde le match sur écran géant dans une ambiance chaleureuse. Papys et mamys aux petits soins traitent les visiteurs comme des rois. Soudain deux vieilles dames s’éjectent de leurs chaises. Les pieds joints, elles reculent le pied droit et balancent la hanche gauche, puis reculent le pied gauche et balancent la hanche droite. Le bassin relâché, elles amplifient le mouvement des jambes avec les fesses en gardant le buste droit pour bouger les épaules et les bras en rythme. C’est la samba. Le vacarme est indescriptible. Le berceau de la contestation vit au rythme du Mondial. La Favela soigne son image. Une des 33 favelas du Sud qui souillaient la vitrine que le Brésil présente au Monde entier, Chapeu Mangueira, jadis théâtre d’affrontement entre bandes rivales (de Babylone), fait partie des premières pacifiées. C’était en 2009.

Les forces de l’ordre ont pris le contrôle des trafiquants et continuent d’occuper les rues, la main sur la gâchette. L’éradication de la violence est salutaire, mais a créé d’autres problèmes : la fin de la gratuité de l’électricité, par exemple. Voir un facteur, sac en bandoulière, en train de distribuer des factures était impensable. C’est devenu une réalité maintenant dans les favelas peuplées de familles à faible revenue. L’impôt y est obligatoire. En contrepartie, l’Etat apporte, petit à petit, les structures nécessaires : unité de secours, programmes sociaux et des écoles. De leur côté, les 18 000 habitants essaient, malgré les problèmes sociaux et la misère, d’opérer des mutations, de s’ouvrir. Marc, un Français qui travaille au Brésil depuis deux ans, raconte son expérience : «J’y suis allé jouer au foot. C’était un tournoi organisé par quelqu’un de la favela. Ils ont fait venir les gens de l’extérieur. C’était une bonne opportunité de voir ce que sont les favelas. C’est une ville dans une ville. Les gens sont supers sympas. Malheureusement, ils n’ont pas les infrastructures qu’ils ont envie d’avoir. Ce n’est pas facile.» Comme Marc, Lara, journaliste de profession née et grandie au Brésil, découvre une favela. «A cause du trafic de drogue et de la violence, je n’y suis jamais allée. C’est une première, parce que Chapeu Mangueira est pacifiée. Je viens pour manger. Il n’y a pas d’argent, la vie est difficile, mais les gens sont sympas. C’est vraiment la culture brésilienne.»

Un petit paquet de cocaïne à 2 000 FCfa

Dominique est venu du Nord d’Évian, en France, pour suivre le Mondial au Brésil. Comme beaucoup de touristes, il a eu la curiosité d’aller dans une favela. «Depuis 1996, nous sommes une dizaine à faire les Coupes d’Europe et les Coupes du Monde. C’est un plaisir pour nous d’être au Brésil. C’est par l’intermédiaire d’un ami qu’on a pu pénétrer dans la favela. Je ne sais pas si l’on aurait eu le courage de venir ici par rapport à tous les reportages qu’on a pu voir. On était un peu craintifs. Mais en aucun moment nous avons ressenti un danger quelconque.» A côté du Français, Admilton Do Santos, 54 ans, se vante d’être le petit-fils de la première personne à venir s’installer à Chapeu Mangueira, en 1915. Mido, comme on l’appelle, est un guide touristique reconnu par le ministère du Tourisme. Il croit connaître le quartier dans ses moindres recoins. Pour lui, les problèmes demeurent toujours dans les favelas, mais sous une autre forme. Le commerce de la drogue continue à se faire, malgré la présence policière. La drogue vient de la Bolivie et l’herbe du Paraguay. Un petit paquet de cocaïne coûte 10 real (2 000 FCfa). Un grand paquet, 30 euros (près de 20 000 FCfa). Ça ne finit jamais. Car certains policiers qui pacifient les favelas sont dans le système. Donc, les choses n’ont fait que changer de main. Ils pacifient et prennent le contrôle des gangs. Les armes ne sont plus visibles, mais circulent encore dans les favelas. L’éducation n’est pas bonne et les prisons sont peuplées de Noirs.» Difficiles conditions de vie des favelas.

SALIOU GACKOU (ENVOYE SPECIAL AU BRESIL)

SOURCE:http://www.gfm.sn/quand-le-foot-jongle-la-misere/

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