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Au Sénégal, la mémoire vivante de l’Aéropostale

 

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Chaque respiration assèche un peu plus la gorge. Sur le tarmac de l’aéroport de Nouakchott, où s’est posé l’avion dans lequel Le Monde Afrique a embarqué sur les traces des pionniers de l’Aéropostale, il fait 43°C. Après avoir fait le plein de carburant, le DR-400 roule pour se rapprocher de la piste et s’élever enfin dans les airs.


« Autorisation de décollage refusée, annonce la tour de contrôle. Revenez à votre point de stationnement. » Tous les avions du raid Latécoère-Aéropostale doivent refaire un plan de vol de Nouakchott à Dakar. L’opération prend plusieurs dizaines de minutes, mais on ne badine pas avec une procédure aérienne, même dans une fournaise. Des équipages se rafraîchissent au bureau d’Air France, où l’accueil est convivial. « C’est un plaisir de rencontrer des pilotes qui ont traversé une partie de la France [depuis Toulouse], puis l’Espagne et le Maroc, pour venir jusqu’en Mauritanie, se félicite Mariem Soumaré Wane, adjointe du chef d’escale, en tendant quelques verres d’eau. Nous partageons tous la passion de l’aviation. »

Présentation de notre série Dans le sillage de l’Aéropostale

Une heure plus tard, le soleil cogne toujours mais les plans de vol sont déposés. Le DR-400 s’élève au-dessus de la capitale mauritanienne avec le moteur en surchauffe, proche de la zone rouge des 110°C. Ronan Goujon vole au-dessus de l’océan pour le refroidir, mais cela n’a pas d’effet immédiat. Le pilote réduit alors doucement les gaz, tout en continuant de gagner de l’altitude pour chercher de la fraîcheur : piloter est une affaire de précision. A 8 500 pieds (environ 3 000 m), l’avion atteint enfin son niveau de croisière. Le moteur est moins sollicité et, au contact de l’air devenu plus frais (la température baisse de 6,5°C tous les 1 000 mètres), se refroidit. Sur le tableau de bord, l’aiguille retourne sagement dans la zone verte.

« Des arbres grands comme des églises »
Au sud de Nouakchott, la côte est quasiment désertique jusqu’au fleuve Sénégal, qui délimite la frontière sud de la Mauritanie. C’est une immense plage longue de près de 300 km. « Le Sahara de sable jaune mort sur une mer bleue comme un trottoir interminable », écrit Antoine de Saint-Exupéry dans Courrier sud. Une heure environ après avoir quitté les environs de Nouakchott, l’avion survole le delta du fleuve Sénégal, reconnu par l’Unesco comme une réserve de biosphère.

Survol des environs de Dakar lors du raid Latécoère-Aéropostale, en octobre 2018.
Bienvenue au pays de la teranga (« hospitalité », en wolof). La côte est maintenant parsemée de centaines de villas posées sur la plage. Après la petite ville côtière de Kayar, le DR-400 survole l’agglomération de Dakar et le lac Rose, reconnaissable à ses monticules de sel qui scintillent dans la lumière de cette fin d’après-midi. Après un large détour pour ne pas survoler la capitale sénégalaise, il contourne le monument de la Renaissance africaine, une statue monumentale de 52 mètres dont la maîtrise d’ouvrage a été réalisée par la Corée du Nord. Dans une chaleur moite, il se pose ensuite sur l’aéroport Leopold-Sedar-Senghor, fermé officiellement en décembre 2017 mais ouvert pour l’occasion.

Episode 6 Des tribus maures au Polisario, vol au-dessus du Sahara insoumis

Le raid Latécoère a permis à des centaines d’enfants de s’échanger des lettres tout au long du parcours, mais pas seulement. « Comme il y a un siècle, l’avion reste le moyen le plus sûr et le plus rapide pour transmettre du courrier », se félicite Matteo Maillard, correspondant du Monde Afrique à Dakar, en saisissant une enveloppe arrivée à la rédaction parisienne fin septembre et transmise dans la soirée en mains propres. A l’intérieur, un document important : une carte de presse.

Dakar est une ville festive. Comme les autres pilotes de l’époque, Saint-Exupéry s’y amusait mais l’écrivain préférait le silence du désert et l’hospitalité des Maures, deux sources d’inspiration pour ses œuvres. Dans la journée, il se promenait sur la pointe des Almadies, où une partie des équipages du raid savoure quelques cocktails en soirée, sur l’île de Ngor et dans le sud de la ville. C’est là qu’il se découvrit une passion pour les baobabs, ces arbres déracinés par un dieu féroce puis replantés à l’envers, les racines pointées vers le ciel. « Je fis remarquer au petit prince que les baobabs ne sont pas des arbustes, mais des arbres grands comme des églises, écrit-il. Et que, si même il emportait avec lui tout un troupeau d’éléphants, ce troupeau ne viendrait pas à bout d’un seul baobab. »

« Avons coupé moteur arrière droit »
En 1930, Jean Mermoz réalise pour la première fois la liaison Toulouse-Natal, au Brésil, en transportant 130 kilos de lettres. Après l’Afrique, la ligne s’étend alors au delà de l’Atlantique et du Pot-au-noir, cette zone de convergence intertropicale marquée en permanence par des nuages menaçants pour les pilotes. Vient ensuite la dangereuse traversée de la cordillère des Andes où, en juin 1930, après avoir marché dans la neige pendant cinq jours et quatre nuits à la suite d’un accident, Henri Guillaumet confie à son ami Antoine de Saint-Exupéry : « Ce que j’ai fait je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait. »

Dakar, pour Jean Mermoz, c’est le dernier vol, la dernière escale de sa vie. Celui que tout le monde surnomme « l’archange » compte déjà une vingtaine de traversées de l’Atlantique lorsqu’il s’envole dans le ciel dakarois, le 7 décembre 1936, à bord de l’avion La Croix du sud. Après un ennui sur une hélice, il retourne à l’hydrobase de Dakar puis en redécolle. Quelques heures plus tard, alors que l’hydravion survole l’Atlantique, un message, entré dans l’histoire de l’aviation, est capté : « Avons coupé moteur arrière droit. » Ce sera le dernier. Malgré d’intenses recherches, on ne retrouvera aucune trace de l’appareil ni de son équipage.

Episode 7 Théodore Monod et Saint-Exupéry, ces âmes qui planent sur la Mauritanie

Dakar marque la limite sud du raid Latécoère, la fin du voyage aller pour les 50 avions. Après une nuit de repos, il faut ensuite faire demi-tour et revenir en Europe avec des escales différentes. La première est Saint-Louis, à l’embouchure du fleuve Sénégal. Après un vol d’environ 30 minutes, le Beechcraft d’Hervé Berardi, président du raid Latécoère, atterrit sur la piste mythique de l’ancienne capitale de l’Afrique occidentale française. Le sable des rues de cette ville coloniale semble avoir conservé les empreintes des pionniers de l’Aéropostale. Un superbe hôtel porte le nom de Jean Mermoz, à proximité de la plage de l’hydrobase d’où le pilote s’est élancé pour sa première traversée de l’Atlantique sud. Plus loin, c’est un boulevard qui lui rend hommage.

Mais s’il est un lieu incontournable pour tous les passionnés, c’est l’Hôtel de la Poste. Cet établissement est entièrement dédié à ceux qui livraient le courrier entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. Les murs sont couverts d’affiches vantant les qualités de la ligne Aéropostale, de lettres d’époques, d’ordres de mission et, évidemment, de clichés montrant Saint-Exupéry, Marcel Reine ou Jean Mermoz, qui dormait toujours dans la chambre 219 lors de ses escales ici, la seule située dans un angle d’où il pouvait surveiller la Poste et les arches du pont Faidherbe qui enjambe toujours le fleuve Sénégal.

La chambre de Jean Mermoz à l’Hôtel de la Poste, à Saint-Louis, au Sénégal.
« Ma grand-mère a vu tous ces pilotes et les a même servis à table, raconte Yannick Philip, dont la famille est propriétaire du fameux hôtel depuis quatre générations. Pour le centenaire de l’ouverture de la ligne, nous avons décidé d’attribuer le nom de trois chambres à trois héros de l’Aéropostale [Edmond Lassalle, Henri Rozès et Elisée Negrin] afin d’honorer leur mémoire. Ils ont été les grands serviteurs d’une histoire qui a permis de rapprocher les hommes. »

La direction du raid souhaite aujourd’hui inscrire la ligne Aéropostale au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco. Parce qu’un siècle plus tard, la mémoire des pionniers continue d’être transmise à travers des événemenents, des symboles et des actions de sensibilisation auprès des enfants. C’est le prix à payer pour que la vie de ces héros ne tombe pas dans l’oubli. « Le patrimoine culturel ne s’arrête pas aux monuments et aux collections d’objets, peut-on lire sur le site de l’Unesco. Il comprend également les traditions ou les expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants. » Un jour dans le désert, un renard l’a dit au Petit Prince : « L’essentiel est invisible pour les yeux. »

source: https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/10/28/au-senegal-la-memoire-vivante-de-l-aeropostale_5375820_3212.html

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