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Élisabeth Moreno : La France doit mieux s’appuyer sur les diasporas
Dirigeante d’entreprise, ancienne ministre française de la Diversité et de l’égalité des chances, Élisabeth Moreno donne sa vision de l’avenir des diasporas et de l’Afrique. Elle juge que la France ne s’appuie pas assez sur ses ressources humaines.
Vous citez souvent le mot de Toni Morrison : « Si vous avez envie de lire un livre qui n’a pas été écrit, écrivez-le. » Quel est le chapitre que vous ajouteriez aujourd’hui ?
J’aime cette citation parce que, bien souvent, les personnes qui ont la vie que j’ai eue ont tendance à blâmer le monde entier. « Je ne suis pas né au bon endroit, je n’ai pas fait les bonnes études, je n’ai pas eu les bons parents, les bons voisins, les bons profs… » En vérité, il y a beaucoup de choses sur lesquelles on peut agir. On contrôle notre vie et ce qu’on a envie d’en faire.
Je fais partie de ces personnes qui n’étaient pas destinées à réussir. Je devais me prendre en main ou attendre que les choses se passent, au risque qu’elles ne se passent pas comme je le souhaitais. La meilleure manière de sortir des boîtes dans lesquelles on vous enferme est de créer votre propre histoire et de l’écrire. J’ai effectivement réussi là où personne ne m’attendait, dans le monde de l’entreprise, et j’ai eu la chance de créer ma propre entreprise très jeune. J’ai fait des études de droit parce que je voulais défendre la veuve et l’orphelin en devenant avocate. Parce que je n’avais pas de réseau et que je ne connaissais pas les codes de ce monde-là, je ne trouvais que des jobs qui m’intéressaient moyennement. Qu’à cela ne tienne, j’ai créé le job que je voulais avoir !
Il faut tout un pays pour pouvoir surmonter une crise comme celle-là. Il faut tous les talents de ce pays, les femmes et les jeunes sur qui ont dit tout et n’importe quoi. J’ai vu des jeunes inventer et être volontaires. Donnons-leur la place qu’ils demandent pour participer à construire ce monde dans lequel ils vont évoluer.
J’aime le monde de l’entreprise, créer et construire, et je suis allée dans les grands groupes. L’intérêt général et collectif m’a toujours tenu à cœur, peut-être parce que je suis l’aînée d’une famille nombreuse. Quand on m’a appelée au gouvernement, il m’a paru évident de rendre à ce pays ce qu’il m’avait donné.
Justement, quand on est ministre a-t-on vraiment les moyens de son action ? Devant les inerties, peut-on concrétiser ce qu’on a envie d’entreprendre ?
Oui. J’ai commencé ma carrière dans une toute petite entreprise de trois personnes dans le bâtiment et j’ai ensuite travaillé pour les plus grands groupes technologiques du monde sur quatre continents. J’ai eu de petites équipes et de très grosses équipes. Mais jamais, dans une entreprise, je n’ai eu l’opportunité de servir 67 millions de personnes ou de travailler sur des projets de loi sur des dispositifs qui permettent de sauver la vie des gens.
Quand j’étais ministre en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’égalité des chances, je savais que chaque action mise en œuvre pouvait potentiellement impacter la vie de millions de femmes. Quand, avec Marie-Pierre Rixain, nous avons fait voter la loi sur l’émancipation économique des femmes, je savais que des femmes pourraient avoir accès à des jobs, à un salaire, à une crèche. Je n’aurais pas pu faire cela dans le monde de l’entreprise.
En mettant en place l’index diversité et inclusion, je savais que des personnes issues des minorités pourraient éviter d’être discriminées du fait de leur origine sociale et culturelle, de leur handicap, de leur religion ou de leur nom. C’est important car, avec la politique, vous pouvez donner le ton et la direction que va prendre un sujet.
Cependant, tout n’est pas parfait dans le monde politique et les ministres n’ont pas tous les pouvoirs. Mais ce n’est pas très différent de ce que j’ai vu dans le monde de l’entreprise. Ce n’est pas parce que vous êtes CEO et que vous donnez le ton que tout le monde va se mettre au garde-à-vous et exécuter. Vous devez expliquer pourquoi, trouver des alliances, prendre le temps de la pédagogie. Or cela prend beaucoup plus de temps en politique.
Dans le monde de l’entreprise, une fois que vous avez convaincu les partenaires sociaux et vos collaborateurs, la machine se met en route. En politique, c’est beaucoup plus long ! Et d’autant plus compliqué en période courte. J’ai eu la frustration de mettre en place des choses dont je n’ai pas vu le résultat mais j’ai aussi la satisfaction de les avoir lancées. Un jour, peut-être, je dirai à mes enfants que grâce à l’index diversité et inclusion, on recrute les gens pour leur talent et leur compétence et pas pour leur couleur de peau ou leur religion.
Vous êtes issue de la diversité comme 10% à 18% des Français. C’est une richesse considérable mais souvent ignorée et, parfois, marginalisée. Comment expliquez-vous ce décalage énorme ?
Un certain nombre de personnes refusent de regarder la France telle qu’elle est. Elles ne la regardent que comme elles voudraient qu’elle soit en négligeant le fait que ce pays s’est construit sur la diversité. Les Bretons et les Corses ont été forcés de devenir Français. Bien sûr, quand on est Breton, on ressemble davantage à un Parisien que quand on s’appelle Elisabeth Moreno ou Hichem Ben Yaïche. Et alors ?
Je suis issue de la cinquième génération d’immigrés d’Afrique subsaharienne et je défie quiconque de me dire que je ne suis pas française. Je ne suis pas une Française de papier mais une Française, point à la ligne. Que des personnes nous refusent cette part d’identité est malhonnête et dangereux. Opposer les Français les uns aux autres à un moment où ils ont dramatiquement besoin de solidarité pour se sortir des difficultés auxquelles ils sont confrontés, c’est irréaliste. Les politiques qui le font sont irresponsables, comme les médias qui alimentent ces discours.
La France est un pays divers. La diversité est sa richesse. Tous ceux qui ont travaillé un jour dans une entreprise savent que la créativité, l’innovation et la performance viennent de la diversité des profils qui y sont. Imaginez une entreprise dans laquelle vous n’auriez que des directeurs financiers, commerciaux, marketing ou des ressources humaines. Ce serait absurde. Là où il n’y a que des personnes qui pensent et agissent de la même manière, c’est mortel. La diversité est une richesse pour une entreprise comme pour un pays.
Comment voyez-vous la diplomatie française en Afrique où l’on voit toute la difficulté du pays à intégrer une histoire qui semble lui échapper ?
Je suis extrêmement triste et inquiète de la manière dont certains individus, sur le continent africain, attisent les haines contre la France. Je suis inquiète de voir la colère qui se développe dans certains groupuscules. Je sais que c’est une minorité bien souvent manipulée par des pays qui veulent affaiblir la France. Mais je sais aussi que l’histoire entre la France et les pays africains est une grande histoire avec des pages sombres et des pages lumineuses.
Au-delà de la grande histoire, il y a les petites histoires. Celles des familles qui ont émigré en France il y a très longtemps, des enfants qui sont nés de ces histoires, qui vivent ici ou sur le continent. Il y a cette double culture que nous avons développée.
La force d’un pays, c’est aussi la force de ses alliances. Compte tenu de notre histoire commune et même si elle est parfois douloureuse, le président de la République y travaille avec beaucoup de cœur et a déjà visité quatre pays africains depuis le début de son quinquennat. Cela donne une idée précise de sa volonté d’apaiser les relations et de travailler ensemble. Mais la nature a horreur du vide et il faut aussi reconnaître que la France, au cours de ces dernières décennies, s’est désengagée. La politique de coopération a baissé et même s’il est connu que des structures comme l’Agence française de développement sont extrêmement présentes sur le continent en portant des projets publics et privés, le soft power français recule.
Il faut reconnaître que nous ne pratiquons plus de la diplomatie en 2022 comme nous le faisions en 1960. De nombreuses choses sont à reconstruire. Au-delà de la diplomatie politique, il faut construire une diplomatie économique et culturelle. Partir sur un partenariat gagnant-gagnant, casser les histoires du passé et se dire que le continent et la France ont autant à s’apporter l’un qu’à l’autre. Il faut refonder ces relations, écrire une nouvelle page de cette histoire qui nous lie, sinon nous y perdrons tous.
Vous soulignez la force, en France, d’une communauté diasporique qui représente un bien immatériel considérable. Cette dimension n’est pas suffisamment comprise. Comment l’expliquez-vous ?
Cette diaspora réussit et fait rayonner la France et l’Afrique. Les diasporas ont toujours été dans un ventre mou qui fait que le pays d’origine ne les voit qu’au moment des élections ou au moment où ils doivent envoyer des fonds pour aider les familles. La France, elle, ne les voit quasiment pas. J’ai été choquée par le témoignage donné sur France Inter de l’écrivain Xavier Le Clerc qui expliquait s’appeler en réalité Hamid Aït Taleb et qu’il a, lorsqu’il a changé de nom, commencé à recevoir plein d’offres d’emploi.
Lorsque j’étais au gouvernement, j’ai vu des études très sérieuses qui montrent que, quand vous avez un nom d’origine étrangère, vous avez beaucoup plus de difficultés à trouver un emploi que quand vous avez un nom à consonance française. Nous devons regarder la France dans sa totalité et les diasporas : maghrébine, d’Afrique subsaharienne, indienne, chinoise… Toutes contribuent au quotidien au rayonnement de la France. Elles ont cette force extraordinaire de savoir s’adapter à toutes les situations du fait de leur histoire. Elles parlent souvent plusieurs langues et ont eu une histoire compliquée qui les a forcées à sortir de leur zone de confort pour apprendre des choses que d’autres n’apprendront pas.
Dans des moments aussi difficiles et complexes que ceux que nous vivons, nous avons besoin de nous réinventer, de trouver des solutions à des problématiques auxquelles nous n’avons jamais été confrontés. Nous devons absolument nous appuyer sur cette diaspora.
Comment expliquez-vous, dans le cas de la Grande-Bretagne, que plusieurs ministres soient issus de la diversité et que nous ayons du mal en France à faire de même ?
Vous avez raison. Je me suis souvent posé la question en sillonnant la France. Dans certaines villes, les parents me disaient qu’ils s’étaient saignés aux quatre veines pour que leur enfant fasse de bonnes études et que tous ses camarades avaient trouvé un emploi mais lui non. Ça me fait beaucoup de peine parce que j’ai vécu cette expérience. Comment se fait-il qu’un pays qui s’est construit sur des valeurs universalistes fortes se pose autant de questions métaphysiques sur sa diversité ? Comment se fait-il qu’un pays dont les valeurs sont républicaines ait autant étouffé la notion de fraternité ? Beaucoup ne croient pas ou ne croient plus à la valeur d’égalité.
Pourquoi un pays comme la Grande-Bretagne a-t-il plusieurs membres du gouvernement issus de la diversité alors qu’en France, durant mes deux années de présence au gouvernement, j’ai subi davantage d’attaques sexistes, misogynes et racistes que je n’en ai vécues en 45 ans. Le monde politique est censé construire l’avenir de ce pays. S’il ne commence pas à donner l’exemple, comment voulez-vous qu’on y arrive ?
Je veux bien croire que notre pays se radicalise et qu’avoir deux candidats d’extrême droite aux élections présidentielles en dit long sur la direction que notre pays est en train de prendre. Mais je veux croire aussi dans la volonté du président de la République de faire en sorte que l’égalité des chances soit réelle et concrète. Et ce n’est pas prendre à ceux qui ont pour donner à ceux qui n’ont pas. C’est capitaliser sur l’éducation qui est la base de tout.
Si vous donnez une bonne éducation à cette jeunesse, notre méritocratie et cet ascenseur social qui est totalement rouillé aujourd’hui, vont repartir. Dans les quartiers défavorisés, là où il y a le plus d’enseignants absents, où l’on nomme le plus d’enseignants jeunes donc inexpérimentés, où nous savons qu’il y a le plus de besoins, les jeunes de ces quartiers ont le plus de difficultés à trouver des stages. Ils peuvent perdre une année scolaire parce qu’ils ne trouvent pas d’alternance.
Sans mettre en place de quoi donner une chance à ces jeunes de réussir, de lutter contre l’autocensure et contre l’assignation à résidence, on n’y arrivera pas. Je me réjouis que le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, ait décidé de s’attaquer à cette question de l’égalité des chances dans son cœur pour faire en sorte que la promesse républicaine fonctionne. Il faut arrêter de nous cacher derrière nos valeurs universalistes en disant que tout fonctionne. Cela ne fonctionne pas.
Pour terminer sur une note optimiste, comment hiérarchiser les urgences de la France pour qu’elle ne perde pas sa place et son rayonnement et soit dans une construction pragmatique ?
Justement, ce monde en crise nous offre l’opportunité de le construire différemment. Il nous met au pied du mur d’un point de vue climatique, énergétique, et en termes d’inégalités sociales. Comment peut-on continuer à accepter que 90% des richesses soient entre les mains de 10% de la population ? Nous ne pouvons pas dire que 90% de la population n’est pas méritante et ne cherche pas à y arriver. Parfois, vous pouvez essayer de toutes vos forces mais le système fait qu’elles ne suffisent pas.
Dans le monde de l’entreprise, une fois que vous avez convaincu les partenaires sociaux et vos collaborateurs, la machine se met en route. En politique, c’est beaucoup plus long ! Et d’autant plus compliqué en période courte.
Il faut tout un pays pour pouvoir surmonter une crise comme celle-là. Il faut tous les talents de ce pays, les femmes et les jeunes sur qui ont dit tout et n’importe quoi. J’ai vu des jeunes inventer et être volontaires. Donnons-leur la place qu’ils demandent pour participer à construire ce monde dans lequel ils vont évoluer. Il y a aujourd’hui une explosion des inégalités sociales. Elles ont toujours existé mais en temps de crise elles prennent des proportions extraordinaires. Tout simplement, quand le prix de l’essence augmente, ceux qui ont moins de moyens souffrent plus que les autres. Dans la septième puissance économique mondiale, nous avons toutes les ressources humaines dans toute leur diversité, technologiques, scientifiques, d’innovation, industrielles, pour rendre la France plus forte. Pour peu que nous donnions à tous les Français et à toutes les Françaises la place qu’ils méritent sans qu’ils aient à la mendier.
@NAF
Par Hichem Ben Yaïche et Nicolas Bouchet