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Sénégal - Statut spécial pour Touba : la république minée par la foi.

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Aliou TALLEntre le marteau et l’enclume. Tel est la position de qui veut défendre l’intangibilité de la République tout en ménageant Touba et ses intérêts. Succomber à cette tentation mène à la démagogie et au populisme religieux. Face à celui qui refuse cette posture, les simples d’esprit crieront au scandale, les fanatiques à l’hérésie. Or, être féru de Touba et de sa confrérie ne devrait pas empêcher d’admettre l’indivisibilité de la souveraineté républicaine. Accorder un statut spécial à Touba, c’est non seulement violer gravement la constitution, mais pis, c’est poser le premier acte du dépeçage de notre pays.


L’Etat ne peut accorder un statut spécial à Touba sans anéantir progressivement la République.
La constitution sénégalaise précise clairement qu’il n'y a pas de privilège de lieu de naissance, de personne ou de famille au Sénégal. Qu’est ce qui justifierait alors un tel privilège pour Touba ?
Des personnes, plus royalistes que le roi, nous rebattent sans cessent que « Touba est un titre foncier », dans le but de justifier et consolider le régime de faveur accordé à Touba. Et maintenant on parle de Statut spécial. Et qui sait, demain, ce sera peut-être l’indépendance de Touba. Prudence !
Tout ce que le pouvoir colonial avait organisé ou toléré est caduc depuis que le peuple sénégalais a réclamé son indépendance pour former un Etat laïque, dans lequel aucune entité ethnique ou communauté religieuse ne peut se prévaloir d’un titre foncier ou d’une souveraineté sur une quelconque portion du territoire national. Quand bien même Touba aurait un titre foncier, même sur une superficie de 100 millions de mètres carrés, cela ne lui donne pas droit à un statut spécial au sein d’une république. Sinon, chaque propriétaire pourrait transformer sa maison ou son champ en république et y appliquer sa propre loi. Au surplus, aucune situation de fait, résultant d’un laxisme ou d’une complaisance étatique, ne peut justifier l’attribution d’un tél statut. Tout référendum sur cette question serait illégal, parce que la forme républicaine de notre Etat ne peut pas faire l’objet d’une consultation référendaire. La loi doit être la même pour tous les citoyens, qu’ils soient de Touba ou de Cap Skirring, qu’il soit musulman, catholique, animiste ou athée. L’attribution d’un statut spécial à Touba, pour lui accorder des prérogatives spécifiques, serait une violation des principes de l’intangibilité du territoire et de l'inaltérabilité de la souveraineté nationale.
Avec un statut particulier les habitants de Touba bénéficieraient d’un régime exorbitant du droit commun, justifié par la particularité religieuse de la ville. Or le droit fondamental applicable au Sénégal interdit toute discrimination entre les citoyens basée sur la religion Les catholiques du Sénégal, même s’ils sont minoritaires, doivent être respectés par la République. Si Touba bénéficiait d’un statut spécial, toutes les autres villes religieuses du Sénégal pourraient exiger la même faveur : Tivaouane, Ndiassane, Alwar, Cambérène, Popenguine, etc. La Casamance, qui vit une situation particulière depuis des décennies, ne serait-elle pas en droit d’exiger la même chose ? Et peut-être après, le Fouta ? Le Boundou ? Que resterait-t-il du Sénégal ?


La légalité d’une liste Touba pour les élections locales pose problème
Nous avions exprimé notre opposition à l’idée d’une parité numérique, lorsque le président Abdoulaye WADE et son parti en faisaient la promotion. Une telle parité mène à la médiocrité : on impose des femmes ou des hommes à cause de leur genre, et non de leur compétence. Le vrai combat est celui de l’élimination des discriminations contre les femmes lorsqu’elles ont les mêmes compétences que les hommes. Paradoxalement, le PDS, promoteur de cette parité ridicule, soutient la liste électorale non- paritaire de Touba. C’est à rêver debout !
La liste Touba ne devrait pas participer aux élections locales si elle s’identifie à une confrérie religieuse ou reste non- paritaire. Si malgré cela elle est en compétition, chacune des 2700 listes de candidats serait en droit d’agir en justice pour demander l’annulation des prochaines élections locales. Le Sénégal, qui se veut un Etat de droit dans lequel les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques, ne peut pas organiser une élection en violation flagrante de la constitution et du droit électoral. La République étant laïque et démocratique, et non théocratique, toute discrimination religieuse annihilera les élections locales.

Le déshonneur des politiciens aux bottes des chefs religieux par calcul politique.
Des politiciens, gênés aux entournures, sont abonnés à la position à genoux devant des chefs religieux pour troquer leur prosternation contre une bienveillance politique. Ils s’exhibent fièrement aux pieds des Khalifes généraux pour montrer à l’opinion qu’ils sont à leur dévotion ou qu’ils sont leurs coqueluches. Ils sont orfèvres en la matière. Il n’y a rien de mal à montrer son exaltation pour un marabout. Mais faudrait-il que cela ne soit pas qu’une duperie, uniquement orchestrée pour engranger des voix électorales ou obtenir une consigne de vote de la part du marabout faussement vénéré. Cette attitude des politiques est dangereuse pour la République. Conscients du poids électoral qu’ils peuvent constituer avec leurs disciples, des marabouts peuvent être tentés de monnayer leur largesse politique contre des prérogatives contraires au fonctionnement de l’Etat. Les politiques doivent avoir le courage de conquérir le pouvoir sans coup de pouce maraboutique. D’autant plus que l’effet des consignes de vote données par les marabouts est à relativiser. Abdoulaye WADE a eu la bénédiction de marabouts acquis à cause quand il voulait se faire réélire contre la volonté du peuple. Au bout du compte il a été honteusement éjecté du pouvoir par le peuple, qui a payé de son sang et a copieusement ignoré les ordres donnés par des marabouts. Politiques, ce n’est pas en flirtant sournoisement avec les saints que vous serez en odeur de sainteté.
Quand un responsable de parti politique dit que la volonté du marabout doit primer sur tout et que le Président de la République doit accorder un statut spécial à Touba, on peut penser que dans sa tête le Sénégal est une islamocratie. Il n’en est rien. C’est juste une recette machiavélique pour préparer la conquête du pouvoir.
La désastreuse situation géopolitique qui infecte l’Afrique devrait amener nos compatriotes à veiller à l’intérêt commun et la stabilité sociale de notre pays. Évitons de poser les germes de conflits futurs pour nos descendants. Arrêtons de papoter que le Sénégal est un pays béni par des Saints de l’Islam, qui ne peut pas connaître de conflits sociaux similaires à ceux qui sévissent dans l’Azawad au Mali, au Nigéria avec Boko Haram, ou plus récemment en Centrafrique où Seleka et Anti-Balaka mènent des violences religieuses. Nous ne sommes pas meilleurs que les autres. Notre gage de paix réside dans l’unité de la nation dans une République laïque et unitaire.
Le président de la République est le garant du fonctionnement régulier des institutions et de l'intégrité du territoire. Il se trouvera dans de beaux draps s’il n’a pas le courage de dire fermement que Touba ne peut pas avoir un statut spécial et qu’une liste électorale faisant référence à une communauté religieuse et excluant les femmes n’est pas légale. Laisser faire, c’est mettre la République sur un volcan dormant qui peut se réveiller à tout moment.
Aliou TALL
Président du RADUCC (Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen)
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