Le président Macky Sall avait demandé au président François Holande, lors de sa visite à Dakar, de faciliter l’octroi des visas aux Sénégalais. Est-ce que des améliorations ont été notées dans ce sens?
Oui ! Des améliorations ont été apportées. D’abord sur un sujet qui était extrêmement douloureux, me semble-t-il, qui est celui à la fois des délais pour avoir des rendez-vous et des conditions d’accueil. Alors ça s’est fait via l’externalisation. C’est-à-dire qu’une société privée, avec laquelle le Quai d’Orsay travaille dans d’autres pays, a été sélectionnée comme prestataire de service. Donc, c’est cette société qui doit accueillir les demandeurs de visa dans des conditions satisfaisantes avec des objectifs en termes de délais qui sont extrêmement serrés. Maintenant nous sommes en période de croisière avec des délais de 48 heures pour obtenir son rendez-vous. Ce qui est une amélioration considérable par rapport au système précédent où les délais pouvaient être quelque fois en semaines.
Le deuxième point est les conditions d’accueil des demandeurs de visa. L’externalisation veut dire que cet accueil se fait dans des locaux modernes dédiés, beaucoup plus spatiaux. Ceci nous épargne ce spectacle qui était tout à fait regrettable. Je dirais même inacceptable de queue de demandeurs de visa qui n’était pas vraiment tolérable. Donc, ces deux points représentent un progrès incontestable.
Le troisième sujet, c’est ce que nous appelons les visas de circulation. C’est donc des visas de longue durée pour plusieurs voyages. Là, nous avons l’augmentation régulière de ces visas de circulation dans le taux de délivrance de visa. On augmente de 10% par an. Je dirais que les deux dernières années, il y a 20% de visas de circulation qui ont été donnés en plus. Nous sommes maintenant dans les normes de nos autres consulats à travers le monde ou en tout cas nous nous en rapprochons.
Après nous avons effectivement la question des visas de courts séjours. C’est un sujet compliqué. C’est vrai que nous avons un taux de visas refusés qui reste encore élevé. Je crois qu’il faut dire les choses comme elles sont. Ce n’est pas que la responsabilité, comme certains le pensent, du gouvernement français ou du consulat. Nous avons le système Schengen. Ce système prévoit un certain nombre de critères ou d’exigences avant la délivrance des visas. Parce que quand nos délivrons un visa nous donnons l’accès à la France, mais également à l’ensemble des pays du système Schengen. Donc, nous avons une responsabilité vis-à-vis de ces partenaires. Nous devons respecter des critères qui ont été agréés ensemble. Parmi ces critères, il y a une exigence de ressources. Il faut démontrer qu’on a des ressources suffisantes pour faire ce voyage et supporter les frais de ce voyage.
Là, nous sommes confrontés à une difficulté qui n’est pas proprement sénégalaise. Nous rencontrons dans d’autres pays, c’est-à-dire le taux de bancarisation est relativement faible au Sénégal. Beaucoup de demandeurs de visas n’ont pas de relevés de compte en banque. L’économie informelle est importante, donc beaucoup de gens n’ont pas de feuille de paie, de contrat de travail. Il peut y avoir des situations humaines difficiles. Je dirais que personnellement quand j’en suis saisi, je m’efforce de voir avec les responsables du Consulat général ce qui peut être fait. Je sais que le Consulat général est très attentif aux situations humaines auxquelles il peut être confronté. Mais je répète, nous sommes dans une situation de responsabilité non seulement vis-à-vis de nous- mêmes, mais de nos partenaires Schengen.
Ce qui doit être dit avec fermeté, c’est que le gouvernement français a décidé de changer la priorité en ce qui concerne la
politique des visas. Il y a deux considérations dans la
politique des visas. C’est à la fois lutter contre l’immigration clandestine et de favoriser l’attractivité du territoire français, que ce soit pour les étudiants, les hommes d’affaires, les touristes. Ces deux objectifs sont contradictoires, il peut y avoir un dosage entre les deux ou une priorité entre les deux. Longtemps la priorité a été accordée à la question de l’immigration illégale. Très clairement, de manière absolue, la priorité de ce gouvernement est de donner l’avantage à l’attractivité. Et donc quand nous sommes confrontés au choix, au cas par cas, entre le risque migratoire et la question de l’attractivité, c’est systématiquement l’attractivité, en cas de doute qui doit être le facteur déterminant. Les choses ne se changeront pas en 5 minutes. Il faut que progressivement ces administrations prennent ces orientations nouvelles. En tout cas en ce qui me concerne, je suis tout à fait déterminé à mettre en œuvre les orientations fixées par le gouvernement et par le ministre.
On a remarqué avec cette externalisation, l’augmentation des frais de demande de visa. Et en plus, il n’y pas de remboursement pour les candidats non retenus. Comment réagissez-vous par rapport à cette frustration?
Oui, je comprends la frustration de ceux qui ont payé au moment du dépôt de leur demande de visa et qui se voient opposer un refus. La réalité, c’est que nous nous sommes confrontés au fait que le coût de traitement d’un visa est le même, que le visa soit accordé ou refusé. Donc, ce dont les demandeurs de visa s’acquittent quand ils paient les frais, ce n’est pas l’obtention du visa. C’est la gestion de leur dossier, sans garantie. Je crois que c’est dans l’intérêt général de tous les demandeurs de visa au Sénégal ou à travers le monde que ce système fonctionne. Parce que dans le système précédent, on payait uniquement la vignette du visa accordé, le coût du refus devait être supporté par le budget dans des conditions de restriction budgétaire. On avait moins de personnel pour s’occuper de la gestion des visas. Et donc à la fois qu’est-ce qui se passait: les délais d’attente étaient plus longs et le service était de moindre qualité.
Donc c’est la condition, dans l’intérêt des demandeurs de visa, pour avoir des délais plus courts, des conditions d’accueil pour le public qui soient pleinement satisfaisantes, une gestion plus efficace des demandes. Je crois que c’est dans l’intérêt des demandeurs de visa, c’est-à-dire que le personnel du consulat qui prend la décision, a plus de temps pour instruire des dossiers. Il a la possibilité de regarder les cas particulier de gens qui sont confrontés à une urgence de telle ou telle nature. Alors, c’est triste pour les gens qui n’ont pas eu leur visa, mais dans l’équilibre global du système il me semble que c’est une bonne mesure.
Le Président Macky Sall, aussitôt après son élection à la magistrature suprême, a effectué une visite d’Etat en France. Visite au cours de laquelle il serait revenu, entre autres, sur les accords de défense. Qu’est-ce qui a changé?
C’est une affaire qui est maintenant derrière nous. Nous avons effectivement modernisé nos accords de défense. Le processus de ratification est maintenant achevé. Donc, ces accords modernisés, clarifient toute une série de situations, notamment sur le plan foncier. Ça ne change pas fondamentalement la nature de la relation dans le domaine de la défense entre la France et le Sénégal. C’est, je crois, dans le cadre général de la généralisation de la modernisation, de l’adaptation de notre coopération militaire avec nos grands partenaires africains.
Donc, il y a toujours des Forces françaises déployées au Sénégal?
Il n’y a plus d’unité constituée. Il y a ce qu’on appelle les Eléments français du Sénégal. Ce sont essentiellement des officiers et dont la fonction principale au quotidien est d’assurer la coopération bilatérale au profit de l’Armée sénégalaise et avec une vocation régionale.
Avec la menace terroriste à nos portes, est-ce qu’il y a des Forces françaises pré positionnées à Dakar prêtes à intervenir en cas de danger?
L’intervention au Mali, l’Opération Serval, a montré toute l’importance de ce nouveau dispositif. Ce ne sont pas des unités pré positionnées, mais en revanche ce sont des capacités d’accueil et de soutien à la projection de forces qui sont ici au Sénégal. La deuxième mission de ces éléments français ici au Sénégal, c’est de pouvoir, jouer, en cas de besoin, ce rôle de tremplin, d’accueil et de soutien à la projection d’une force dans la région. Et, je crois que tous nos experts militaires sont d’accord sur le fait que ce qu’on a vu avec Serval, a totalement validé ce modèle. Il n’est pas nécessaire de pré-positionner des forces en Afrique.
En revanche, il faut des éléments prêts et des liaisons très étroites entre ces éléments au Sénégal et qui peuvent contribuer au travail de planification et être le relais de ces forces qui seront déployées. C’est un bon modèle. D’ailleurs, c’est un modèle que nous allons répliquer au Gabon et à termes, il n’y aura pas d’éléments constitués français au Gabon. Il y aura une structure similaire à celle des éléments français du Sénégal.
Vous êtes au Sénégal depuis un an déjà, que pensez-vous de la démocratie sénégalaise?
D’abord (rire), je pense que c’est une réalité. On ne peut pas se tromper parce que quelque fois on a des démocraties de façade. La démocratie sénégalaise est d’abord une réalité. C’est une réalité parce qu’elle s’inscrit dans la durée, ce n’est pas un phénomène nouveau. Le Sénégal a été épargné par les expériences douloureuses des coups d’Etat militaires ou de vie chaotique
politique. Elle a connu des alternances et des alternances démocratiques avec des présidents qui se présentaient et qui étaient battus. Ils reconnaissaient la victoire de leur compétiteur. Donc ça, c’est quelque chose qui est incontestable, unique en Afrique dans la durée.
Alors après, les autres éléments constitutifs d’une démocratie sont aussi présents. Il y a une liberté d’opinion qui est à peu près complète. La liberté de la presse est totale. Les gens ne vivent pas dans la peur, on peut librement exprimer des sentiments sur le gouvernement sans crainte d’être menacé dans sa sécurité ou dans son confort. Après, la démocratie c’est tout un processus. Donc, toute démocratie est perfectible. Il y a un certain nombre de secteurs dans lesquels des marges de progression sont possibles.
Je crois que l’un des domaines qui me frappe, c’est celui de la justice. Il y a un ministre de la justice mondialement reconnu pour son engagement en faveur des droits de l’homme. Mais c’est vrai que les moyens sont dramatiquement insuffisants. Il y a une situation dans les prisons qui n’est pas pleinement satisfaisante et puis dans le domaine de la durée des gardes à vue, de la détention préventive. Il y a aussi le respect des droits des justiciables. En somme, il y a des efforts à faire dans l’administration de la justice, pas dans les textes, les Codes de procédures pénales.
Le Chef de l’Etat a inscrit son magistère sous le signe de la bonne gouvernance. Est-ce que la France soutient cette option de Macky Sall?
Oui ! La gouvernance est l’un des axes de la
politique française. D’abord, il y a une loi qui vient d’être votée par le parlement qui met la gouvernance au cœur des priorités de la
politique en matière de l’Apd. Ensuite, nous avons des documents-cadre que nous signons avec nos principaux partenaires. Le premier que nous aillons signer en Afrique, c’est avec le Sénégal: c’est le Document Cadre de la Programmation (Dcp). L’une des trois priorités de ce Dcp est la question de la gouvernance.
Donc, c’est des questions sur lesquelles nous sommes tout à fait désireux de coopérer avec le Sénégal et de répondre aux demandes du gouvernement sénégalais. Nous avons déjà des programmes dans le domaine de la décentralisation, mais aussi dans l’administration financière. Il y a une présence importante du Pnud, mais avec de nombreux experts dans ce domaine. Nous soutenons pleinement cette orientation et nous sommes prêts à y apporter notre contribution si on nous le demande.
Karim Wade, le fils de l’ancien président de la République est présentement en procès dans le cadre du dossier dit de la «traque des biens supposés mal acquis». Quelle est votre réaction?
Ecoutez, le Sénégal est un pays démocratique, la justice est indépendante. Le gouvernement sénégalais s’abstient de toute déclaration, de toute intervention dans le déroulement de ce procès. Vous imaginez bien que le représentant d’un pays étranger ne va pas s’aventurer sur cette voie. Ce que je constate, c’est qu’il y a un cadre légal qui a été fixé pour traiter de ce type d’affaire. La Crei, oui, ce n’est pas une loi de circonstance qui a été votée par l’initiative des autorités actuelles, c’est une loi qui est ancienne. On ne peut pas soupçonner les autorités d’utiliser une loi de circonstance. C’est le cadre légal dans lequel le procès se déroule.
Il y a beaucoup de réactions au sujet du supposé non respect des droits humains. Qu’est-ce que cela vous inspire comme commentaire?
Nous prenons acte des protestations ou des remarques qui sont faites par certains avocats de la défense. Rien d’autres à ajouter par rapport à cela. Vous savez, la conduite des débats dépend d’un président. Il y a très souvent des commentaires qui sont faits sur la façon dont tel président de la Cour mène les débats. Certains juges disent que ce n’est pas satisfaisant, dans d’autres circonstances on dit qu’il y a une conduite remarquable des débats. C’est quelque chose qui est un tout petit peu circonstanciel, qui ne relève pas des questions de fond et de structure.
Transcrit par Jean Michel DIATTA
source:http://www.sudonline.sn/notre-taux-de-visas-refuses-reste-encore-eleve_a_20922.html