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Twelve years a slave (Douze ans d’escalvage). Ce titre d’un film culte sur l’esclavage aux Etats-Unis pourrait résumer la vie des enfants-mendiants (Talibés) au Sénégal. Entre 5 et 16 ans, beaucoup d’entre eux subissent la maltraitance de maîtres coraniques, tantôt esclavagistes, tantôt pédophiles, sous le silence complice de la population sénégalaise. Tant que les politiques sénégalais ne s’émancipent pas de la tutelle des guides religieux, ils ne pourront pas appliquer des mesures fermes pour sanctionner les négriers et violeurs de Talibés.
Sous couvert de l’enseignement coranique, des maîtres coraniques asservissent des enfants
Gare routière de Saint-Louis, 5h du matin : De l’obscurité d’un ciel sans étoiles, et sous le froid d’une brise océanique frigorifiant, surgirent de petites silhouettes grelottantes, pieds nus, T-shirts échancrés, nez bourrés de crottes et visages enflés par le manque de sommeil. Ce sont des Talibés envoyés par leurs maîtres coraniques pour quémander des sous aux voyageurs. Nous leur offrîmes la possibilité de prendre un petit déjeuner à la gargote d’à côté. Ils refusèrent tous, bien que affamés. Ils nous expliquèrent qu’ils n’ont pas le droit de se rassasier et qu’ils veulent de l’argent frais pour honorer l’obligation que fait peser sur eux le marabout, de verser une certaine somme d’argent avant de revenir à la concession. Et qu’ils seraient battus s’ils ne ramènent pas la somme exigée. Ce qui les oblige souvent à commettre des larcins. De l’apprentissage du Coran, ils passent ainsi à l’apprentissage de la délinquance. Des défenseurs de cet asservissement cynique disent que c’est une manière de leur inculquer l’humilité et les préparer aux difficultés de la vie. D’autres, plus ésotériques, y voient un gage de paix qui évite au Sénégal des évènements malheureux. C’est le discours tenu par des guides religieux, conscients que la menace de la terreur divine a toujours été une recette pour extorquer la soumission d’âmes sensibles, ou fanatiser des disciples à son merci.
Le peuple sénégalais est en partie complice de cette mendicité forcée, prétexte d’un business de la foi sur fond de maltraitance structurelle. Bien que musulman dans sa presque totalité, il ne s’est pas totalement débarrassé de ses pratiques païennes. La population a largement recours au fétichisme et à l’ésotérisme pour résoudre ses soucis de la vie quotidienne : réussir au Bac ou à un concours, obliger un être aimé à accepter son amour, obtenir ou garder un emploi, jeter des maléfices à la coépouse ou aux enfants de celle-ci, etc. Dans ces démarches, le Talibé est le réceptacle des offrandes et sacrifices ordonnés par des marabouts charlatans, ou autres imposteurs du chamanisme et de la magie noire. Les dons de morceaux de sucre, d’œufs de poule, de portions de riz blanc, de noix de cola, de restants de nourriture ou de pièces de monnaie faits aux talibés sont souvent dictés, non pas par l’altruisme ou la compassion, mais souvent par l’égoïsme : Le talibé est perçu comme un vecteur de sacrilège et un pied d’autel pour supplier Dieu. De ce fait, la population tolère sa mendicité forcée.
Sous couvert de l’enseignement coranique, des maîtres coraniques violent des enfants.
Au Sénégal on peut être lynché pour avoir volé le mouton d’un père de famille à la veille de la Tabaski. Ils arrivent que des agresseurs ou arracheurs de porte-monnaie courent vers la police pour éviter d’être massacrés par la foule enragée. Mais quand un talibé est violé par un maître coranique, la population fait montre d’une indulgence ahurissante. En amont, un vulgaire obsédé sexuel, ayant fini d’apprendre par cœur les 114 sourates du Coran et sachant lire et écrire l’arabe, peut facilement ouvrir une école coranique sans aucun contrôle. En aval, l’insuffisance des réponses sociétales et pénales a favorisé l’ancrage de ce phénomène criminel insidieux. Les familles et proches des enfants victimes sont réticentes à l’idée de trainer devant la justice un maître coranique pédophile. Il est mal vu de témoigner contre eux, ce qui rend difficile le déclenchement des poursuites pénales. De surcroît, une partie de la population craint des maîtres coraniques qui disposeraient de connaissances mystiques et maléfiques.
Lorsqu’un imam s’est livré à la pédophilie dans un quartier populaire de Dakar (Guédiawaye), la réaction de la population, davantage amusée par le voyeurisme que révoltée, a été d’une mollesse accommodante. Lorsque dans la ville de Rufisque un maître coranique pervertit son autorité religieuse en force satanique pour violer des fillettes ou sodomiser de jeunes garçons, la clameur populaire s’est limitée à l’indignation au lieu d’exiger des autorités des mesures fermes contre les pédo-prédateurs.
Lorsque l’Etat abandonne l’exercice de ses pouvoirs régaliens à Touba (Ville sainte de l’Islam pour beaucoup de sénégalais), où il n’a aucun contrôle sur les écoles coraniques, l’impunité y est encouragée. Le maître coranique qui y déflorait des dizaines de fillettes pour prendre son pied aurait pu être démasqué à temps, si l’Etat n’y avait pas démissionné.
Il faut des mesures préventives pour stopper ces pédophiles et négriers des temps modernes
Des institutions étatiques ont été créées ; des statistiques élaborées ; des études sociologiques faites; des centaines de mémoires et rapports rédigés ; des colloques organisés sur la question. Mais le mal s’empire. Il faut donc arrêter de discourir et oser agir, malgré la réticence de guides religieux.
Il n’est pas question de voter des lois pour interdire la quête et la distribution de la charité. C’est une réalité humaine et religieuse. C’est de la maltraitance et de l’exploitation institutionnelle des enfants, au nom de la religion, qu’il faut s’attaquer. En concertation avec les acteurs sociaux et religieux, il faut encadrer les écoles coraniques et vérifier la moralité des maîtres. Il faut sensibiliser les élèves et leurs parents, surtout lors des prêches du vendredi, sur la nécessité de dénoncer tout abus. L’Etat doit mettre fin au laxisme qui encourage « l’importation » de jeunes mendiants professionnels qui encombrent les carrefours de Dakar. Avant toute politique répressive, l’Etat devrait soutenir les écoles coraniques qui accomplissent une fonction sociale. Ainsi des visites médicales régulières pourraient être organisées ; des cantines (du genre Restau du cœur) mises en place avec le soutien de bailleurs et mécènes ; des collectes de vêtements organisées au profit des Talibés. Un programme de prise en charge des enfants abandonnés par leurs parents devrait être élaboré, avec des centres d’accueil d’urgence. Pour les financer on pourrait leur affecter une partie de l’argent provenant de la récupération des biens mal acquis ; un retenu de solidarité social sur le salaire de tous les ministres, directeurs de sociétés publiques, députés et maires du pays ; etc. On pourrait inciter les sociétés commerciales à accorder à ces centres des dons en nature ou en numéraire, en leur accordant une réduction d’impôts.
Il faudra par la suite responsabiliser les parents qui abandonnent leurs enfants, et punir sévèrement les maîtres coraniques qui soumettent des talibés à un esclavage moderne, ou violent leur intégrité physique ou psychologique.
Les talibés sont parmi les rares enfants de la terre à subir cumulativement toutes les formes de maltraitance incriminées par la convention des Nations Unies sur les Droits de l’enfant : abandon ou négligences lourdes; brutalités physiques et mentales ; mauvais traitements; exploitation économique, attouchements sexuels et viols. Leur calvaire est le témoignage visible que le business de la foi gangrène le Sénégal en douceur.
Aliou TALL
Président du Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen (RADUCC)
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