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Après sa condamnation par la Cour de répression de l’enrichissement illicite, Ibrahim Aboukhalil s’est fait confisquer l’ensemble de ses biens par l’État du Sénégal. Une démarche qui a donné lieu à une controverse juridique et derrière laquelle se cache un enjeu politique.
Il était millionnaire. Le voilà officiellement sans ressources. Sept mois après sa condamnation par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), l’homme d’affaires Ibrahim Aboukhalil, alias Bibo Bourgi, a vu tous ses biens confisqués par l’État du Sénégal. Les sociétés dont il est actionnaire et le patrimoine immobilier qu’il détient sont désormais propriété de l’État. Et ses comptes bancaires, à Dakar comme à Monaco, ont également été saisis en vertu d’une disposition du jugement de la CREI rendu en mars contre Karim Wade et sept co-accusés.
« Il ne dispose plus d’aucun moyen de paiement au Sénégal, même pour le prélèvement automatique de son assurance médicale », s’indigne Me Corinne Dreyfus-Schmidt, membre de son pool d’avocats. Depuis la mi-septembre, l’agent judiciaire de l’État, Antoine Félix Diome, est en effet passé à l’offensive. Cet ancien adjoint du procureur spécial près la CREI, qui avait été le principal artisan de la procédure pour enrichissement illicite contre Karim Wade, a été nommé à cette fonction au lendemain du jugement. C’est donc à lui que revient la tâche de défendre les intérêts du Sénégal en matière d’exécution de la condamnation, mais aussi de superviser l’action des avocats de l’État dans le cadre des recours déposés par Bibo Bourgi devant plusieurs instances arbitrales régionales ou internationales.
Nouvelle controverse
Or une fois de plus, la démarche des autorités sénégalaises en matière de traque aux biens mal acquis donne lieu à une controverse. Celle-ci a éclaté le 26 octobre dans les pages du Quotidien, sous la plume de son administrateur général et éditorialiste-phare, Madiambal Diagne, dont la proximité avec Macky Sall est de notoriété publique. Et pourtant, selon le journaliste, la saisie des biens de Bibo Bourgi « apparaît on ne peut plus illégale dans la mesure où l’arrêt de la CREI n’est pas encore définitif ».
Le 25 août, au lendemain de la décision de la Cour suprême rejetant le pourvoi en cassation de leur client, les avocats de Bibo Bourgi avaient en effet introduit un « rabat d’arrêt ». Or, comme le rappelle Madiambal Diagne, cet ultime recours, s’il n’est pas suspensif en matière d’intérêts civils (dommages et intérêts), l’est en revanche en matière pénale. Ce qui signifie que la confiscation des biens de Bibo Bourgi serait entachée d’une irrégularité flagrante.
Piqué au vif, Antoine Félix Diome a aussitôt adressé au Quotidien une mise au point destinée à justifier son empressement. Selon le magistrat, les avocats de Bibo Bourgi n’ont signifié leur demande en rabat d’arrêt à l’agent judiciaire de l’État que le 20 octobre, une fois les actes de confiscation accomplis. Ils ne sauraient donc se prévaloir de leurs propres turpitudes pour remettre en cause les mutations et saisies effectuées sur son patrimoine.
Pour les avocats sénégalais de Bibo Bourgi, Antoine Félix Diome se serait fourvoyé pour au moins trois raisons
La réponse du berger à la bergère est intervenue jeudi matin, toujours dans les colonnes du journal de Madiambal Diagne. Pour les avocats sénégalais de Bibo Bourgi, Antoine Félix Diome se serait fourvoyé pour au moins trois raisons. D’abord, parce qu’il n’a pas tenu compte de la saisine de la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) d’Abdijan, qui fait office de cour de cassation en matière de droit Ohada. Intervenue début août, cette saisine aurait dû, à elle seule, suspendre l’exécution du jugement de la CREI. Même constat pour le « rabat » visant l’arrêt de la cour suprême sénégalaise, lui aussi théoriquement suspensif en matière de confiscation. Quant à l’argument invoqué par Antoine Félix Diome, selon lequel il n’aurait pas été informé à temps du rabat d’arrêt, le camp Bourgi rappelle que la loi lui donnait deux mois pour lui signifier cette démarche, délai qui a été respecté.
Enfin et surtout, selon les avocats, Antoine Félix Diome a confondu son ancienne casquette de procureur spécial – « à qui incombe l’exécution des sanctions pénales » – avec celle, plus récente, d’agent judiciaire de l’État – « qui n’est que partie civile ». Or le procureur de la CREI a, quant à lui, reçu la signification du rabat d’arrêt dès le 25 août – comme le montre un acte d’huissier que JA a pu consulter. L’agent judiciaire de l’État se serait donc substitué indûment – et précipitamment –au Parquet spécial de la CREI. « Ils sont en train de dépouiller mon client frauduleusement, en violation de leurs propres textes », tonne Me Dreyfus-Schmidt.
Enjeu politique
Derrière ce débat d’initiés qui peut sembler exclusivement juridique, l’enjeu est bel et bien politique. Depuis le début de la procédure intentée contre Karim Wade et ses co-accusés, les libertés prises par l’appareil judiciaire sénégalais envers les droits de la défense ont en effet été régulièrement épinglées par différentes instances, de la Cour de justice de la Cedeao au groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire, en passant par les principales ONG sénégalaises de défense des droits de l’homme. « L’État du Sénégal viole ses lois en décidant déjà de la confiscation du patrimoine des personnes condamnées par la CREI », estime ce vendredi Le Quotidien. Dimanche 25 octobre, interviewé sur i-Télé, Macky Sall avait d’ailleurs dû s’expliquer longuement devant Audrey Pulvar sur les divers manquements reprochés à la CREI.
Alors qu’une première audience devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), l’instance arbitrale de la Banque mondiale, s’est tenue à Paris le 19 octobre entre les avocats de Bibo Bourgi et ceux du Sénégal et que la procédure devant la CCJA est toujours au stade de la mise en état, la précipitation de l’agent judiciaire de l’État à faire main basse sur le pactole de l’homme d’affaires franco-sénégalais pourrait donc bien se retourner, demain, contre son promoteur.
Auteur: Mehdi Ba - Jeune Afrique
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