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Kerker : délocalisation des pollutions italiennes au mépris du droit

SANTÉ & ENVIRONNEMENT
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Par: Marco Jonville (Volontaire “ALECA et justice environnementale” FTDES)


A Kerker, dans le gouvernorat de Mahdia, s’est installée depuis 2012 une usine italienne de production d’huile de grignons d’olive , au mépris du droit tunisien et des droits des habitants. Alors qu’elle a été fermée en 2016, elle viendrait d’obtenir une autorisation ministérielle provisoire, bien que la mise aux normes ne soit pas avérée. Les habitants, mobilisés depuis le début du projet et ayant subi les conséquences environnementales et sanitaires pendant les 2 ans de fonctionnement de l’usine, sont toujours inquiets et se remobilisent.
L’usine et ses conséquences


L’usine est détenue par la compagnie Agrind Tunisina, société italienne « totalement exportatrice ». Cela signifie qu’elle bénéficie du régime offshore, en n’ayant pas l’obligation de rapatrier ses bénéfices et en ne payant que 10% d’impôts sur les sociétés contre 25% normalement.
Si elle s’est implantée dans le gouvernorat de Mahdia, c’est aussi pour profiter d’une main d’œuvre moins chère et de normes environnementales moins appliquées qu’en Italie. Maitre Ben Rejeb, avocat des habitants, demande : “comment se fait-il que cette usine soit considérée comme dangereuse en Italie, mais pas en Tunisie ?” L’activité d’extraction d’huile de grignons pollue en elle-même l’air et l’eau des alentours, mais à Kerker, l’installation de l’usine s’est en plus faite sans aucune disposition pour limiter la pollution.
Le procédé d’extraction d’huile requiert une quantité importante d’eau, qui est pompée directement dans la nappe phréatique. Puis pour récupérer l’huile de grignon, il faut ajouter un solvant chimique. C’est l’hexane qui est utilisé à Kerker : il se retrouve ensuite dans les eaux usées qui sont rejetées directement dans un bassin ouvert, aux abords de l’usine, ainsi que dans les fumées et les déchets solides qui sont laissés sur place. Or l’exposition à l’hexane provoque des irritations aux yeux et aux poumons, et, lors d’expositions répétées, il provoque une perturbation du système nerveux et des troubles moteurs . Il est également destructeur pour les écosystèmes aquatiques mais aucun système d’assainissement n’a été prévu, et aucune discussion avec l’ONAS (Office National d’Assainissement) n’aurait été ouverte .

D’autre part, l’extraction d’huile provoque également des fumées et des déchets solides, qui se répandent dans les habitations environnantes . Les installations de l’usine n’étant pas étanches, la pollution se diffuse tout autour de l’usine et tue toute possibilité d’agriculture. Comme peut en témoigner un agriculteur qui habite juste à côté de l’usine :
“Pendant le fonctionnement de l’usine, je ne pouvais plus exploiter les oliviers qui se trouvaient juste derrière elle. On voit encore certains arbres morts. Depuis que l’usine s’est arrêtée, certains ont pu reprendre, mais je ne peux toujours pas utiliser l’eau de la nappe.” Et si deux ans après l’arrêt de l’usine certains arbres ont pu revivre, des champs sont restés à l’abandon depuis .


Une installation sans respect des lois et des normes environnementales
Ainsi cette entreprise italienne s’est installée sans respecter le droit des habitants à un environnement sain. Les normes environnementales ne sont pas respectées, alors que cela avait été pointé du doigt depuis l’ouverture de l’usine en 2014 par l’Agence Nationale pour la Protection de l’Environnement (ANPE). Ainsi en juillet 2017, l’ANPE rappelle non moins de 9 conditions pour que l’usine puisse reprendre son activité, et notamment la création d’une station d’épuration industrielle, des mesures de restriction de la pollution et l’isolation des déchets.

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Des conditions qui ne sont toujours pas remplies selon l’avocat des habitants. Mais en plus, l’entreprise n’a pas respecté le droit foncier. Elle s’est installée trop proche d’une piste agricole et de la route, en construisant son enceinte autour des poteaux électriques.
Au-delà des lois, les habitants sont extrêmement critiques de la manière dont est gérée l’usine. Comme le montre Mohammed : “Le mur d’enceinte n’est absolument pas étanche, on voit encore les infiltrations, deux ans après ! Le matériel est déjà dégradé, il est de mauvaise qualité et a été importé directement d’Italie. Enfin, 50m3 d’eau sont pompés puis directement rejetés après rajout d’hexane, chaque jour de fonctionnement.”
De plus, la municipalité de Kerker, ainsi que les 400 habitants des alentours, s’opposent au projet. Ces 400 citoyens ont signé une pétition contre l’installation de l’usine, qu’ils ont transmis aux autorités locales et judiciaires dès fin 2014, ce qui a permis de les alerter sur la situation et de faire pression pour qu’elles agissent. Un accord avait finalement été signé entre l’association « Mes compétences » qui représente les citoyens, la municipalité et l’usine, et prévoyait un arrêt de la pollution. Cependant selon les habitants cet accord n’a pas été respecté et l’activité de l’usine a continué de manière inchangée.
Les habitants ont donc poursuivi les procédures, et un huissier a constaté les problèmes posés par l’usine, puis a envoyé son rapport à la municipalité, au gouvernorat, et au Ministère de l’Industrie. D’autre part, suite à des suspicions de corruption, l’association a déposé une plainte auprès du 1er ministre, de l’Instance Nationale de Lutte Contre la Corruption et de la direction de la Douane nationale et régionales (Sousse et Mahdia). Les conséquences néfastes de l’activité de l’usine ont été reconnues par la justice. Un habitant a notamment reçu 30 000 dinars d’indemnités pour la destruction de ses oliviers, suite à une plainte individuelle.
L’action des habitants a permis de mobiliser les autorités, qui malgré les problèmes constatés dès 2014 par l’ANPE n’avait pas agi en conséquence. Finalement le Ministère de l’Industrie a ordonné l’arrêt de l’usine suite à une mission sur place, conjointe avec l’ANPE en 2016. Cependant, les problèmes ont tout de même perduré. Le matériel et les déchets ont été laissés sur place, et ont continué de se diffuser dans les alentours, toujours sans aucune mesure de protection.
Remise en service prochaine de l’usine
Aujourd’hui, l’usine se prépare à se remettre en activité. Elle aurait obtenu en décembre dernier un permis provisoire de 6 mois, directement de la part du Ministre de l’Industrie. Cependant, cette autorisation poursuit la politique d’impunité et de non-respect du droit : ni le traitement des eaux usées ni des mesures de réduction de la pollution n’ont été effectuées, et le cahier des charges du Ministère de l’Industrie n’est toujours pas respecté selon Maitre Ben Rejeb. On assiste donc même à une contradiction entre la direction du Ministère et ses services ! De plus, la validité de l’autorisation elle-même est contestée par les habitants. En effet, une autorisation ne saurait être provisoire dans ce genre de cas. Elle se doit d’être définitive, après respect du cahier des charges du Ministère de l’Industrie et vérification que les conditions demandées par l’ANPE sont remplies, autorisation de la part des ministères de l’Industrie et de l’Environnement, et approbation de la municipalité. Cette dernière a indiqué en octobre dernier que le dossier était rouvert, mais sans donner son autorisation.
Les inquiétudes sont donc grandes pour la survie des habitants, mais aussi pour la sécurité des travailleurs de l’usine. En effet, on a compté jusqu’à 4 accidents du travail lorsqu’elle était en activité. Les employés auraient été sous-payés, et n’auraient pas bénéficié de la sécurité sociale.
Un révélateur de l’impunité des entreprises étrangères
Cette affaire est révélatrice de l’impunité dont peuvent faire preuve les entreprises étrangères qui s’installent en Tunisie. Alors qu’elles bénéficient déjà d’avantages fiscaux sous le régime offshore, elles délocalisent leurs activités car elles ne respectent plus les normes environnementales dans leurs pays et veulent profiter de bas salaires. Ce faisant, elles ne comptent absolument pas respecter les droits des habitants à un environnement sain, mettant en danger leurs moyens d’existence et leur santé.
De plus, ce cas montre l’attitude passive des autorités. Malgré les constats très alarmants de l’ANPE, qui prévenait du non-respect des normes et des dangers pour la santé des habitants, pour l’agriculture et pour l’environnement, rien n’a été fait pour obliger l’entreprise à appliquer immédiatement le droit. Il a fallu la mobilisation répétée des habitants, et de multiples procédures, pour que les autorités fassent leur travail. Par ailleurs, lorsque l’émission Hannibal a effectué un reportage en 2016 sur le problème, les ministères de l’environnement et de l’industrie ont refusé toute interview. A cause de cette inaction, les habitants ont donc subi les conséquences sur leur santé et leurs revenus agricoles, pendant deux années entières.
Aujourd’hui, alors que le gouvernement tunisien négocie avec l’Union Européenne un nouvel accord de libre-échange, l’ALECA (Accord de Libre Echange Complet et Approfondi), ce genre de problème pourrait tendre à se multiplier. En effet, cet accord permettrait plus de liberté d’installation aux entreprises étrangères, qui viendraient profiter d’une moins bonne application des réglementations environnementales pour s’implanter en Tunisie, au détriment du bien-être des travailleurs, de la santé des tunisiens, de l’agriculture et de l’environnement.

 

source:https://ftdes.net/fr/kerker-delocalisation-des-pollutions-italiennes-au-mepris-du-droit-2/