En pleine période de mutation, face à la sécurité et aux besoins d’atteindre un semblant d’autosuffisance alimentaire, le Sénégal, comme l’Afrique en général, peine à trouver la voie au moment où la recherche pleine de certitude demande encore plus de moyens matériel et financier. Pendant que les grandes écoles, les laboratoires comme les centres et institutions de recherche n’ont jamais été aussi prolixes, les Etats peinent à joindre l’acte à la parole. Et, dans ce vaste chantier, Africa Rice, le centre du riz pour l’Afrique paraît comme un bel exemple pour donner au discours scientifique dans le continent, un certaine teneur. Nous leur devons d’ailleurs, l’introduction du Nerica, dans les systèmes de production rizicole. Depuis le milieu des années 1990, la bonne graine cherche un peu partout la bonne terre, mais aussi les bons producteurs…
Dans la sphère des aires d’agriculture et d’élevage du monde, que représente encore le continent africain ? Entre les espèces dites indigènes, locales ou autochtones, l’Afrique à travers ses traditions et variétés culturales, a vécu les civilisations agricoles parmi les plus complexes depuis bien des siècles. En effet, toutes les céréales anciennement cultivées sur le continent étaient géographiquement en place depuis le 16 ème siècle comme on les trouve actuellement. Les régimes alimentaires, les techniques culturales, les appellations de céréales, tout avait acquis, semble-t-il, une certaine immuabilité, signale-t-on du côté de la littérature concernant les recherches agricoles et agro-alimentaires.
Pour ce qui est de l’histoire du riz en Afrique, les thèses sont quasiment similaires comme pour le maïs. Dans les vieilles aires agricoles en Afrique de l’ouest, malgré la présence du riz africain, (Oryza glaberrima), les variétés de riz asiatiques furent acceptées et souvent pliées sous le vocable de riz africain depuis longtemps en place. Hors de cette aire, le riz asiatique a eu du mal à s’implanter sur toute la côte occidentale, la technique exigeant soit une tradition qui n’existait pas soit des moniteurs experts venus d’ailleurs. Ce sont ces derniers (Portugais, Arabes, Malais) qui vont enraciner la culture du riz sur la côte orientale d’Afrique et à Madagascar en imprimant en même temps, les appellations génériques du cette céréale.
Pour dire que l’histoire du riz en Afrique est bien longue et variée. Les agriculteurs africains ont probablement domestiqué, selon les spécialistes, cette céréale en même temps que les agriculteurs asiatiques, il y a 3000 ans. Les paysans africains ont développé l’espèce Oryza glaberrima tandis que les paysans asiatiques ont développé Oryza sativa (le riz asiatique). Cependant, il y a environ 500 ans, Oryza sativa a été introduit en Afrique et les paysans l’ont depuis adapté à leurs systèmes de riziculture et ont développé de nombreuses variétés locales de l’espèce asiatique, faisant de l’Afrique un important centre secondaire de sa diversité. Depuis lors, une longue évolution s’est faite dans le domaine, avec les adaptations, les corrections, les croisements, l’irrigation jusqu’à l’arrivée de nouvelles variétés encore plus faciles à exploiter sur les terres du continent. L’on peut souligner dans le genre, l’introduction plus récente d’une variété nouvelle, le Nerica, issu de ce croisement et qui semble encore plus adapté aux sols, plus facile à cultiver et moins exigeant en eau.
Cette variété compte ainsi plusieurs groupes. Et dans le lot, le Nerica 1 semble être une des stars de cette variété. Produite par AfricaRice, sa date d’obtention beaucoup plus récente, remonte à 1994 et son homologation le 3 mars 2009. Originaire du croisement des espèces Oryza sativa et Oryza glaberrima, il appartient au groupe variétal, Hybride Nerica (1). Culture pluviale qui peut être pratiquée dans le Centre et le sud du Sénégal), son cycle de maturité dure entre 95 et 100 jours après semis (jas, pour les spécialistes). Il a une certaine capacité de résistance aux maladies comme la pyriculariose (2), aux insectes et à la verse. De couleur blanche et riche en arôme, on note également une bonne qualité de cuisson. C’est un riz de qualité et parfumé pour les consommateurs.
Le Nerica 5 est aussi une des variétés intéressantes de cette espèce. Sa date d’obtention est de 1994 et celle pour son homologation, la même date que le Nerica1. Il est issu aussi du croisement du riz asiatique et africain. Si sa nature génétique est d’une lignée pure, il faut lui noter d’autres caractéristiques plus intéressantes comme une pigmentation anthocyanique des oreillettes de la feuille et des nœuds. Il peut être aussi cultivé dans le centre comme le sud du Sénégal. Ce qui en fait une variété exotique à expérimenter un peu partout où la terre argilo-sableuse peut l’accueillir. Sa date d’épiaison est située entre 60 et 65 jours. Son cycle de maturité entre 90 et 95 jours pour un rendement à l’hectare de 4 tonnes. Comme le Nerica 1, il a une certaine résistance aux maladies comme la pyriculariose. Son lieu de sélection est Bouaké dans le centre de la Côte d’Ivoire.
Le Nerica 6 est dans le même dispositif que le 5. Sa date d’obtention remonte comme les autres à 1994 et celle liée à son homologation est du 3 mars 2009. Variété hybride, elle est aussi issue d’un savant mélange d’Oryza sativa et d’Oryza glaberrima. Ces caractéristiques d’identification sont une forte pigmentation anthocyanique des oreillettes de la feuille, le port d’un limbe paniculaire (obs. précoce et tardive). S’y ajoute une pigmentation anthocyanique apex glumelle inférieure (obs. précoce), une Pubescence de la glumelle inférieure. La Couleur du stigmate se présente avec un cycle 50% d’épiaison. Avec un cycle de maturité entre 95 et 100 jours, c’est une variété intéressante pour les paysans des zones centres. Sa résistance aux maladies, aux insectes et à la verse est assez forte. Le rendement potentiel de grains à l’hectare est estimé à 5 tonnes. Même si, à la différence des autres, son arôme est non parfumé.
Comparé à des variétés comme la Sahel 209, 210, ou la 177, le Nerica connaît ainsi des cycles de pluviométrie plus adaptés. C’est là que se trouve pour la recherche et l’encadrement rural, tout son intérêt. En effet, le cycle le plus court pour les trois premières variétés tirées de l’espèce ne descend au-dessous de 120 jours. 126 à 140 jours pour la Sahel 209. 122 jours pour la Sahel 177, 125 à 141 pour la Sahel 210. Entre autres particularités de ces espèces adaptées à partir de riz cultivé en Chine, au Vietnam, en Thaïlande, Birmanie, aux Philippines, le fait qu’elles appartiennent au groupe variétal indica et qu’elles ne sont cultivées ici essentiellement quand par irrigation dans la vallée du Sénégal, et dans les vallées internes du sud du pays en Casamance et au Sénégal Oriental avec des rendements à l’hectare un peu plus élevé parce que plus exigeante en eau et avec un cycle beaucoup plus long.
Dans le groupe Nerica, il existe aussi une autre variété appelée S-19. Elle est de la même nature génétique. Mais elle est cultivée en irrigation avec un cycle plus long de plus de 130 jours. Si son rendement à l’hectare estimé à un peu plus de 11 tonnes a été déclaré plus élevé, il n’est pas par contre, enregistré dans la catégorie des riz dits parfumés. On peut y ajouter encore le Nerica S 21 exploitée en zone irriguée avec un cycle long et des rendements supérieurs à 13 ha la tonne. Tout comme les variétés Nerica-S-36 et S-44 qui sont dans les mêmes eaux, avec 122 jours de pluies, exploitées dans les mêmes zones, avec des caractéristiques presque similaires : un croisement riz africain-riz asiatique, un port de limbe paniculaire, une pubescence de la glumelle inférieure, une pigmentation anthocyanique apex glumelle inférieure etc. Les hauteurs de tiges selon la variété identifiée, varie entre 77 et 110 cm avec un rendement à l’hectare se situant entre 7 et 13 tonnes.
Les sénégalais consomment sans doute beaucoup de riz mais ne savent pas toujours que derrière chaque espèce et variété, il y a toute une histoire et des noms qui en disent longs. Prenez par exemple, la Sahel 329. Elle fait partie de la variété dite Jaya/basmati 370 donc riz parfumé et label. Pour un cycle évalué 116 jours, elle est cultivée ici au Sénégal sous forme irriguée dans la vallée du Sénégal et les vallées internes au sud. Blanche et translucide, c’est un riz de haute qualité dont la teneur en cuisson est très bonne. Conçue à Saint-Louis, grâce à des efforts réunis par l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra) et AfricaRice, sa date d’obtention remonte à 1997et celle liée à son homologation, au 3 mars 2009.
VASTE DEBAT AUTOUR D’UNE GRAINE : LES PREMISSES D’UNE MULTINATIONALE AFRICAINE DU RIZ
Variété exotique, mais aussi plante miracle, le terme Nerica qui fait référence au résultat du croisement réussi effectué par les chercheurs du Centre du riz pour l’Afrique (Adrao) des deux espèces de riz cultivé – Oryza sativa (riz asiatique) et Oryza glaberrima (riz africain cultivé), ne clôt pas le débat sur son avenir chez les tenants d’une agriculture sans doute plus performante, mais durable. C’est ainsi que le plus grave problème lié au Nerica est peut-être pour certains spécialistes ou non, que sa promotion s’intègre dans un mouvement plus large d’expansion de l’agrobusiness en Afrique, qui menace, à les en croire, de faire disparaître les fondements même de la souveraineté alimentaire de l’Afrique : les petits producteurs et leurs systèmes locaux d’utilisation durable de semences.
Lorsque la sécheresse s’est abattue, il y a deux ans sur Zaguiguia, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, seule une variété de riz poussait correctement, le Nouveau riz pour l’Afrique (Nerica). La saison suivante, tous les agriculteurs de la région voulaient des graines de Nerica, mais il n’y en avait pas assez, explique Albertine Kpassa, cultivatrice locale. Alors Directeur général de l’Adrao, Pape Abdoulaye Seck (3) dans la préface du « Guide pratique de la culture des Nerica de plateau » écrivait ceci, « Les variétés de riz Nerica les plus populaires combinent les meilleures caractéristiques des deux parents à savoir un rendement élevé du parent asiatique et la capacité du parent africain à se développer dans des environnements difficiles.» Il allie les caractéristiques de ces deux variétés : la résistance à la sécheresse et aux parasites, des rendements supérieurs même avec peu d’irrigation ou d’engrais et une teneur en protéines plus élevée que les autres variétés de riz. Le même guide de souligner que « les variétés de riz Nerica, obtenues par hybridation entre des riz africain et asiatique, sont actuellement qualifiées de «plantes miracles» susceptibles d’apporter à l’Afrique une révolution verte du riz annoncée depuis bien longtemps.»
Une puissante coalition de gouvernements, d’instituts de recherche, de semenciers privés et de bailleurs de fonds ont engagé une grande initiative pour diffuser les semences de Nerica dans l’ensemble des rizières du continent. Tous affirment que le Nerica peut développer les rendements et assurer l’autosuffisance de l’Afrique en matière de production rizicole. La première lignée de Nerica a été obtenue en 1994 par des chercheurs de l’Adrao (aujourd’hui AfricaRice), à partir du croisement d’une variété Oryza sativa japonica et d’une variété africaine Oryza glaberrima. Plusieurs autres lignées ont cependant été mises au point par les chercheurs de l’Adrao, travaillant avec des chercheurs japonais dans le cadre du projet Inter-specific Hybridization Project (Ihp) financé par le gouvernement du Japon, la Fondation Rockefeller (États-Unis) et le Pnud. Ces variétés interspécifiques de riz sont censées combiner les avantages du rendement élevé de leur parent asiatique et des caractéristiques d’adaptation aux conditions locales de leur parent africain.
UNE SEMENCE AU SERVICE DE TOUS
Les croisements interspécifiques entre Oryza sativa et Oryza glaberrima se sont souvent soldés souvent par des échecs parce que leur descendance était généralement stérile. Pour empêcher ce phénomène, l’équipe de chercheurs du Nerica a fait le choix de prendre la descendance issue des premiers croisements en effectuant un rétrocroisement avec son parent Oryza sativa pour restaurer la fertilité et, ainsi, constituer un stock de semences. Le Nerica est donc considéré comme un hybride interspécifique, mais pas du type normalement désigné par l’expression « semence hybride ». Ces semences hybrides sont produites grâce à une technique complexe qui fait intervenir essentiellement le croisement de deux parents très consanguins pour produire des semences identiques et qui se dégradent de façon significative après la première année. Les agriculteurs qui achètent des semences hybrides doivent acheter de nouvelles semences à chaque campagne agricole. Le Nerica n’est pas non plus un Organisme génétiquement modifié (Ogm) dans la mesure où il ne procède d’aucune modification génétique, même si des techniques biotechnologiques, comme le sauvetage d’embryon, ont été utilisées au cours du processus.
LIGNE D’HORIZONS : Le riz, une plante miracle !
Une floraison de publications et de documents sur notre agriculture sont produits tous les ans pour tirer les leçons et enseignements d’une campagne agricole chaque année, mais qui prend le temps de lire, en dehors de quelques techniciens en préparation d’un rapport ou d’une thèse de recherche ? Et pourtant qu’il serait utile et intéressant de voir les politiques ou ceux qui rêvent du devenir de ce pays, de se procurer un petit bout du contenu de ces rapports pour le futur.
Parler dans le vide, parler de
politique, de tout et de rien, la belle mise des nouveaux pseudo-experts ç la Une de la presse et des médias. Le danger pour le Sénégal et l’Afrique n’est-il pas dans le fait d’ignorer l’immensité du travail qui se fait dans la recherche scientifique, la recherche tout court autant dans les centres de recherches mais aussi dans les Ecoles d’agronomie, d’agriculture, d’élevage et du développement rural. L’hivernage 2016, avance ainsi en dents de scie selon les régions avec ses déficits et ses excédents ici et là, mais en dehors de quelques agents des ministères, de quelques ministres et encore, qui a idée de toutes ces nouvelles semaines et graines introduites par la recherche pour lancer la production dans pays ?
Dans le cadre de l’introduction d’espèces et de graines nouvelles pour le développement et l’émancipation de notre agriculture et notre élevage, il y a pourtant beaucoup d’études, de rapports, conçus par nous-mêmes et-ou en collaboration avec des bailleurs comme l’Union européenne avec l’aide du Cta, du Pnud aussi et des organismes de coopération. Souvent en dormance dans les tiroirs ou dans les think thank des bailleurs et leurs bailleurs, nous jouons comme des spectateurs dans cas cadres pour des produits issus de chez nous. Pour le cas du riz, un rapport publié dans la revue Grain, a permis de se faire une idée. Et parlant du Nerica, aujourd’hui dont la semence est distribuée un peu partout aux paysans dans le cadre de la relance de la filière même dans des zones où la céréale n’a pas encore été produite, le rapport tirait un certain d’enseignements pour l’Afrique de l’ouest et en direction des gouvernants mais surtout d’AfricaRice.
Aujourd’hui, le Nerica suscite un très grand intérêt, et des investissements importants ont été consacrés à sa diffusion à travers l’Afrique. Cependant, au-delà de la publicité, il n’y a pas eu jusqu’à présent beaucoup de discussions concrètes sur les conséquences qu’un tel déploiement rapide et massif pourrait avoir pour le continent et surtout pour les paysans. L’expérience déjà acquise laisse supposer que le Nerica n’est pas à la hauteur de ses promesses et suscite d’importantes inquiétudes, tant au niveau de ses performances que de ses effets à long terme. La promotion du Nerica suit une logique « top-down » (du haut en bas) et menace la survie des variétés locales de riz et des autres cultures vivrières traditionnelles.
En outre, la diffusion du Nerica est liée à la flambée des investissements privés dans de nouvelles filières de riz étroitement contrôlées par de grandes entreprises qui s’intéressent uniquement à l’agriculture industrielle, et aux profits qu’ils peuvent en tirer; ceci constitue une grave menace pour l’agriculture paysanne. Le Nerica est présenté par ses promoteurs comme une « percée scientifique ». Le soi-disant « miracle » du Nerica tient au fait qu’il provient d’un complexe sauvetage d’embryons d’hybrides issus du croisement entre un riz asiatique Oryza sativa et un riz africain Oryza glaberrima...
Même discutable, ce débat, n’est pas une mauvaise chose dans la sphère des chercheurs, des défenseurs d’une certaine forme d’agriculture propre, mais aussi du secteur privé qu’on souhaiterait voir jouer un rôle plus important ; au sein également des appareils d’Etat. L’Etat, ce grand fantôme africain qui n’existe que pour ceux qui veulent bien s’en servir pour garder leurs privilèges. Néanmoins, pour la réussite d’un pari comme celui de l’ARI, il est nécessaire que les hommes politiques s’investissent véritablement dans la diffusion et l’aide à la recherche : la “révolution verte africaine” ne se fera pas sans eux. Il leur faut pour cela dépasser les discours alors même que leurs intérêts et motivations peuvent s’avérer contradictoires.
Ainsi, au Gabon par exemple, la consommation de riz a considérablement augmenté ces dernières années et les prix se sont envolés. Plusieurs sociétés importatrices de riz ont vu le jour, profitant des défaillances de la
politique agricole du gouvernement. Si les agriculteurs gabonais pouvaient produire du Nerica, le prix du riz sur le marché chuterait, mais cela peut-il se faire compte tenu de l’implication en tant qu’actionnaires de plusieurs membres du gouvernement dans les sociétés importatrices ? En revanche, au Nigeria, le succès remarquable du Nerica s’explique en grande partie par l’engagement à l’époque, du président Olusegun Obasanjo qui a instauré un “Comité présidentiel sur le riz” et qui a fait de son développement une priorité budgétaire.
Les résultats de la Guinée, pour être un peu plus près de nous, tiennent au fait que dès 1997, les services agricoles ont vu dans le développement de la production de riz un défi majeur sans doute favorisé par la tradition rizicole remarquable de certaines ethnies comme les Kissi. Enfin, les problèmes intérieurs peuvent limiter la portée des efforts entrepris, comme au Cameroun où les zones expérimentales sont dans la région de Yagoua (extrême nord du pays, à la frontière avec le Tchad), une zone marginale et régulièrement soumise à des « tensions sociales ».
source: http://www.sudonline.sn/la-bonne-graine-de-riz-qui-defie-les-isohyetes-et-le-climat_a_31244.html