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Qui gouverne réellement Dakar ? Par Dr Djibril Diop

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Dakar

Qui, du maire de Dakar, du ministre du Renouveau urbain, de l’Habitat et du Cadre de vie, du ministre de l’Intérieur à travers les autorités administratives déconcentrées (le préfet et le gouverneur), du président de la République, et même des promoteurs privés ; est le véritable patron de Dakar ? Certes, dans le cadre d’une gouvernance décentralisée, une telle question peut sembler incongrue. Pourtant elle mérite d’être posée. En effet, face aux réalités de la gestion de l’agglomération, notamment à travers l’aménagement de ses artères (comme c’est le cas actuellement sur la VDN), les opérations de désencombrements régulièrement entreprises (notamment à veille de rencontres internationales, comme ce fut le cas lors du sommet de l’OCI en 2008 et récemment avec la Francophonie) et la lutte contre l’occupation anarchique des espaces de la capitale sénégalaise, entre autres, cette interrogation trouve toute sa pertinence.

 

 Également le saucissonnage du pouvoir avec l’érection des communes d’arrondissement en communes de plein exercice au même titre que les communes ville dans le cadre de l’Acte 3 de la décentralisation, elle mérite une attention particulière. Pour y voir clair, il est important, à mon avis, de revisiter le cadre institutionnel de l’évolution de la métropole sénégalaise pour mieux en saisir toute la dimension.

 

 

La région de Dakar est constituée par plusieurs municipalités qui élisent leur conseil et maire. Pour ce qui est de la commune de Dakar, qui est l’une des plus anciennes municipalités du pays, elle élit son maire depuis 1887 (sauf pour la période 1964-1983) – date à laquelle Dakar a été érigée en commune de plein exercice après Gorée et Saint-Louis (1872), puis Rufisque (1880) – et ceci jusqu’en 1964. Ainsi, bien avant les lois de 1996, la ville de Dakar a une vieille tradition de gestion locale du pouvoir. Toutefois, sur le plan institutionnel, Dakar a connu une évolution singulière dans l’espace sénégalais, notamment depuis son institution comme capitale de l’AOF en 1902. D’une petite bourgade, il est devenu une grande métropole cosmopolite et hétéroclite avec une conurbation sur toute l’étendue du territoire de la région. En 1924, le décret du 27 novembre crée la « Circonscription urbaine de Dakar et Dépendances ». Celle-ci autonome et distincte de l’État du Sénégal, fut supprimée par un autre décret en date du 17 mai 1946. Dakar devient alors une simple « Délégation ». En 1958, il devient la capitale du Sénégal, avec le transfert de la capitale de Saint-Louis par le président du Conseil, Mamadou Dia.

Après l’indépendance du pays en 1960, compte tenu de sa place et du rôle qu’il est appelé, désormais, à jouer sur l’échiquier national et international, les lois nº60-015 du 13 janvier 1960 et nº60-26 du 1er février 1960 accordent un statut spécial à Dakar. Dans ce prolongement, la loi du 14 février 1961 rattache la commune de Gorée à Dakar. De même, tenant compte des préoccupations d’une meilleure gestion de la région marquée par une croissance démographique rapide par rapport aux moyens publics, les autorités, par la loi nº64-02 du 19 janvier 1964, créent la grande commune de Dakar en fusionnant les communes de Dakar et de Rufisque. Également, elle confère à la ville de Dakar et aux autres chefs-lieux de région un statut spécial dérogatoire au droit commun ; le conseil municipal est élu, mais le maire est un fonctionnaire nommé par le gouvernement. Cette charge est souvent confiée au gouverneur de la région. C’est l’ère des « administrateurs-gouverneurs », pendant laquelle on assiste à une confusion des responsabilités entre l’exécutif au niveau local et celui du niveau central. Pourtant en 1966, la loi nº66-64 du 30 juin portant Code de l’administration communale harmonise dans un texte unique de référence, toutes les lois relatives à l’institution municipale. Les motifs avancés étant d’articuler tous les textes régissant les municipalités dans un cadre juridique unique de référence dans la perspective d’une administration municipale autonome. Or ces réformes au lieu de renforcer la « liberté » accentuent la mainmise de l’État sur la gestion municipale. En effet, de 1964 à 1983, la commune de Dakar ressemble plus à un démembrement de l’État dirigé par un administrateur-gouverneur nommé par ce dernier. L’autonomie financière et la marge de manœuvre politique des collectivités locales se retrouvent ainsi assez limitées.

La loi du 26 juillet 1972 renforce cette tendance avec la nomination, pour l’ensemble des communes chefs-lieux de région, d’un administrateur municipal. En effet, malgré les nouveautés introduites par les réformes de 1972, la fonction de gouverneur se trouvait de plus en plus difficile à assumer, car ce dernier se trouvait écartelé entre les affaires de l’administration territoriale et celles municipales, notamment dans les municipalités chef-lieu de région. La loi du 25 juin 1979 modifie ce régime en séparant la fonction d’administrateur municipal de celui de gouverneur. Mais ce dispositif qui crée un double exécutif : Conseil municipal/Administrateur municipal, était qualifié par certains auteurs comme Mamadou Diouf de « confiscation du pouvoir des élus locaux au profit des autorités administratives ». La loi nº83-48 du 18 février 1983 portant réorganisation de la région du Cap-Vert mettra fin à ce statut particulier pour ce qui est de Dakar. Pour les autres communes chefs-lieux de région, ce régime spécial sera définitivement supprimé en 1990 par la loi nº 90-35 du 8 octobre, mettant ainsi fin à ce bicéphalisme. Depuis, le conseil municipal et le maire sont élus tous les cinq ans.

Plus tard, la nécessité de renforcer la gestion de proximité, de prendre en compte la vocation rurale de la région et faisant suite à sa communalisation intégrale par la loi nº64-02 du 19 janvier 1964, la région de Dakar fut découpée en trois départements (Dakar, Pikine et Rufisque). Par la suite, faisant suite à la loi nº72-25, la loi n°83-48 du 18 février 1983 créée des communautés rurales dans la région de Dakar. Parallèlement, la loi nº83-84 divise la région en trois communes distinctes (Dakar, Pikine et Rufisque). Dans ce prolongement, le décret nº83-1131 du 29 octobre 1983 accorde à Dakar une dérogation au droit commun dans l’échiquier national en instituant la Communauté urbaine de Dakar (CUD) et dont la mission est d’assurer la gestion de certains services publics relevant des trois communes, en particulier la gestion des ordures ménagères. Ce fut la première institution intercommunale du Sénégal.

Après l’alternance du 19 mars 2000, dans le souci d’imprimer sa marque sur les institutions du pays et d’effacer les symboles du régime socialiste, le Président Wade, jugeant la Communauté urbaine de Dakar inefficace, dissout la structure par le décret nº2000-632 du 21 juillet 2000. La situation de déficit chronique motiverait cette décision du nouveau pouvoir. Déficit qui se serait aggravé depuis la réforme de 1997 avec la création des communes d’arrondissement, auxquelles est transférée une partie des recettes des villes et du fonds de dotation. À la place, une Communauté des agglomérations de Dakar (CADAK) et une Communauté des agglomérations de Rufisque (CAR) ont été officiellement instituées par le décret nº2004-1093 du 4 aout 2004, ensuite modifié par le décret nº2005-876 du 3 octobre 2005, après que l’idée d’une Communauté de communes (CDC) ait été avancée dans un premier temps, avant d’être abandonnée. La nouvelle structure a reçu comme mission essentielle d’entreprendre des actions de propreté, de désensablement et de désencombrement des villes de la métropole. Mais la CADAK qui était appelée à être autonome sur le plan financier dans une période de trois à cinq ans survit toujours avec le concours de l’État, même si une partie de son financement est assurée par une subvention de l’Agence de développement municipal (ADM) et les recettes dérivées de la Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TOEM).

La même logique de recherche de la proximité pour une gestion efficace des villes de la région a prévalu, en 1990, avec la création des communes de Guédiawaye et Bargny, respectivement dans les départements de Pikine et Rufisque, par la loi nº90-36. Ainsi, jusqu’en 1995, la région de Dakar comprenait trois départements divisés en cinq communes et deux communautés rurales. L’entrée en vigueur de la régionalisation à partir de janvier 1997, suite aux réformes de 1996, s’est traduite, dans la région de Dakar, par un nouveau découpage avec la création de communes villes (Dakar, Pikine, Guédiawaye et Rufisque), par le décret nº96-745 du 30 avril 1996 et de 43 communes d’arrondissement. Ce décret fixe les conditions d’organisation administrative et financière de la commune d’arrondissement et ses rapports à la commune-ville. Mais soumis à l’épreuve des faits, on observe plusieurs défaillances, notamment pour ce qui est de la gestion des marchés, de la perception des taxes, de la situation du personnel des communes d’arrondissement et la dotation globale de la ville vis-à-vis de ces dernières.

Si des mobiles politiques ont été à la base de ce processus, les données démographiques prouvent cependant, au moins une chose : la taille de la population des anciennes communes de Dakar était telle, qu’elle ne permettait pas une gouvernance de proximité. En effet, comment un seul maire pouvait-il gérer une population de villes comme Dakar ou Pikine, avec respectivement 806 374 et 602 536 habitants ? (données démographiques de l’époque) Même s’il existe des délégués de quartier, maillons intermédiaires avec la base, ces derniers ne permettaient pas une réelle maîtrise des aspirations d’une population en croissance continue et en proie à des difficultés aussi diverses qu’urgentes : accès au logement, mobilité urbaine, santé, hygiène, enlèvement des ordures, éclairage public, scolarisation des enfants, sous-emploi, chômage, insécurité,…; autant de raisons parmi tant d’autres, qui justifiaient un tel découpage. Par ailleurs, la ville de Dakar avait fini par prendre des proportions telles qu’il était devenu difficile de la gérer correctement, eu égard à la densité de sa population et aux nombreuses activités qui s’y développent à un rythme incontrôlable. Il fallait donc trouver d’autres mécanismes pour mieux maîtriser, sinon suivre de manière correcte, le développement de cette agglomération. Ainsi, selon les autorités d’alors, ce découpage épousait l’esprit de la décentralisation administrative et territoriale appliquée au pays depuis 1972, contrairement à ce que certains avaient vu comme une simple volonté politique pour récupérer la capitale suite à la défaite du parti socialiste lors des élections de 1993.

Après l’alternance de 2000, dans un premier temps, la région de Dakar gardera le statu quo. Mais pour une courte durée. Par décret, une autre réforme territoriale touchera la région. D’une part, la commune de Bargny a été fractionnée pour donner naissance à une nouvelle commune, Sendou et d’autre part, l’ex-communauté rurale de Sangalkam a été scindée en quatre nouvelles collectivités locales dont deux communes : Sangalkam et Jaxaay – Parcelles-Niacoulrap, et deux communautés rurales : Bambilor et Tivaouane Peul-Niaga (Décret nº 2011-422 du 29 mars 2011). Comme la réforme de 1996, celle-ci aussi avait été perçue par l’opposition comme une simple volonté politique d’avoir la main mise sur la capitale que le pouvoir en place (parti démocratique sénégalais) avait perdu lors des élections locales de 2009.

Enfin, les réformes instituées par l’Acte 3 de la décentralisation avec la loi n°2013-10 portant Code général des Collectivités locales adopté le 28 décembre 2013 par l’Assemblée nationale, donnent une nouvelle dimension à cette évolution institutionnelle qui complexifie encore la gouvernance de l’agglomération, même si elles prévoient une mutualisation des compétences de plusieurs communes qui présentent une homogénéité territoriale pour en faire une ville (Article 167). En effet, si des dispositions sont prévues pour l’organisation administrative et financière de la commune et ses rapports avec la ville dans le Code général des Collectivités locales, la gouvernance de la métropole semble se présenter sous l’aspect du « diviser pour mieux régner ». La faiblesse apparente des moyens (tant humains que matériels) dont disposent ces collectivités locales se pose déjà comme une contrainte majeure malgré tous les discours servis. En outre, dans cette évolution on peut s’interroger sur la pertinence des différentes réformes à la lumière d’une gestion locale transparente et efficace de l’agglomération. Malgré la pertinence des idées qui sous-tendent certaines réformes, les raisons électoralistes et politiciennes semblent le plus souvent l’emporter au détriment d’une véritable vision d’un développement local au besoin exclusif de ses populations. Ce qui fait que, le plus souvent, on navigue dans des contradictions flagrantes entre une volonté auto-proclamé d’une politique de renouveau démocratique dans le processus de décentralisation et les actions engagées dans la vie réelle.

Depuis le règne du Président Wade, notamment après les élections locales de 2009, qui ont vu l’opposition (regroupé dans Benno Siggil Senegal) s’emparer de Dakar au détriment du pouvoir central, on note régulièrement des conflits « d’ingérence » entre la mairie et le gouvernement autour de la gestion de différentes questions d’intérêt local. Ce fut le cas du stade Assane Diouf cédé aux Chinois pour la construction d’un centre commercial dénommé « Kawsara », mais aussi du mur du cimetière musulman de Yoff, du terrain du Cerf-volant et des terrains que la mairie voulait acquérir pour y aménager des infrastructures socioéconomiques et culturelles et relocaliser les marchands ambulants, entre autres. Pour le stade Assane Diouf, la tribune du stade avait été nuitamment démolie, sous une surveillance policière, en mai 2008, au moment où une partie de la population était mobilisée pour le grand Magal de Touba. Et on se souvient de la cacophonie qui avait suivie entre le maire et les autorités étatiques sur la responsabilité de chacun dans cette opération. Dans ce registre également, il est à noter la polémique autour de la construction de l’ambassade Turc sur la Corniche Ouest. Le maire de Dakar ayant refusé de signer le permis de construire sur ce site appartenant au Domaine public maritime (DPM) que le président de la République avait offert aux Turcs. Pourtant à chaque fois dans ce genre d’action, les promoteurs brandissent une autorisation du ministère de l’Urbanisme en bonne et due forme en totale contradiction avec les prérogatives transférées aux autorités municipales en la matière. On se souvient aussi du câble publié par Wikileaks, dans lequel l’ancien ambassadeur des États-Unis au Sénégal, Marcia Bernicat, expliquait comment le pouvoir de Wade empêchait les maires de l’opposition portés à la tête des grandes villes du pays à l’issus des élections locales de 2009, de travailler.

La décision du pouvoir central (initiée sous le régime de Wade et poursuivie par le pouvoir actuel) de limiter les pouvoirs du maire en matière de délivrance d’actes pour la construction d’hôtels, d’ambassades et autres structures étatiques ou paraétatiques n’entre-elle pas dans cette dynamique de confiscation du pouvoir local « en leur enlevant leurs compétences naturelles », et de brouiller la gouvernance de la métropole si l’on sait que 95% des nouvelles créations d’entreprises (toutes catégories confondues) se font à Dakar ? Également, la mise en avant, toujours, des autorités administratives déconcentrées (le préfet et le gouverneur) dans les opérations de déguerpissement (depuis Monsieur « bulldozer ») et de rénovation urbaine notamment avec le ministère du Renouveau urbain, de l’Habitat et du Cadre de vie aujourd’hui, et hier avec l’Agence nationale pour l’Organisation de la Conférence Islamique (ANOCI) en 2008, avec chacun ses prérogatives, mais surtout sa capacité de nuire à une gestion autonome vis-à-vis de l’exécutif central, n’est-elle pas un facteur inhibant une bonne gouvernance de la cité ? L’Acte 3 de la décentralisation qui est venu modifier la carte administrative ainsi que les rapports de pouvoir entre les communes ville et les anciennes communes d’arrondissement en octroyant à ces dernières le même statut et plus de moyens d’action n’est pas pour éclairer la situation.

Ainsi, en faisant abstraction de la parenthèse Mamadou Diop qui se singularisa comme un « super » maire pour Dakar, tous ses successeurs semblent se présenter comme de simples figurants sur un strapontin à la disposition du « vrai chef » ou au mieux, de simples subordonnés ne disposant d’aucun pouvoir réel d’administration. Pourtant, dans toutes les dimensions de la gestion de la cité, les dispositions contenues aussi bien dans le Code de 1996 que dans celui de 2013 définissent les responsabilités et les rôles entre l’exécutif central et les collectivités locales. Mais dans la pratique on semble être à des années lumières de tout cela tellement l’exécutif central est omniprésent dans la gestion de l’agglomération à travers ses différents démembrements étouffant du coup toute gouvernance locale de la cité.

Dr Djibril Diop
Université de Montréal
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source:http://xalimasn.com/qui-gouverne-reellement-dakar-par-dr-djibril-diop/