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L’OBS – Juridiquement, les décisions de renvoi par le juge pénal d’un dossier qui n’est pas en état d’être évoqué au fond sont encadrées par les dispositions du code de procédure pénale, en ses articles 381 et suivants. Ces renvois pouvant être valablement prononcés à trois reprises, (renvoi ferme), voir au-delà, (renvoi ultime), constituent de nos jours une «arme» redoutable pour des plaignants revanchards qui, maîtrisant les rouages de Dame Justice, en usent pour maintenir leurs antagonistes en détention provisoire, des jours voire des semaines, avant le jugement. L’Observateur nous plonge de ce vicieux procédé peu orthodoxe qui, de nos jours, fait tendance.
Pour une bonne administration de la Justice, les autorités chargées de réguler ce secteur ont l’obligation de faire valoir la règle. Une bonne administration de la Justice, c’est avant tout un jugement dans des délais raisonnables. Surtout pour le cas d’une personne maintenue en prison. S’il s’agit d’une flagrance, la vitesse de la Justice doit être de vives allures. Seulement, c’est tout le contraire. Des dossiers de flagrance trainent parfois jusqu’à plus de 3 mois avant d’être jugés. Sans toutefois prendre en compte le cas de ces prévenus qui s’en sortent avec des décisions de relaxe. Par ailleurs, ce retard accusé sur le jugement de certains dossiers relève parfois de subterfuges de la part des plaignants. Ils usent de l’ouverture d’une petite brèche laissée par le Législateur pour faire payer à leurs antagonistes, qui pourtant paient déjà. Les exemples sont là.
«C’est devenu le lot quotidien de la quasi totalité des avocats. De multiples renvois sont toujours prononcés. Généralement par les juridictions de jugement et notamment les tribunaux statuant en matière de flagrance. Même si de l’autre côté, il y a des détenus qui s’abstiennent de comparaître à l’audience pour être fixés sur leur sort. C’est devenu une pratique courante hautement dommageable pour nous autres. Surtout si c’est nous qui sommes du côté de la défense. Le client qui est en détention en souffre davantage, puisque contraint de purger «gratuitement» une peine qui s’impose à lui avant même son jugement. Ce sont des pratiques couramment usitées par certains plaignants. Fort de leur relative maîtrise des rouages de la justice, ils s’arrangent pour que soit prolongé de plusieurs jours, voire semaines, le séjour carcéral de leurs antagonistes sur une affaire pénale.» C’est une remarque basée par plusieurs cas. Et c’est sorti de la bouche de plusieurs avocats à la cour, dont Mes Baba Diop, Abdourahmane Sow, Alassane Cissé. Comme pour attester de la constance de cette nouvelle arme peu orthodoxe des parties civiles, au grand dam de leurs prévenus.
Le dictat des dispositions pénales
Et dire que cette brèche subtilement est exploitée par certains plaignants. Il en est de même de l’utilisation peu orthodoxe qu’ils font de ces décisions de renvoi. Pourtant toute cette mascarade espiègle est loin d’épouser l’esprit et la lettre des dispositions pénales qui prennent en charge les délais impartis pour la tenue d’une audience correctionnelle. Elles sont pourtant claires mais dans la pratique, les acteurs de la justice laissent des marges de manœuvre aux justiciables qui en usent pour se venger ou s’en vanter.
C’est le code de procédure pénal qui consacre l’organisation d’un procès pénal et les conditions de sa tenue. Les articles qui les prennent en chargent sont 381 et suivants. A l’article 381 dudit code, il est clairement stipulé : « L’individu arrêté en flagrant délit et déféré devant le procureur de la République conformément à l’article 63 du présent code est, s’il est placé sous mandat de dépôt, traduit sur le champ à l’audience du tribunal ». Une quasi simultanéité entre le placement sous mandat de dépôt et la tenue du procès. Rare à voir hormis les affaires de chanvre indiens. Dans ce cas l’absence de partie civile facile la rapidité dictée par l’article susnommé.
L’article 382 du code de procédure pénale poursuit et précise : « Si ce jour-là, il n’est point tenu d’audience, le prévenu est déféré à l’audience du lendemain, spécialement convoquée à la requête du ministère public ». Juste pour faire comprendre que les démarches du procureur de la République, chargé de défendre les intérêts de la société, sont nécessaires pour un jugement dans les délais. A sa suite, l’article 384 du même code prend le relai en précisant « La personne déférée en vertu de l’article 381 est avertie par le Président, qu’elle a le droit de réclamer un délai pour préparer sa défense. Si le prévenu use de la faculté indiquée à l’alinéa précédant, le tribunal lui accorde un délai de trois jours au moins (…).
Toujours dans la même veine, l’article 385ordonne : « Si l’affaire n’est pas en état de recevoir jugement, le tribunal en ordonne le renvoi à l’une des plus prochaines audiences, pour plus amples informations et s’il y a lieu, met le prévenu en liberté provisoire, avec ou sans caution ».Plus loin, les dispositions de 389 du code de procédure pénale mentionnent : « (…) Lorsque le dossier est en état d’être jugé, l’affaire ne peut faire l’objet de plus de trois renvois pour quelque cause que ce soit. Mieux, après trois renvois successifs, l’affaire est obligatoirement jugée ».Enfin,l’article 396dudit code conclut en précisant : « Le prévenu régulièrement cité en personne doit comparaître, à moins qu’il ne fournisse une excuse reconnue valable par la juridiction devant laquelle il est appelé. Aussi, le prévenu a la même obligation lorsqu’il est établi que, bien que n’ayant pas été cité en personne, il a eu connaissance de la citation régulière le concernant dans les cas prévus par les articles 545 alinéa 3, et 548 du présent code. Si ces conditions sont remplies, le prévenu non comparant et non excusé est réputé jugé contradictoirement ».
En clair, il est à retenir après lecture des articles 381, 382, 384, 385, 389 et 396 du code de procédure pénale que la personne placée sous mandat de dépôt est traduite sur le champ à l’audience du Tribunal des flagrants délits. Si ce jour-là, il n’est point tenu d’audience, le prévenu est déféré à l’audience du lendemain. Le Président séance doit obligatoirement l’avertir qu’elle a le droit de réclamer un délai supplémentaire pour préparer sa défense. Si elle use de cette prérogative, le tribunal lui accorde un délai de 3 jours au moins.
Par ailleurs, si l’affaire n’est pas en état de recevoir jugement, le tribunal en ordonne le renvoi à l’une des plus prochaines audiences et au besoin, décider de la mise en liberté provisoire du prévenu. A l’endroit, cette fois, du prévenu, (comparant librement à l’audience puisque bénéficiant d’une liberté provisoire), le législateur brandit les dispositions de l’article 396 du Code de procédure pénale, pour signifier que, lorsqu’elle est régulièrement citée en personne, la personne poursuivie doit comparaître, à moins qu’elle ne fournisse une excuse reconnue valable par la juridiction devant laquelle elle est attraite. Qu’elle a aussi la même obligation s’il est établi que, bien que n’ayant pas été citée en personne, elle a eu connaissance de la citation régulière la concernant. Après quoi, le prévenu non comparant et non excusé doit être jugé contradictoirement. De ce condensé, il ressort que chaque partie ayant droit à un renvoi, donne possibilité au juge de prononcer deux renvois. Si à la troisième comparution, le dossier, pour des raisons valables sus-indiquées, ne peut être évoqué au fond, le tribunal peut être amené à prononcer un troisième renvoi dit (renvoi ferme). Si à la quatrième comparution, un autre renvoi s’impose, le juge prononce un renvoi ultime.
Il est cependant important de souligner qu’en matière de flagrant délit, le renvoi est prononcé sous 48 heures. Parce que le juge prend en compte les aléas liés à la procédure d’enrôlement des dossiers. Les affaires de mœurs sont, elles, généralement renvoyées sous huitaine (huit jours). La raison est de permettre à la même composition siégeant de garder l’affaire en le juger, à la date de renvoi. Les reports sous quinzaine sont plus courants au niveau des tribunaux statuant en matière de flagrance et siégeant dans les autres capitales régionales (hormis Dakar). Dans ces cités, les audiences des flagrants délits sont généralement tenues hebdomadairement. Toutefois, il est à relever que pendant tout ce temps, le prévenu qui bénéficie pourtant de présomption d’innocence reste maintenu en prison. Autrement dit, il purge une peine ferme, précédant celle qu’il encourt au terme de son procès. Ce qui est justifié par la détention provisoire.
Une arme redoutable des plaignants
Sur dans ces articles sus-indiqués du code de procédure pénale, le législateur s’est voulu bien exhaustif. Surtout quant aux questions relatives aux conditions de la tenue d’une audience et sur la nécessité du renvoi d’un dossier. Cependant dans la pratique, les causes pouvant conduire à un renvoi sont divers. Il y’a d’abord la non-comparution de toutes les parties au procès. L’absence à la barre du prévenu en détention. Cet état de fait est généralement imputable à des impaires notées du côté de l’administration pénitentiaires qui pour X raisons omet d’extraire le prévenu pour l’attraire au devant le tribunal chargé de le juger. L’absence de la partie civile porte le plus souvent sur la difficulté pour le parquet et ses services dérivés (police et gendarmerie) de pouvoir la localiser. Souvent au vu du caractère nuancé de l’adresse du plaignant. A cette difficulté, s’ajoute celle liée à la grande mobilité de certains plaignants. A la décharge du parquet, ses services qui reçoivent un surnombre d’affaires à diligenter peinent à traiter à temps l’ensemble des dossiers soumis à son appréciation.
Dans ce lot, il est important de mentionner en lettres capitales la mauvaise foi de certaines parties civiles qui en profitent et organisent subtilement leur «injoignablilité». Un acte fait à dessein puisqu’au moment venu, (après plusieurs renvois prononcés), elles se présentent à la barre pour brandir l’excuse, selon laquelle, elles n’avaient jamais eu connaissance de la tenue de l’audience. Seulement, d’autres plaignants plus diaboliques attendent ce moment opportun pour commettre un ou plusieurs autres avocats et solliciter encore un énième renvoi. Au motif de permettre aux conseils nouvellement commis de prendre connaissance du dossier pour peaufiner et harmoniser leur stratégie de défense. Avec ce procédé, certains plaignants démoniaques parviennent à obtenir plusieurs renvois de leurs dossiers et par ailleurs maintenir un moment leurs adversaires en prison.
De sales exemples à la pelle
Se disant souvent victime de ces pratiques, l’un de nos interlocuteurs (avocat) se rappelle d’une affaire similaire qui a retenu son attention. «Il y a de cela 5 ans, j’ai été commis dans une affaire de mœurs incriminant mon client accusé de viol sur une mineur. Le dossier a été enrôlé et jugé en première instance. Il a été condamné à 10 ans de prison ferme. Par la suite, j’ai attaqué ladite décision en Appel. Le dossier a fait l’objet de plusieurs renvois et ce n’est que lors des récentes vacances judiciaires, (mois d’août dernier) que le dossier a finalement été retenu devant la Cour d’appel. Il a été mis en délibéré au 6 novembre prochain. Du coup, mon client attend depuis 5 ans d’être fixé sur son sort.
A sa suite, cet autre avocat commis dans le dossier dit des inspecteurs du Trésor public se souvient que son dossier a été enrôlé pour la première fois le 9 décembre 2012 devant le Cour d’appel de Dakar. Depuis lors, l’affaire qui est toujours pendante devant ladite Cour a fait l’objet de plus 10 renvois, pour divers motifs. Cette autre robe noire, dont le client a été victime de ce genre de pratiques, soutient s’être entouré des proches de son client avec qui il a fait les couloirs du parquet, pour récupérer la convocation adressée au plaignant qui avait attrait en justice son client. «Lorsque j’ai mis la main sur cette convocation, je me suis rendu dans le commissariat de police qui l’a déféré. Là, je leur ai remis la convocation afin qu’ils la transmettent au plaignant. Et les jours suivant, j’utilisais mon téléphone pour les joindre et m’assurer qu’ils ont remis au plaignant sa convocation.» Autre cas, même histoire. Journaliste dans un organe de presse de la place, notre interlocuteur a également été victime de ces décisions de renvoi. «J’avais été cité par un Libano-sénégalais pour une affaire de diffamation. Seulement, le plaignant qui est un puissant homme d’affaires n’a visiblement jamais eu de temps à consacrer à la procédure qu’il a intentée. Au final, ce dossier à connu 8 renvois dont 5 renvois ultimes, avant d’être retenu. Heureusement pour moi, durant tout ce temps, je n’étais pas en prison. Autre victime, Serigne Abdoulaye Ndiaye. Originaire de Thiaroye, il révèle avoir été envoyé en prison en 2004, pour des faits de vol aggravé précisant avoir été accusé à tort. «Au total, je suis resté plus de deux mois à Rebeuss parce que mon accusateur et ses avocats s’arrangeaient à chaque fois pour renvoyer le dossier. Par la suite, puisque nous habitons dans le même quartier, mes proches qui m’ont rendu visite m’ont expliqué que le bonhomme se targuait de dire à qui veut l’entendre qu’il a fait exprès de me laisser moisir en prison, en s’abstenant de venir à l’audience, sous prétexte qu’il a tantôt voyagé ou qu’il est malade… A chaque prétexte, il produisait un document pour l’attester. Seulement au terme du procès, j’ai été relaxé au bénéfice du doute, mais j’ai purgé plusieurs mois de prison par sa faute.
Série de mesures pour solutionner ce phénomène
Sur les solutions à apporter par rapport à ce phénomène, Me Baba Diop s’est voulu catégorique. «Il faut trouver un moyen de désengorger les services du parquet qui souffrent du volume important de dossiers à diligenter. Il serait également bien qu’au sein du parquet, qu’il soit créé un bureau qui pourrait s’intituler «bureau des convocations», spécifiquement chargé de diligenter les convocations adressées aux parties à un procès. Il faudrait que les acteurs de la justice, toujours au niveau du parquet, procèdent à un respect scrupuleux des textes de loi en la matière, pour éviter que des prévenus, qui sont présumés coupables, n’aient pas à subir cette forme d’injustice dont ils ne sont en rien coupables.»
Abdoulaye DIEDHIOU