Comment parler de la Conférence de Berlin autrement que sous la forme… d’une conférence qui, 130 ans après la délimitation des frontières de l’Afrique, se demande ce qu’il en reste et ce que celle-ci implique encore aujourd’hui comme enjeux. Autour de la table installée ce jeudi 26 février dans une des salles du Goethe-Institut, l’historien Ndiouga Adrien Benga, l’écrivain Boubacar Boris Diop et les journalistes Abdoulaye Bamba Diallo et Fadel Barro. Avec dans le rôle de l’animateur le président de la Fondation du mémorial de la traite des noirs, Karfa Sira Diallo. Dans le public, des universitaires, des intellectuels, des étudiants, des panafricanistes convaincus pour qui l’Afrique doit se prendre en main.
Si la Conférence de Berlin qui s’achevait en 1885 scella le partage de l’Afrique, délimitant des frontières aussi artificielles qu’arbitraires dira-t-on, elle charrie, 130 ans plus tard, quelque chose de ces vieilles histoires qui vous rattrapent ou qui ont du mal à vous lâcher. Car plus d’un siècle après on en parlait il y a deux jours encore, dans la soirée de ce jeudi 26 février au Goethe-Institut. Que reste-t-il après tout ce temps de cet épisode berlinois ?
Le journaliste Abdoulaye Bamba Diallo par exemple, pense qu’il est absolument effrayant que les Africains aient encore du mal à se prendre en charge, sur un continent où «tout ou presque reste à faire». Mais toujours « selon le bon gré des autres ». On retrouvera quasiment les mêmes propos chez son jeune confrère le journaliste Fadel Barro. Celui qui est aussi le coordonnateur du Mouvement «Y en a marre» s’offusque que «Paris» doive encore décider de ce qui se fait ici au Sénégal, parce que « nous avons du mal à nous prendre en main». D’autant plus que, dira l’écrivain Boubacar Boris Diop, ceux d’entre nous qui gouvernent le monde, François Hollande, Angela Merkel ou Barack Obama, s’expriment toujours entre eux, quand bien même ils parleraient de l’Afrique. C’était la même chose lors de cette fameuse Conférence de Berlin où «il n’y avait pas d’Africains à ce moment-là».
Dans le public, on dira encore que les Africains n’existeront pas tant qu’ils n’auront pas grand-chose à proposer, se contentant de remâcher et d’accepter la pensée des autres, et tant qu’ils n’auront pas compris, selon le président de la Fondation du mémorial de la traire des noirs Karfa Sira Diallo, que leur histoire ne commence pas avec la colonisation et encore moins le 4 avril pour ce qui est du Sénégal. Il faudrait aussi, dira-t-on, que des organisations telles que l’Union africaine (UA) ou la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) cessent d’être des «syndicats de chefs d’Etat» où les peuples ne sont pas conviés aux prises de décision, ne serait-ce que sous la forme de référendums qui leur donneraient au moins le sentiment que leur voix compte. Le Pr Abdoulaye Elimane Kane donnera quant à lui l’exemple d’Ebola qui a prouvé toute la porosité de nos frontières. Il ajoute aussi que pendant que « les capitaux circulent librement, les personnes, elles, se font contrôler » à toutes les portes.
La mémoire contre la mort
La question de la mémoire reviendra souvent, « seul rempart contre la mort » selon le Pr Mamoussé Diagne qui pense que nous devons réinventer notre imaginaire, ou nous le réapproprier pour être des « sujets», et non « des objets de l’Histoire », superposables à des « marionnettes ». Nous contentant, comme dirait Fadel Barro, de « colporter les idéaux et les combats des autres, « sans nous positionner en tant qu’Africains ». Et lorsqu’il parle de la colonisation, il refuse d’en faire ce fardeau qui ferait de nous d’éternelles victimes. Envisageons-la plutôt comme une opportunité : de celles qui nous permettent de nous exprimer dans l’une ou l’autre de ces langues qui font finalement partie de nous et de notre histoire, qu’on le veuille ou non, et qui créent le lien avec des personnes qui se trouvent parfois à mille lieues d’ici.
Nombreux sont aussi ceux qui diront qu’il ne faut pas oublier, même s’il faut pardonner pour avancer, mais en cessant de nous enfermer dans l’idée que « nous avons été maltraités », et en nous méfiant de ces « lamentations inutiles » qui feraient de nous des « damnés ». Penser le futur, pour l’historien Ndiouga Adrien Benga, nous impose de nous raccrocher à nos Panthéons, à nos mythes et à nos héros : Patrice Lumumba, Amilcar Cabral et les autres. Mais sans être prisonniers de notre nostalgie.
Chez lui toujours, comme chez d’autres d’ailleurs, on parlera beaucoup d’ « unité », de culture et d’identité. La question de l’après-Conférence de Berlin s’exprime aussi en termes de génération (s), car certains jeunes dans la salle diront combien ils se sentent souvent marginalisés et infantilisés parce qu’on ne leur fait pas suffisamment confiance alors qu’eux aussi mènent leurs propres combats, que l’on soit ici au Sénégal ou au Burkina-Faso. Mais eux, comme ils disent, préfèrent l’action et le pragmatisme à tous ces discours enflammés.